Magazine Culture

Sortir (du placard) de la dépression

Par Aurealisations

Il y a plus d'un an maintenant, Facebook m'a proposé une photo " souvenir d'il y a 8 ans ". Et il y a plus d'un an, cela me semblait être comme si c'était hier tellement c'était encore fort. Aujourd'hui, cela me semble être beaucoup plus loin, et il est maintenant temps pour moi d'en parler.

Il y a plus d'un an donc que j'ai commencé à écrire cet article. Au départ, c'était un coup de gueule, une colère enfin mise au grand jour. C'est ensuite devenu un texte à l'abandon, par confusion, par peur, par manque de temps. Mais comme je n'avais pas encore dit ouvertement ma réalité, cela me tournait dans la tête : Combien de personnes connaissaient réellement le goût qu'avait eu ma vie jusqu'à maintenant ? Seulement quelques unes. (Je mesure bien la chance de les avoir eues ces personnes-là.) Aujourd'hui, c'est une révélation, une affirmation de soi. Plusieurs pages à écrire, puis à tourner.

Cette fameuse photo facebookienne porte une histoire que j'hésite à dévoiler depuis longtemps parce que...

j'ai décidé de parler.

Certains seront surpris d'apprendre ce qui suit. D'autres pas du tout. Certains se demanderont comment ils ont pu passer à côté de ça. D'autres se demanderont comment j'ai pu moi-même passer à côté de ça, tellement c'était " é-vi-dent ".

Certains vont mieux comprendre. Certains vont découvrir pourquoi j'avais des difficultés, pourquoi j'étais " spé ", " bizarre ". Certains vont applaudir. Certains trouveront incompréhensible que cela soulage de parler de ce genre de choses en public (parler permet de se distancier, de défusionner. C'est une façon de dire " J'ai subi/Je subis ça mais je ne suis pas ça. ".)

Alors, allons-y, balançons et dissocions : plusieurs fois dans ma vie, j'ai souffert de dépression. De dépression infantile précoce. De dépression latente. De dépression flagrante. De dépression dormante. De dépression ennemie. De dépression transformatrice. Tout cela en l'espace de 33 ans. D'ailleurs, je n'étais pas simplement " en dépression ". J'étais ma dépression. J'étais ce trou noir. C'était moi. Je n'étais rien d'autre. Je ne connaissais rien d'autre.

Ainsi, nombreuses sont les personnes qui ne m'ont pas vraiment connue à cause de la dépression. Elles pensent m'avoir connue mais elle ne m'ont connue que d'une certaine façon. Pas " pour de vrai ", pas " à 100 % ", pas " sans l'ombre de la dépression ". Comment auraient-elles pu ? Cette personne-là, qui j'étais vraiment, je ne la connaissais même pas moi-même. Peu nombreux sont les gens qui ont su voir et misé sur le fait qu'il y avait quelque chose d'autre derrière le masque, plus ou moins réussi que je mettais pour fonctionner face au monde extérieur/cacher tout ça et derrière les comportements et conséquences pourris guidés par mon mal-être. C'est ce que j'étais.

J'ai perdu des gens à cause de la dépression. Et aussi, ironiquement, pendant et à la fin de mon processus de guérison. J'ai perdu des connaissances, des potes, des amis, des membres de ma famille. Certaines personnes me manquent, c'est vrai (pas toutes). Elles se sont éloignées. Parce que j'ai involontairement lâché certains démons au grand jour et que je n'ai pas toujours montré mes meilleures facettes. Parce que je ne contrôlais pas toujours vraiment consciemment ce que je faisais et que je faisais des trucs qu'en réalité, je ne voulais pas vraiment faire. (C'est d'ailleurs assez ignoble de se rendre compte qu'on est devenu∙e, sans en avoir conscience et sans le vouloir, des choses qu'on déteste absolument.) Parce qu'elles ne comprenaient pas ce que je faisais ni d'où je venais. Parce que ma démarche pour m'en sortir leur déplaisait clairement. Parce que mon évolution ne collait plus à la leur.

" Trop compliquée ". " Trop chiante ". " Trop lourde ". Et vous savez quoi ? J'ai été tout ça. " Trop compliquée ". " Trop chiante ". " Trop lourde ". Mais certains sont quand même restés. Ils m'ont naturellement accordé un peu de crédit alors que je pensais que je n'en méritais aucun de personne, et que je ne voyais pas pourquoi on m'en donnait.

