Bonjour mes dévoreuses et dévoreurs !
J’avais participé comme toujours à la Masse Critique organisée par Babelio. J’étais comme à mon habitude sans espoir car je ne suis jamais retenue.
Or, cette fois-ci, j’ai reçu le mail magique !
Pitch de départ :
En 1990 France Télécom amorce son processus de restructuration, première marche vers la privatisation.
Michèle a atteint le grade d’Inspectrice Principale dans l’entreprise.
Elle présente le double handicap d’être une femme cadre dans une hiérarchie très masculinisée, et de gérer des services sociaux appelés à disparaître. Dans l’entreprise on gomme l’humain décrété non productif et coûteux, au profit de la rentabilité.
Un protocole de « Schémas de courbes de deuil » institué au mépris de toute humanité est censé pousser sans douleur, les indésirables vers la sortie…
Michèle Arnaud, entrée en écriture pour survivre, témoigne de ce procédé d’éviction qui a conduit certains de ses anciens collègues au suicide.
L’ironie douce-amère qui imprègne le récit en facilite la lecture, sans jamais masquer le poids de la souffrance au travail et sa répercussion sur le déroulement de la vie de l’auteure.
Détails techniques :
Auteure : Michèle Arnaud
Biographie : Michèle Arnaud est romancière. Elle est élevée dans un environnement où régnait le matriarcat. Après ses études à Nantes, épouse et mère de famille, elle se lance dans la course aux concours permettant une ascension rapide dans l’administration. Elle devient alors responsable des services sociaux au sein de France Télécoms à Nantes. Victime des mutations de l’entreprise, elle tourne la page et entre en écriture. À la suite d’un AVC, l’un de ses fils devint handicapé à l’âge de vingt-deux ans. Elle écrit « Ruptures » (2002), le livre de sa vie. Cette souffrance fut à l’origine de son engagement dans la vie associative. C’est dans ce contexte qu’elle rencontra Christophe Sauvé, un prêtre manouche. Lorsqu’il lui demanda d’écrire son histoire et celle de son peuple, elle accepta et écrit « Latcho Drom » (2009), Prix Solidarité 2011, suivi de « Femmes aux semelles de vent » (2012). Michèle Arnaud vit au Croisic.
Éditeur : Evidence Editions
Nombre de pages : 75 pages
Coût : 9 €
Ma note : 15/20
Mon avis :
Je remercie Babelio et Evidence Edition pour l’envoi de cet ouvrage. J’avoue qu’être sélectionnée lors d’une masse critique était dans ma wishlist. Même si ce livre est en dehors de ma zone de confort dirons-nous, je ne suis pas gênée outre-mesure, car je suis totalement adaptable et en mesure de lire de tout. Simplement, je lis de la romance parce que j’ai besoin d’avoir accès à un monde à des milliers de kilomètres de la réalité de mon travail.
Les thèmes abordés par Michèle Arnaud sont tout à fait d’actualité puisqu’on y retrouve le féminisme, la place de la femme dans le milieu professionnel, la dépression, le burn-out et le harcèlement quel que soit sa forme en entreprise.
Ce livre, n’est ni un roman, ni une auto-biographie, j’aurais tendance à le classer dans la profession de foi, le témoignage, car le format est court et sans fioriture.
Sur le fond, je savais que l’entreprise France Télécom était gangréné par des hommes (avec un petit h et petits tout court) dont le seul but est de traiter les femmes comme des incompétentes. Je savais également que cette entreprise était entachée par de nombreux suicides, nous les avons tous vus étalés dans la presse.
J’ignorais en revanche que l’entreprise relevait plus du goulag pour femmes à l’époque où l’auteure l’a intégrée que de l’entreprise « classique » que l’on imaginait. En effet, nous apprenons que le premier poste occupé par Michèle Arnaud consistait à enchainer un travail de façon mécanique sur six heures d’affilé avec des pauses pipi sous contrôle et minutées. Nous avons l’impression d’être dans un pays sous-développé et non pas en France au sein des PTT. L’époque y est certainement pour beaucoup même si le livre manque de repère de temps et de chronologie. J’ai d’ailleurs trouvé dommage qu’il n’y ait pas de références ou de situation dans le contexte historique et social afin de mieux situer le lecteur. Pour s’y retrouver et faire quelques connexions, il faut lire la petite bio en fin de livre.
