Hier soir, à l’aéroport international de Ezeiza, Mauricio Macri a
pris un vol Air France pour Paris, avec son épouse et leur fille
d’une dizaine d’années. Officiellement, ils feront leur
quatorzaine en France puis se rendront à Zurich, où il est censé
prendre officiellement ses fonctions de président bénévole de la
Fondation FIFA, auxquelles l’a nommé son ami Gianni Infantino.
Ce voyage, qui se
voulait très discret (1), intervient à un moment
curieux. D’abord parce qu’en Argentine, l’épidémie fait des
ravages. On a déploré hier 153 morts, ce qui est le triple de ce
qu’il y avait au début du mois, et cela paraissait déjà un
chiffre énorme. Pour l’ancien président, cette indifférence à
la situation de son pays a de quoi suffoquer ses anciens électeurs.
Ensuite parce que l’alliance politique qu’il a fondée en 2014
entre les libéraux et les radicaux (les socio-démocrates ont
disparu de la circulation il y a belle lurette) semble sur le point
d’exploser à cause des désaccords de ses dirigeants qui naviguent
à vue (2). Enfin parce que les
instructions de la justice fédérale sur des scandales
politico-économiques se resserrent autour de la personne de Mauricio
Macri, puisque les perquisitions et les auditions diverses et variées
le mettent directement de plus en plus en cause dans diverses
malversations et mauvais usages des institutions d’État pendant
son mandat présidentiel de 2015 jusqu’à l’année dernière.
A gauche, certains
observateurs n’hésitent pas à évoquer une fuite à l’étranger
(comme on l’avait déjà suggéré à la mi-juillet lorsqu’il
était allé, en avion privé, au Paraguay pour des motifs très
flous à un moment où les activités de football sont empêchées
par la crise sanitaire, et plus tôt encore à la fin du mois de juin lorsqu'un ancien juge l'avait imaginé sur les ondes d'une radio de gauche appartenant au groupe Octubre).
Cette analyse se trouve noir sur blanc dans
les colonnes de Página/12, le quotidien du même groupe médiatique, ce qui n’est pas pour étonner.
Ce qui intrigue davantage, c’est que certains journaux de droite
n’ont pas l’air d’en être très loin. Bien sûr, ils ne
l’écrivent pas clairement mais les explications qu’ils invoquent
pour justifier ce voyage ne sont ni très convaincantes ni très
convaincues. Et comme tout le monde sait que pendant longtemps la
Fifa a bénéficié de certains privilèges d’extraterritorialité
et en bénéficie peut-être encore, l’idée que la famille soit en
train de fuir la justice argentine flotte dans l’air. En effet, à
quoi sert d’aller prendre ses fonctions à la Fifa si les activités
sportives sont paralysées dans tous les pays et en particulier ceux
où la fondation est censée exercer sa mission ?
Il est
toutefois prévu que Macri rentre en Argentine à la fin du mois
d’août.
Pour aller plus loin :
lire l’article de Página/12
lire l’article de La Prensa
lire l’article de Clarín
lire l’article de La Nación
Sur les difficultés
rencontrées récemment par Mauricio Macri :
lire l’article de Página/12 du 28 juillet sur le retournement de Alfredo
Cornejo
lire l’article de Página/12 du 29 juillet sur les revers judiciaires subis par
Mauricio Macri qui avait cherché en vain à empêcher que ses
téléphones fassent l’objet de perquisitions techniques,
lesquelles ont révélé des messages compromettants
lire l’article de Página/12 sur son site hier soir lorsque le départ en
famille de Mauricio Macri a été connu.
Ajout du 1er août 2020 :
Arrivé à Paris, Macri fait bisquer ses compatriotes en étalant la liberté que lui offre sa fortune personnelle (voyager en Europe) et conteste la légitimité des mesures prises par le gouvernement. Il parle d’un
régime sanitaire français "où l’on respecte la responsabilité des gens" (ce
qui n’est pas le sentiment des Français qui maudissent l'inconstance de la communication gouvernementale et le mauvais exemple donné par tant de responsables mais un homme politique argentin peut dire à peu près n’importe quoi sur ce type de sujet car ses compatriotes sont très mal informés sur ce qui se passe vraiment en Europe, entre autres parce qu’ils sont peu nombreux à maîtriser une autre
langue que la leur et n'ont donc que peu d'accès à des sources d'information hors du monde hispanophone). En parlant ainsi, il ment volontairement en oubliant de mentionner que le virus circule beaucoup activement en Amérique qu'en Europe et que notre "déconfinement" actuel vient après un pic épidémique qui a fait beaucoup de morts.
Le
ministère de la Justice a tenté de remettre les pendules à
l’heure en écartant l’hypothèse de la fuite (ce n’est pas une
affaire judiciaire) et en dénonçant le cynisme de ce voyage en
pleine crise (c’est une question d’éthique) :
lire
l’article de Página/12
sur la réaction ministérielle
lire
l’article de La Prensa
sur les déclarations de Macri à Paris
lire
l’article de Clarín
sur les déclarations de Mauricio Macri
lire
l’article de La Nación
sur le programme de Mauricio Macri à Paris où il va vivre une
« quarantaine » de pacotille aux yeux des Argentins
(tandis qu’à son retour au pays, il faudra qu’il ne dépasse pas
le seuil de sa maison – pas question d’aller faire un petit tour
au musée comme il l'envisage en France)
lire
l’article de La Nación
sur les déclarations du ministère, où le quotidien se contente de
reprendre la dépêche de l’agence Télam.
Ajout du 2 août 2020 :
lire mon article sur les réactions en Argentine et à Paris sur Barrio de Tango. Une manifestation est organisée pour protester contre la présence à Paris de Mauricio Macri dans des circonstances aussi critiques le lundi 3 août, esplanade des Droits de l'Homme, au Trocadéro, de 18h à 20h.
(1) La famille Macri a
été la dernière à passer la douane et à prendre place à bord du
Boeing 787 qui effectue cette liaison.
(2) Le leader de l’UCR,
le parti radical, Alfredo Cornejo, ancien gouverneur de la province
de Mendoza, menait jusqu’à présent une ligne dure, à côté de
Patricia Bullrich. Depuis quelques jours, il semble virer de bord et
tenter de se rapprocher de Horacio Rodríguez Larreta, le principal
élu favorable à une ligne de dialogue démocratique avec les élus
de la majorité nationale. Que Cornejo préfère désormais Larreta à
Macri semble indiquer que le règne politique de Macri est bel et
bien fini. Il est vrai aussi qu’il aurait été difficile pour lui
de se remettre d’une défaite aussi écrasante que celle qu’il a
subie l’année dernière. Si par-dessus cela, il doit comparaître
au tribunal, cela fait beaucoup pour un homme qui avait fondé toute
sa campagne électorale présidentielle de 2014 sur la lutte contre
la supposée corruption généralisée des péronistes.