À tous ceux qui ont, de près ou de loin, subi/souffert d'une ou plusieurs conséquences de mon mal-être, je présente toutes mes excuses. J'en suis désolée, sincèrement. Tout ce que je peux dire c'est que j'ai cherché à aller mieux, j'ai travaillé dur, je ne suis pas restée à me morfondre ni à me cacher derrière des excuses de victime innocente qui devient à son tour bourreau. J'ai essayé d'avancer, bon an mal an. Je me suis battue bec et ongles pour me déterrer moi-même sous un monticule de choses pourries aux multiples racines. J'ai lutté vraiment dur pour ne plus être ma dépression, pour ne plus me confondre avec la dépression, pour me distinguer d'elle.

(Petite parenthèse : D'ailleurs, la dépression n'est qu'un ensemble de symptômes dus à des manquements et schémas, et non pas une entité propre en elle-même à la base, comme nous le verrons plus tard dans cet article. Je devrais donc dire " J'ai lutté tellement dur pour ne plus être ces manquements et schémas, pour me distinguer d'eux ". Mais pour l'instant, par souci de simplification, généralisons et appelons l'ensemble " Dépression ".)

Ce fut un combat plutôt solitaire. Car personne ne peut le faire à votre place. Car les autres ne peuvent " que " vous aider dans une certaine mesure, malgré leurs meilleures intentions. Vous êtes un Jedi qui affronte ses peurs chaque jour et personne ne le sait ni ne le mesure de façon exacte... Pire, certains vous prennent pour une fêlée du bocal, une inadaptée, une faible, une entité incurable habitée par une Force obscure, une feignasse, une profiteuse, une personne " toxique " (c'est à la mode)...

∞ Entendre ∞

La fameuse photo à l'origine de cet article a été prise en 2011, peu après que j'ai atteint le point le plus bas de ma vie. Et la première fois que j'ai osé (un peu) parler de mon mal-être, on m'a dit :

  • " Mais non ! À 25 ans, connaître la dépression, c'est impossible ! " ;
  • " Tu n'as pas assez d'expérience pour parler de dépression. " ;
  • " C'est bon, tout le monde a connu des coups durs, hein, faut pas être aussi chochotte. " ;
  • (Et la fameuse déclinaison de " Mange tes haricots, y'a des enfants en Afrique qui meurent de faim " version Dépression 🙂 " Arrête de te plaindre. T'as tout pour être heureuse, y'a des gens qui vivent bien pire que toi. ".

Traduction : " Tu n'as aucune raison d'être en dépression, alors arrête. ".

On pourrait croire que je charge les personnes qui m'ont administré ces " conseils " mais en réalité, je ne blâme (plus) personne. Parce que c'est la " sagesse " populaire de dire tout ça. Parce que les gens " ne savent pas ". Parce que les gens ne sont pas à votre place. Parce que les gens ont peur de la dépression (et du mot en lui-même). Parce que finalement, on en sait beaucoup et peu à la fois sur la dépression (c'est notamment pour cette raison qu'il faut faire bouger les choses !).

En outre, à l'époque, je me suis moi-même également rangée du côté de ceux qui minimisaient mon ressenti et/ou ne voulaient pas le voir et/ou ne disaient rien. C'était plus " facile ". Je m'étais tu(é)e toute ma vie. J'avais ignoré jusqu'à maintenant quelle jungle était ma tête, mon esprit, ma façon de fonctionner. Je pouvais très bien continuer.

Alors, j'ai de nouveau arrêté de parler. J'ai resupporté. J'ai continué avec (ce que je pensais être) ma jolie personnalité de façade. Même si mon mal-être devait se voir comme le nez au milieu de la figure.

L'ironie c'est que, quelques années plus tard, on m'a reproché, à l'inverse, de trop parler de la dépression et des troubles psychologiques. Pour quelqu'un qui a avait passé presque trois décennies de sa vie à nier qu'elle surnageait en silence, c'était un vrai comble. Je suppose que lorsqu'on ose desserrer une ceinture qui nous enserre le ventre, le cœur et la tête, on ne peux pas lâcher juste un peu de lest : on décale les crans de la ceinture de 12 trous d'un seul coup ! Une fois la parole libérée, on a tendance à raconter toujours la même histoire dans l'espoir qu'un jour on soit capable de lui donner un sens et qu'un jour on soit entendu∙e.

