La comédienne est vêtue du costume de scène qu'elle porte à la fin du film et il devient évident, à la réflexion, que Maïmouna Doucouré montre l'enfant enterrer sa vie d'avant, celle du temps où elle croyait à un foyer idéal, qui serait composé d'un père, d'une fille et d'un garçon et surtout d'une seule maman.
Arrive ensuite le générique et l'histoire nous est retracée en reprenant la chronologie. Il est probable que ce soit la nécessité de disposer d'une pièce de plus qui pousse la famille à emménager dans un nouvel immeuble où la gamine ne connait encore personne.
Elle se réjouit trop vite, croyant gagner une indépendance par rapport à son petit frère mais sa mère l'arrête net : Cette chambre elle est à personne.
Amy (
Fathia Youssouf) observe tout en silence, indécise, ballotée entre ce qu'elle va croire être la "vraie vie", celle de ses futures compagnes de jeu et de danse du collège et les séances de prières de la communauté féminine musulmane invoquant les anges qui lui font lever les yeux au ciel pour espérer les entrevoir. On découvre la très jeune fille, tête couverte, recevoir l’injonction de préserver sa pudeur, d'accorder l'obéissance au mari et de faire tout pour faire plaisir à sa maman.Cette dernière recommandation serait facile à suivre car son amour pour sa mère est immense mais elle ne comprend pas ce qui se trame et quand elle réalise que son père prend une seconde femme qui va venir du Sénégal avec lui pour vivre dans leur appartement, sous les yeux et avec la bénédiction (forcée) de sa mère elle ne peut pas cautionner ce modèle de vie puisqu'elle a compris qu'il rend sa maman très malheureuse.Elle découvre par hasard la liberté d'action (on réalisera plus tard que ce n'est pas tellement une liberté de pensée) de celles qui vont devenir ses nouvelles camarades, et ses nouveaux modèles car il lui faut bien s'intégrer dans l'un ou l'autre milieu ...
Elle va suivre leur modèle en faisant tout ce qu'elle peut pour s'identifier à ce qu'elle croit être un moyen de gagner une forme d'affranchissement. Elle franchit toutes les barrières, au sens propre comme au sens figuré, et malgré les déconvenues. Elle va se brûler les cheveux à vouloir les lisser avec un fer à repasser. Un caillou lui entaillera le front mais rien ne l'arrêtera tant leur impertinence la séduit. Elle est fascinée par une bande de délurées qui tient tête aux enseignants et qui sont les reines des réseaux sociaux. Cette vie là la tente plus que la contrainte socioculturelle de ses racines sénégalaises.
Un hasard lui permet de sauver la mise à Angelica (Medina El Aidi), qui est la leader du clan et qui va l'introniser. La gamine va se passionner pour le twerk, une danse sensuelle faite de déhanchés provocants qui lui permettra de ressentir des émotions nouvelles et elle va vite dépasser ses modèles. Tout s'accélère, aussi bien du coté familial où le père annonce son retour avec une femme qu'il va épouser en France en très grandes pompes, qu'au sein du groupe des Mignonnes, car tel est le nom de leur groupe, qui décident de participer à un concours de danse et qui travaillent d'arrache-pied une chorégraphie de plus en plus sexualisée.
Très vite Amy ne connait plus de limite, capable de voler un portable à un cousin, de regarder des images plus qu'érotiques à l’abri de son voile, de poster sur les réseaux sociaux, de s'infiltrer sans billet dans un espace de jeux de laser. Elles ont 11 ans mais affirment en avoir 14 (ce qui est déjà encore bien jeune) et s'affirment en défiant le monde adulte par toutes sortes d'actions. La scène où Coumba (Esther Gohourou) aguiche des jeunes hommes au Parc de la Villette est caractéristique : Est-ce que vous avez un petit 06, ... 07, .... 01 ?
Chacune est bridée dans sa famille, par une mère faussement permissive, par un frère maltraitant, souffre manifestement d'un manque d'amour et de reconnaissance, qui les rend dépendantes des likes reçus (ou pas) par leurs publications sur les réseaux sociaux, et aucune ne dispose d'un lieu de paroles sincères. On note combien leur niveau d'information est limité, surtout en matière de sexualité. Jess (Ilanah Cami-Goursolas) s’effraie de penser qu'on puisse attraper un cancer ou le sida rien qu’en touchant une capote. Et quand Aminata a ses premières règles sa mère (Maïmouna Gueye) n'explique rien, se satisfaisant de cette parole : Tu es une femme maintenant.
