Jeanne travaille comme auxiliaire dans une maternité de Marseille. Nuit et jour, Jeanne et ses collègues se battent pour défendre les mères et leurs bébés face au manque d’effectif et à la pression permanente de leur direction. Jeanne vit avec Zoé, sa fille de 18 ans, qu’elle élève seule. Lorsqu’un drame survient à la maternité et que Zoé part étudier à Paris, le passé secret de Jeanne resurgit soudain et la pousse à affirmer ses choix de vie.J'ai été déroutée par des détails, comme le prénom de héroïne (Béatrice dans le roman, Jeanne dans le film, interprétée par Sandrine Bonnaire dont on a le sentiment qu'elle a toujours été sage-femme), le nombre et l'âge de ses enfants (elle n'a plus qu'une fille, de 18 ans, mais elle est là aussi seule pour l'élever) qui ne s'appelle plus Norma mais Zoé alors que le pédiatre (Stéphane Debac) a gardé son patronyme, Docteur Mille (p. 41). Et Francesca est devenue Sylvie pour, dans le film, occuper une place de modèle alors que dans le roman elle n'a pas la chance de Sylvie (Aure Atika) et perd sa place suite à une erreur qui lui est imputée.
Ce sont essentiellement des femmes qui travaillent en maternité, les hommes sont trop fragiles, le peu que j'ai croisé craquent très vite, ce n'est pas beau à voir (p. 12). Quand ils sont présents, ils occupent souvent un poste de chef de service.Présente à la projection avec la réalisatrice, Marion Laine, dont c'est le troisième film, Julie Bonnie confirmera que le Docteur Mille n’est pas une caricature (elle dira même en avoir rencontré de bien pires), alors qu’il peut parfois apparaître comme tel pour nous qui ne connaissons pas cet univers de l’intérieur ou qui en avons une perception tronquée par une expérience ancienne, du temps où le nombre de jours d’hospitalisation n’était pas si drastiquement compté. Aujourd'hui on ne garde une femme ayant subi une césarienne que quatre jours, ce qui est très peu.
On retrouve, et c'est logique, plusieurs des situations qui sont décrites dans le roman, aussi bien parmi les accouchées que des détails de la vie courante comme l'accueil des stagiaires (l'une d'elles interprétée par Kenza Fortas est très représentative et sa transformation au contact de ses collègues est magnifique) ou l'usage des bas de contention (p. 72).
Le plus différent est sans doute la recherche de "normalité" du personnage du roman qui déploie une énergie dingue pour être lisse, transparente, se contenir pour surtout ne pas exploser (p. 39) même s'il y a de fortes ressemblances entre les deux femmes.
Dans le livre elle était danseuse nue dans sa vie d'avant et son passé surgit beaucoup plus tôt au fil des pages. Dans le film c'est une accouchée qui est danseuse (et on remarque combien Jeanne incite sur cette particularité) et elle est chanteuse, et dans un univers proche. Je ne suis pas en train de regretter la liberté d'écriture. Je sais bien, comme le disait François Truffaut qu'adapter c’est trahir.
Je trouve d'ailleurs le film de Marion Laine admirablement réussi et j'ai bien compris, pendant la projection, combien il était respectueux du point de vue de Julie Bonnie puisque lorsque Jeanne dit avoir fait la première partie d'un concert de Louise Attaque je sais bien que dans sa vraie vie -celle d'avant avoir été auxiliaire de puériculture car elle le fut aussi- Julie Bonnie a effectivement assuré ce concert.J'ai retrouvé de nombreux autres éléments figurant dans un autre de ses livres, C'est toi maman sur la photo ? qui est une sorte d'autobiographie. C'est juste que j'ai cru à de multiples reprises que ma mémoire me jouait des tours et voilà pourquoi j'en préviens les spectateurs qui ont lu le roman et qui s'en souviennent.
Il est aussi très agréable d'entendre chanter Sandrine Bonnaire "Mon air c'est de l'eau" qui a été écrite par Julie Bonnie.
Je ne m'étais pas arrêtée sur la citation It's better to burn out than to fade away, qui figure en exergue du roman et qui était la devise du compagnon de (p. 59) et qui a été -je pense- conservée dans le film : Il vaut mieux brûler que disparaître.
Le scénario traduit parfaitement le lien, évidemment analysé dans le roman, et qui existe entre donner la vie/donner la mort (p. 92). Les images sont très fortes et on partage les émotions des auxiliaires de puériculture et des parents.La pression sur le personnel est plus marquée encore, ou plus visible dans le film. Par contre on ne les sent jamais "incapables" (p. 94) mais placées en situation de contraintes telles qu'elles ne peuvent que difficilement éviter de faire des erreurs. Nous sommes sans doute aussi davantage sensibilisés à la pression administrative depuis la crise sanitaire. Par voie de conséquence le film donne davantage la parole au personnel qu'aux patientes comme le fait le roman. Et le combat pour maintenir le droit à l'IVG est lui aussi plus présent. Plus tard on se adhèrera pleinement au projet de Francesca de créer une Maison de naissance.Le film commence par un gros plan sur le ventre d’une femme enceinte et on entend les battements cardiaques de son bébé dont les mouvements se remarquent sous la peau tendue. La référence au ressenti de X est évident qui évoque le souvenir de la chaleur et des petits coups de pieds de son fils (p. 118).Le ton est léger. On reconnait l'affiche du film au moment où Sandrine Bonnaire prend le bébé dans ses bras. Les images d'un premier bain sont idylliques ... mais l'accident est proche. On apprend la mort d'un bébé mort d'une femme qui a été placée dans la 2 (allusion directe au titre de Chambre 2).