(Petite parenthèse : Ce que j'ai appris là-dedans (entre autres), c'est qu'être entendu∙e des autres, c'est bien, ça fait du bien, mais qu'être entendu∙e de soi-même, c'est mieux. Ça fait toute la différence entre un mental sain et un mental affecté/infecté. Pourtant, s'entendre nous-même, ce n'est pas un réflexe. Parce que la connexion à soi-même n'est pas cultivée dans notre société : on passe notre temps à se faire aspirer par le monde extérieur : performances, divertissements à outrance, importance de rester dans la norme (pour se faire accepter et pas rejeté∙e) et parce qu'on est entraînés à éviter de ressentir toute émotion dite " négative ". En réalité, une émotion peut être " désagréable ", mais pas " négative ". Elle ne devient " négative " et " toxique " que si son message n'est pas entendu et qu'elle pourrit à l'intérieur de nous. Ainsi, le serpent qui se mord la queue : on n'est pas fan de ressentir des trucs désagréables, on se divertit, les émotions pourrissent, c'est pire, on ne veut encore moins ressentir, on se divertit encore plus, les émotions pourrissantes pourrissent encore plus, c'est encore pire, etc.)

J'ai donc longtemps attendu que les gens " entendent ", " valident " et me " libèrent " de ma dépression. Qu'ils comprennent. Qu'ils comprennent à ma place. Mais personne ne pouvait comprendre à ma place l'équation complexe dont ma dépression était le résultat. Personne. Ils pouvaient m'aider à chercher et à trouver bien sûr (et ce fut capital) mais ils ne pouvaient pas me donner la combinaison exacte du cadenas. Personne ne pouvait avec exactitude associer toutes les données qui m'avait rendue dépressive, à part moi.

∞ Les " raisons " ∞

À ce stade, vous souhaitez certainement comprendre vous aussi : " Qu'a-t-elle vécu de si terrible ? Qui lui a fait quoi ? Que s'est -il passé ? ".

La réponse honnête à ces questions est (raccord avec ce qui est mentionné plus haut) : " Certainement rien que vous trouveriez si affreux qui justifierait une dépression à vos yeux ".

Pourquoi cette réponse ? Parce que plein de gens ont en tête une liste de " raisons valables qui justifient une dépression ". Problème : la version de cette liste qui existe dans la vaste majorité de l'inconscient collectif n'est pas du tout à jour.

Bien sûr, nous ne pouvons pas tous nous pencher sur tous les problèmes de la Terre pour nous assurer qu'on a bien fait le tour de tous les sujets. C'est bien normal. Mais puisque vous êtes là, faisons ensemble, quelques pas de plus sur ce sujet car, pour répondre à vos questions, il nous faut en passer par là...

Par conséquent, c'est plutôt à moi de vous poser une question : quelles raisons justifient, selon vous, une dépression ? Qu'est-ce qui vous vient en premier à l'esprit ?

...

...

...

Un traumatisme physique ? Un horrible événement ponctuel clairement identifiable ? Des conditions matérielles déplorables ? Une faiblesse mentale ? Un peu de chaque ? Tout cela à la fois ?

Ok, clarifions cela sous forme de liste :

  1. La dépression a pour origine un trauma physique : après un accident, on accuse le coup, c'est normal (mais il ne faut pas que ça dure trop longtemps, hein).
  2. La dépression a pour origine un choc violent et ponctuel : un événement tragique peut nous propulser dans la dépression, c'est normal.
  3. La dépression a pour origine une cause relativement récente et identifiable : ce n'est pas super logique de souffrir d'un truc donc on a pas conscience, qui plus est pendant des lustres. On n'est pas débiles quand même.
  4. La dépression touche les personnes dont la vie matérielle est précaire : vivre dans de mauvaises conditions facilite la dépression, c'est normal.
  5. La dépression, ça vient d'une défaillance cérébrale : certains souffrent d'un dysfonctionnement, c'est clair.