L’auteure nous explique au début du récit qu’elle est issue d’un milieu de femmes fortes sans vraie présence masculine. Des femmes qui lui ont appris qu’elle ne devait pouvoir compter que sur elle-même et ne pas dépendre d’un homme pour vivre. Forte de ces conseils, Michèle Arnaud s’est lancée à corps perdu dans sa carrière. Certes, elle s’est mariée et a eu des enfants, mais elle n’a pour autant pas laissé de côté son rêve et ses ambitions de gravir les échelons. Elle a préparé concours sur concours jusqu’à atteindre un poste rarement dévolu à une femme. Ce succès lui a coûté son mariage, jalousée par un mari, lui aussi, employé France Télécom, mais à un échelon selon toute vraisemblance plus bas que celui de son épouse (rien n’est précisé à ce sujet).
Je n’ai pas trouvé logique de justifier son ambition en faisant référence à son éducation dispensée par des femmes fortes. J’ai pour ma part été élevée par un père, à une autre époque certes, qui m’a poussée à être meilleure que tous et surtout meilleure que les garçons. Il a fait en sorte que je vise toujours plus haut et il a fait de même avec ma sœur. Il nous a dit que la culture, le travail, et la lecture seraient nos meilleurs atouts. Je devais être irréprochable dans chaque matière. Je devais briller et je voulais briller. J’espère sincèrement que de nos jours tous les pères et toutes les mères incitent leurs enfants à viser les étoiles quel que soit le milieu dont ils sont issus.
Alors l’ambition et la réussite visées par Michèle Arnaud sont pour moi un état d’esprit et une volonté propre sous l’impulsion d’un parent homme ou femme.
De sa carrière chez France Télécom, il ressort qu’à chaque poste occupé, il y avait des hommes qui méprisaient son statut de femme, pour finir par le tolérer quand elle parvint à un poste à responsabilité. Puis, vint cet homme désigné pour couper des têtes qui sonna le glas de son avenir dans l’entreprise.
Cet homme qui la rétrograde car elle a utilisé sa voiture de fonction un soir pour faire deux-trois courses en rentrant chez elle. A cet instant, vous avez simplement envie de connaître le nom de cet homme et de le basher sur tous les réseaux.
La descente aux enfers commence là pour l’auteure : rétrogradée, humiliée, harcelée et poussée vers la retraite anticipée. Elle est obligée d’abandonner la lutte et personne ne peut lui en vouloir à ce stade.
Quant à la forme, c’est un livre bien écrit, nous sommes sur du langage soutenu voire très soutenu qui je le crains pourrait faire décrocher certain(e)s. Je crois cependant que c’est là ce que voulait l’auteure afin d’asseoir le fait qu’elle avait travaillé toute sa vie pour atteindre les plus hautes sphères de France Télécom et son maniement des mots et des connaissances à travers cette profession de foi conforte le lecteur dans cette idée d’avoir affaire à une femme brillante, méritante. Toutefois, certaines phrases sont trop longues, selon moi. De même, il y a un recours quasi systématique à la comparaison, aux métaphores et autres figures de style en tous genres. Leur utilisation est intéressante, cependant certaines métaphores m’ont semblé parfois inappropriées, car au lieu de marquer le propos et le rendre incisif, elles le nuançaient et par là-même lui enlevaient de la force.
Un ouvrage court, instructif et douloureux sur les méthodes de France Télécom pour évincer certains employés. L’écriture, malgré quelques lourdeurs, est relativement fluide et les pages défilent assez vite. Le format court permet d’avoir une vision sèche, crue et instantanée de l’enfer vécu par l’auteur. Mon seul bémol est sur l’absence de repères espace-temps afin de se situer et de mieux s’imprégner.
Lucie
Censurée : L’enfer France Télécom
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