Plusieurs éléments ont été induits par les partenariats comme l'expliquera plus tard Marion Laine aux spectateurs : le choix d'une maternité marseillaise, celle de Martigues, ou un tournage en bord de mer à proximité de La Rochelle.
Il serait erroné d'y voir des femmes contre des hommes. Il se trouve que les maternités sont des lieux très investis par les femmes mais ce n'est pas ce sujet qui importe. La réalisatrice a tenu à faire un film qui parle des femmes et elle s'y emploie avec justesse. Elle voulait aussi montrer que la maternité c’est aussi l’enfant qui grandit et qui s’en va, voilà pourquoi Zoé, la fille de Jeanne, quitte le cocon familial. Elle a d'excellentes relations avec sa fille même si celle-ci la bouscule particulièrement au début du film.Elle a aussi introduit dans le scénario des moments de rêve et de flash-backs où l’actrice qui joue Sandrine Bonnaire jeune, dont le nom de scène est Norma, n’est pas elle mais Elsa Madeleine. Cela n'empêche pas Sandrine de surgir pour en quelque sorte régler ses comptes à un personnage comme on peut tous le faire en pensée, en ayant conscience que l'on vit un fantasme, mais en se disant qu'aujourd'hui on agirait différemment.
Elle a ajouté d'autres éléments comme la plongée en apnée, et la présence de la méduse fétiche, l’animal le plus vieux de la terre, mais qui est surtout une allusion au passé de Jeanne dans le trio des Jelly Fishs. Elle se séparera de cet objet qui pend au rétroviseur de sa voiture au moment où les cendres de son ex-compagnon seront dispersées au-dessus des flots. Auparavant elle aura fait le lien entre ses deux métiers (on pourrait dire ses deux vies) en laissant tomber sur le sol de la confiture de fraises, rouge comme le sang qu'elle a sur les mains pendant les accouchements, et en dessinant dans la tache une méduse du bout d'un orteil alors qu'elle écoute une émission de radio où il est question de dripping, technique tant employée par le peintre Jackson Pollock.
La mort est un sujet qui innerve tous ses films et elle lève le tabou à plusieurs moments. Julie Bonnie confirme qu'elle a vu beaucoup de femmes préoccupées par des pensées macabres au moment de leur accouchement. Donner la vie c’est potentiellement donner la mort. Finir avec le choeur de sages-femmes chantant collectivement "Mamy Blue" d'Hubert Giraud est une référence à la mort de la mère, même si celle-ci n'est pas montrée, pas davantage que l'enterrement d'Abel.La bande-son est elle aussi très soignée, et on comprend l'enjeu. la voix de Frida Boccara résonne gravement quand elle interprète Les Moulins de mon coeur de Michel Legrand dans la scène du plan séquence avec Zoé apparaissant à plusieurs âges.
Julie Bonnie est réellement devenue auxiliaire de puéricultrice et a travaillé une dizaine d'années dans ce milieu après avoir été chanteuse. Elle continue la musique différemment puisqu’elle s’adresse maintenant à un public de tout petits. Chambre 2 était son premier roman elle en a écrit cinq depuis et se tourne désormais vers le lectorat jeunesse.
Marion Laine a fait des études de lettres, d’arabe, puis une école de théâtre et a été actrice pour la télévision et le cinéma. Elle a fait quatre court-métrages. Sandrine Bonnaire était déjà l'interprète principale de son premier film, Un cœur simple, d’après un conte de Flaubert. Il était donc naturel de la refaire travailler, à condition, précise-t-elle en souriant qu'elle accepte de se couper les cheveux et de porter des chaussures plates parce que c'est ainsi qu'elle voyait Jeanne.
Marion était déjà dans l'univers médical avec A cœur ouvert, adapté d'un roman de Mathias Enard, Remonter l'Orénoque avec Juliette Binoche et Edgar Ramirez, qui forment un couple de chirurgiens cardiaques. Elle va entrer en préparation de son prochain film et cette soirée-débat fut à la fois la première qu'elle a acceptée avec Julie et sa dernière car elle ne sera plus disponible.
Les deux femmes se connaissent depuis 15 ans. Marion se souvient de plusieurs de ses concerts et avait reçu son témoignage sur l'hôpital comme un cri. Craignant une adaptation trop sombre elle lui demanda si elle pouvait inclure des éléments de sa vie et le résultat est très lumineux. C'est une chance de les avoir vues ensemble ce soir au Sélect d'Antony grâce à la détermination de Christine Beauchemin-Flot qui y présente toujours des rencontres de qualité.
Voir le jour, de Marion LaineScénario de Marion Laine, avec la collaboration de Julie Bonnie et Laura PianiAvec Sandrine Bonnaire, Brigitte Roüan, Aure Atika, Sarah Stern, Kenza Fortas, Alice Botté, Lucie Fagedet ...Dépôt légal 2019, sortie en salles le 12 août 2020