Toutes ces raisons sont parfaitement légitimes. L'incertitude, la fragilité, la dureté et la finitude de la vie, c'est pas de la tarte à avaler pour un petit humain. Y'a de quoi s'en faire. Et c'est aussi tout à fait possible de souffrir de dysfonctionnements cérébraux qui entraînent une dépression.

Mais se baser uniquement sur ces facteurs pour " valider " une dépression, c'est mal connaître la dépression, c'est exclure et ignorer toutes les personnes qui sont concernées par les affirmations ci-après (et d'autres) et c'est retarder/empêcher leur traitement.

D'ailleurs, en examinant bien la question, vous aussi, vous savez, en vrai, tout ce qui va suivre...

    Oui, bien sûr, vous le savez bien, en grattant un tout petit peu, que la dépression peut avoir pour origine un accident physique mais pas seulement. Que la dépression ne concerne pas seulement les personnes maltraitées physiquement ou les personnes atteintes d'une pathologie physique. Qu'elle concerne tout autant les personnes en forme physiquement mais maltraitées psychologiquement ou atteintes d'une pathologie psychologique.

Précisons en outre que si la violence psychologique se caractérise par des d'abus verbaux (insultes, reproches, critiques, etc.) et mentaux (manipulation, menaces, anéantissement de l'individualité), c'est AUSSI l'absence de bons traitements psychologiques (un environnement insuffisamment sain, insuffisamment aimant, insuffisamment sécurisant, insuffisamment encourageant, insuffisamment épanouissant). Une personne mal en point physiquement = une personne mal en point psychologiquement = une personne qui manque de bons traitements, physiques ou psychologiques.

Étoffons donc notre liste de raisons " justifiant " une dépression en rajoutant " Manquements au niveau du développement psychologique ".

2. Oui, bien sûr, vous le savez bien, en grattant un petit peu, que la dépression peut avoir pour origine un choc violent et ponctuel mais pas seulement. Que la dépression peut également venir d'apprentissages répétés, de conditionnements réguliers perçus comme " ordinaires " mais toujours soul-crushing (écrasants). Il existe des règles universelles à l'épanouissement minimum d'une âme vivant une expérience humaine. Et même si on ne les connaît pas toutes précisément, si elles ne sont pas un tant soit peu respectées (cf. la violence psychologique susmentionnée) ou si des règles visant l'effet inverse sont instaurées, la dépression peut s'installer, lentement, doucement, imperceptiblement, de façon " normale ". Elle se construit, parfois, sur plusieurs (dizaines d')années. Comme une minuscule fuite d'eau qui provoquera plus tard une énorme tâche de moisissures au plafond. Et on se demandera " Hum, qu'est-ce qui a bien pu provoquer ça ? ".

Étoffons donc notre liste de raisons " justifiant " une dépression en rajoutant " Conditionnements répétés, délétères et 'ordinaires' ".

3. Oui, vous le savez, en grattant un peu, que la dépression peut avoir une cause relativement récente et identifiable, mais pas seulement. Qu'elle peut prendre sa source dans un passé lointain (qu'on a peut-être même pas connu) et/ou que son origine peut être floue à première/seconde/troisième/.../treizième vue. C'est vrai que cela peut sembler illogique de souffrir de quelque chose qui remonte à Mathusalem et qu'on a du mal à identifier. Mais c'est comme pour le physique, on peut tout à fait souffrir d'un vieil antécédent et avoir mal avant de savoir de quoi il retourne vraiment.

Il n'y a rien de magique à constater qu'un traumatisme non soigné depuis des années et que vous avez " presque oublié "/qui semble être " insignifiant " ou qu'un traumatisme au niveau de vos (arrière-)(grands-)parents fasse encore planer des ombres à votre niveau. Le vecteur de la dépression, ce n'est pas de la magie, c'est une ou plusieurs mauvaises choses qui se sont produites, des émotions pas gérées (qui ont possiblement pris de l'ampleur), des comportements de compensation qui se sont installés avec leurs conséquences (actions et résultats guidés par le trauma et non par la liberté d'être), une ambiance qui s'est perpétuée et qui a possiblement attiré d'autres choses au fil du temps (cf. les schémas répétés susmentionnés). Et cela depuis des dizaines d'années dans votre vie et/ou depuis des générations dans votre famille.