En ce sens on peut le considérer comme un cri d'alerte et il serait minable de débattre de la pertinence de montrer
frontalement des fillettes hypersexualisées pour dénoncer le phénomène, et pas seulement dans une communauté en particulier même si c'est elle qui est montrée ici. Je n'ai pas trouvé les images racoleuses ou choquantes même si bien sûr elles sont dérangeantes, mais ce n'est pas le premier film à secouer le spectateur et n'oublions pas qu'il s'agit d'une précisément d'une fiction, et pas d'un documentaire montrant la pure réalité.Je rappelle d'ailleurs que la polygamie n'est pas un sujet mineur et que très peu de journalistes s'y arrêtent, préférant envenimer la polémique autour de l'affiche promotionnelle retenue initialement par Netflix pour distribuer le film en ligne début septembre aux USA, rebaptisé Cuties sur le marché américain, et montrant les héroïnes préadolescentes, en tenues moulantes et suggestives. Les réseaux sociaux (décidément tyranniques ...) ont crié à la provocation et à la trahison de l'œuvre. La plateforme a dû faire machine arrière et s'excuse de dérapage.
Oui c'est perturbant, mais nécessaire. Et le casting est parfait. Trop peut-être ... puiqu'on a l'impression que personne ne joue. On connait déjà
Thérèse Mbissine Diop. C'est la première actrice noire qui joua un rôle principal dans un film de long métrage, celui d'Ousmane Sembène, La Noire de..., en 1966, et on va entendre parler de Fathia Youssouf car son talent est manifeste, lui permettant de passer de enfant à femme d'un plan à l'autre avec une aisance stupéfiante et toujours juste. Son talent et la douceur de la caméra permet de suivre l'action de son point de vue. On parvient à se placer à sa hauteur plutôt qu'être un adulte ou un juge.Maïmouna Doucouré est une réalisatrice réalisatrice franco-sénégalaise. Elle a fait des études de biologie avant de se lancer dans le cinéma suite à un concours de scénario qui lui permet de réaliser un premier film autoproduit, un court-métrage intitulé "Maman (s)". Il a remporté plus d’une soixantaine de récompenses dans près de 200 grands festivals internationaux, notamment le César du meilleur court-métrage en 2017. Elle y traitait déjà de la polygamie.
L'idée de Mignonnes lui a été inspirée par une scène de danse lascive entre
des jeunes filles de 11 ans surprise par hasard dans son quartier qui est le 19 ème arrondissement de Paris et qui fut à l'origine d'un gros travail d'enquête qui aboutit au scénario de son premier long-métrage dans lequel elle a ré-injecté l'arrivée d’une deuxième femme dans le foyer familial et qui est un vécu personnel. Elle dit avoir ensuite rencontré 700 jeunes filles pour trouver les actrices du film.Je voudrais enfin dire quelques mots de la musique composée par
Nicolas Nocchi (alias le producteur de hip-hop Niko Noki) qui signe des chansons originales sur lesquelles les fillettes s'initient à la danse. On entend un morceau latino "Dame Mas De Eso", et de courts instrumentaux electro comme "Lazer Game", "Pink Ladies". Mais aussi le majestueux et quasi religieux morceau de Vivaldi "Nisi Dominus (Psalm 126), R 608".A la toute fin, alors qu'Amy redevient une enfant c'est la magnifique chanson de Amanke Dionti qui accompagne les dernières images et le générique, que je vous invite à écouter (en méditant les paroles d'introduction de l'artiste qui la situe dans un contexte précédent).Mignonnes, premier long-métrage de Maïmouna Doucouré
Avec Fathia Youssouf (Amy), Medina El Aidi (Angelica), Esther Gohourou (Coumba), Ilanah Cami-Goursolas (Jess), Thérèse Mbissine Diop (la tante), Maïmouna Gueye (la mère)Prix de la Meilleure Réalisation au Festival de Sundance en janvier 2020
Mention Spéciale du Jury International à la Berlinale en février 2020
En salles depuis le 19 août 2020