















C’est beau un homme libre. Étonnante transformation d’un chef enveloppé auparavant dans le carcan de la haute gastronomie de palace et qui se retrouve par sa seule volonté à la tête d’un complexe brasserie, restaurant, et hôtel. Il ne cesse d’ailleurs de répéter qu’il fait ce qui lui plaît, comme il en a envie et quand il en ressent le besoin. Ça ressemble en effet à la liberté, en tout cas celle de décider et d’agir. À ce jour, les décisions et les actes sont un succès. La brasserie Thoumieux tourne à plein régime en devenant une des brasseries référence de Paris en un an et de surcroît la meilleure. L’hôtel donne entière satisfaction dans la discrétion, mais c’est bien sûr au restaurant gastronomique que tout le monde attendait avec une impatience non dissimulée Jean-Francois Piège. D’autant que quelques mois seulement après l’ouverture le chef se retrouve avec deux étoiles au Michelin. Il y a pire dans la vie !
Au même moment, le voilà sur tous les écrans participant aux pantalonnades en rafales que nous imposent les chaînes de télévision petites ou grandes. On ne peut plus allumer sa télé sans voir un type déguisé en chef qui découpe du persil, cuit des carottes ou met des produits improbables dans un four, le tout avec une fausse bonne humeur à vous couper l’appétit ! On tranche, on juge, on élimine, comme des enfants dans la cour de récréation. Et il paraît que certains chefs et autres journalistes se battent, menacent, supplient pour en être. Là-dessus, comme sur le reste, Piège est serein et en accord avec lui-même. Il y est pour la notoriété et l’argent vu les investissements réalisés pour ouvrir ses nouveaux lieux.
Donc, il y a bientôt un an (octobre 2010) Jean-François Piège ouvre Jean-François Piège, son restaurant au premier étage, au-dessus de Thoumieux. Il a 40 ans et il est chez lui pour la première fois, après une carrière fulgurante aux multiples rencontres mais surtout aux cotés de Ducasse, puis comme chef exécutif au Crillon.



Gourmets&Co : Pourquoi ce choix de proposer des « ingrédients » ? Originalité à tout prix ?
Jean-François Piège : Non, car dès que l’on veut être original on fait les mauvais choix. J’avais surtout envie de quitter ce que je connaissais pour m’exprimer de cette façon aujourd’hui. Je voulais recréer une auberge, avec des chambres, une brasserie, un restaurant, bientôt une pâtisserie, et d’autres choses encore. Je voulais aussi recevoir à des prix « abordables », et à qualité égale, ce que vous mangez ici pour 95 €, ailleurs c’est le double ! La cuisine c’est des ingrédients, donc je laisse choisir les ingrédients et je les cuisine.
Y a t-il des plats que l’on peut retrouver en revenant chez vous ou tout change tous les jours ?
La carte qui change tous les jours, c’est pour les interviews, sinon ça n’existe pas ! Je n’ai pas assez de recul pour avoir des plats/signatures, et puis je travaille des produits du moment donc je suis plus juste en saisonnalité, en proximité et en justesse.
Vous n’avez pas peur des sauces, dirait-on ?
L’identité et la particularité de la cuisine française, c’est les sauces. C’est comme ça et on reconnaît notre cuisine grâce à des jus, à des bouillons, et c’est la différence avec toutes les autres cuisines du monde. Nous avons aussi la diversité des territoires, mot que je préfère à « terroirs » qui commence à faire « terroir caisse » !
Et la télévision dans tout ça ?
La télé me prend 20 jours par an, pas plus. Le reste du temps, je suis en cuisine et ici on peut me voir ! En fait, il y a ceux qui le font et qui sont jalousés, ceux qui ont voulu et qui n’ont pas pu, et ceux qui aimeraient mais qui n’y arrivent pas. Ça fait beaucoup de monde ! Pour moi, ce sont de belles rencontres, une exposition intéressante, et finalement passionnant pour moi.
Quand vous regardez derrière vous, quelles sont les trois dates ou les trois rencontres qui vous ont marqué ?
Mon professeur de l’Ecole Hôtelière de Tain-l’Hermitage. Bruno Cirino, qui est maintenant à La Turbie, est pour moi un des meilleurs cuisiniers en France mais c’est un caractère ! Culinairement, c’est un monstre et quand vous tombez sur un bon jour, c’est fantastique. Les trois étoiles au Plaza, un moment exceptionnel. Puis, quand même l’installation et l’ouverture ici, avec les deux étoiles en prime.
Vos deux dernières émotions, en vins et en cuisine ?
Un Hermitage rouge 1992 de Jean-Louis Chave. Une très belle émotion. D’ailleurs, comme j’ai une passion pour les livres, j’ai fait une bibliothèque dans une pièce du fond et je vais faire des dîners à thèmes avec des vignerons, uniquement sur réservation pour des tables de 6 personnes. Le premier sera Jean-Louis Chave. Pour le plat, sans tomber dans la caricature, je dirais la volaille avec des jeunes pommes de terre Bonotte de l’île de Noirmoutier, de l’ail nouveau, que m’a préparé ma femme un soir de la semaine dernière. C’est une cuisine qui me touche. Une cuisine ménagère et quotidienne, et c’est ce que je veux faire ici. L’instantanéité de la cuisine est essentielle car c’est ce qui aiguise le sentiment, et le sentiment fait toute la différence dans la cuisine.

79, rue Saint-Dominique
75007 Paris
Tél : 01 47 05 79 79
www.jfpiege.com
M° : La Tour Maubourg
Voiturier
Fermé samedi et dimanche
Réservation indispensable
Menu déjeuner : 85 € ( grignotages, 2 ingrédients, vins, dessert)
« Notre règle du je(u) » : 175 € (3 ingrédients, vins, et .. tout le reste)