(Attention : ce n'est pas parce que vos ascendants étaient dépressifs que vous le serez ! Il est possible que vous ayez hérité d'un ADN familial altéré par la dépression et de schémas vous plaçant vous dans une tendance à la dépression. Il est possible d'intégrer ce fonctionnement problématique et, par la suite, de l'auto-alimenter soi-même et de continuer à le perpétuer plus ou moins volontairement/consciemment... Comme il est tout à fait possible de s'éloigner de tout cela, de vivre autrement, et ce dès le départ, grâce à différentes combinaisons de facteurs salvateurs.)

Passé compliqué ou non, il n'y a également rien d'étonnant à ne pas facilement identifier la cause d'une dépression. Les mondes du conscient et de l'inconscient sont de vrais labyrinthes. Ce qu'on peut et doit identifier, en revanche, ce sont les conséquences précises dans le présent. C'est à partir de là qu'il faut commencer à tirer le fil de la pelote d'Ariane qu'on cherche à démêler. (Attention toutefois dans cette quête, à ne pas confondre " cause " et " élément déclencheur ". Ce serait comme attribuer votre allergie aux arachides à la cacahuète que vous avez mangée à l'apéro hier soir.)

Étoffons donc notre liste de raisons " justifiant " une dépression en rajoutant " Trucs qui ont pourri au fil du temps et/ou non reconnaissables à première vue ".

4. Oui, vous le savez, à la réflexion, que la dépression peut toucher les personnes dont la vie matérielle est précaire mais pas seulement. Que la dépression peut advenir dans n'importe quel milieu social, et qu'elle peut même toucher n'importe qui, à n'importe quel âge. L'une des personnes qui a, selon moi, le mieux exprimé la nature commune de la dépression (bien qu'elle se décline à l'infini en fonction des individus) est Céline Curiol dans sa conférence TED (disponible ici).

Voici ce qu'elle dit : " La dépression sévit dans tous les milieux, dans toutes les classes sociales, et même si certaines personnes y sont prédisposées génétiquement, elle peut toucher n'importe qui. Vous allez me dire 'N'importe qui, sans raison ?'. Oui. [...] C'est une concordance de faits qui, entrant en résonance avec une faiblesse singulière de l'individu, initie chez lui la dépression. "

Qui peut donc décemment se dire totalement hors de portée de la dépression en tant qu'humain avec ses forces et ses faiblesses, ses courages et ses peurs, riche ou pauvre ?

En outre, si vous croyez que les enfants sont préservés de la dépression car " ils ne connaissent encore rien à la vie " et qu'ils ne peuvent donc pas développer une structure mentale dépressive, détrompez-vous. La seule chose qu'ils ne connaissent pas vraiment à ce stade, c'est le mot et le concept de dépression.

Étoffons donc notre liste de raisons " justifiant " une dépression en rajoutant " Résonance avec une faiblesse singulière ".

5. Et oui, maintenant vous le savez aussi, parce qu'on vient d'en parler, que la dépression peut venir d'un dysfonctionnement cérébral, mais pas seulement. Que oui, il y a dysfonctionnement mental mais pas forcément dans le sens d'avoir un cerveau irrémédiablement malade ou endommagé. Que c'est aussi potentiellement dans le sens d'avoir des schémas mentaux à la con (parfois profondément) ancrés dans nos petites têtes d'humains qui ne valent pas mieux qu'une douzaine de poissons rouges dans leur bocal quand il s'agit de comprendre l'univers et ses mystères (notamment celui du fonctionnement du psychisme).

Étoffons donc notre liste de raisons " justifiant " une dépression en rajoutant " Raisonnements automatiques néfastes ".

Après avoir longtemps nié mon mal-être, j'ai donc ensuite longtemps culpabilisé de souffrir car je ne remplissais pas les critères de la première liste de " raisons valables justifiant d'aller mal ". Pas de maltraitances physiques, pas de traumatisme violent précis, pas de cause présente identifiable, j'étais jeune, sans problème matériel majeur (" juste " les problèmes lambda du quotidien d'une fille de 20-30 ans), ayant la chance de pas souffrir de pathologies cérébrales particulières...

Mais, je souffrais physiquement, " pour de vrai ". J'avais des symptômes physiques bien concrets (vertiges, crises d'angoisse, malaises, etc.). Car si la dépression commence par une activité mentale délétère, elle devient aussi très physique. On ne compte d'ailleurs plus les études scientifiques démontrant les conséquences de l'activité mentale sur les gênes, les connexions neuronales, l'atrophie ou l'hypertrophie d'une zone du cerveau et le (dys)fonctionnement de nombreux organes. Il ne s'agit plus seulement de traîner des pensées qui ne font pas du bien (parfois tellement furtives qu'on ne les voit pas) mais d'en subir les effets chimiques/physiques (fatigues, difficultés à bouger, efforts énormes pour effectuer une tâche " simple ", somatisations, maladies). La dépression est d'ailleurs conçue comme ça : pour vous arrêter littéralement. C'est un système qui prend le dessus sur tout le reste car, même s'il n'est pas super au point sur l'identification des vraies causes du mal-être, il y a mal-être, donc elle dit " STOP ! ". Ainsi le combat ne se joue plus uniquement dans la tête, il passe aussi par le corps. Le physique a d'ailleurs été mon point de pivot. C'est bien souvent quand le corps s'exprime fort (voire lâche) qu'on s'attaque vraiment au problème... C'est là que j'ai dû étendre ma liste.

J'avais des causes psychologiques, répétées et " ordinaires ", qui prenaient leurs racines dans des schémas lointains devenus quasi invisibles avec le temps et formant une faiblesse singulière qui avait, à son tour, instauré des schémas à la con dans mon cerveau sans même que j'en ai conscience. Résultat : j'étais bel et bien diplômée d'un Master 2 en Dépression et Mal-être, spécialisation principale : Trouble anxieux généralisé. Et j'excellais dans le domaine.

(Pour récap, voici la liste augmentée, mais non exhaustive, des " raisons pouvant justifier une dépression " :

  • Traumas physiques ET manquements psychologiques au développement et à l'épanouissement ;
  • Choc violent et ponctuel ET conditionnements répétés, délétères et " ordinaires " ;
  • Cause récente et identifiable ET cause lointaine et floue ;
  • Conditions matérielles déplorables ET faiblesse singulière peu importe les chiffres de votre compte en banque ;
  • Dysfonctionnement cérébral ET raisonnements automatiques néfastes.)
∞ L' "en( )quête " ∞

Alors, qu'ai-je fait pendant ces 9 ans ? Pas grand chose les 7 premières années, je dois bien l'avouer, mais pendant les 2 dernières, j'ai dû tout faire bouger, car je me suis retrouvée, une nouvelle fois, à terre, plaquée au sol. Entre deux, j'ai plutôt ignoré et fui les choses, en pensant que ça allait aller mieux tout seul. J'ai aussi bénéficié de pansements sur jambe de bois très efficaces et de plusieurs vrais coups de chance qui m'ont permis de " faire avec ", " plus facilement ", d'atténuer mes difficultés. Mais plusieurs coups de malchance ont fini par faire éclater ce qui restait à assainir en moi. (" Chance, malchance, qui peut dire ? " dirait l'une de mes formatrices en Coaching.)

Suivant un élan naturel, j'ai lu une tonne de livres, j'ai écouté des heures de podcasts, j'ai regardé des kilomètres de vidéos et de conférences, j'ai consulté de nombreux spécialistes et testé moult disciplines du mieux-être/bien-être (méditation de pleine conscience, kinésiologie, EMDR, sophrologie, thérapies cognitives et comportementales, EFT Tapping, etc.), je me suis pliée à des dizaines d'exercices, je me suis transformée en une monstrueuse calculette mentale horriblement énergivore pour reconstituer mon équation et ses solutions (alors même que je ne savais pas que je devais trouver une équation et des solutions).

J'ai remué Ciel et Terre pour trouver des explications, des réponses. J'ai revêtu le trench de Colombo et j'ai enquêté sur ma propre histoire, ma propre vie, voire celle de mes ascendants. Je me suis transformée en Dr House, cynique, sans concession, lucide et très peu compatissante envers moi-même (ce qui est une erreur au passage), pour lister mes symptômes et trouver les diagnostics correspondants. Tout en continuant à gérer le reste de ma vie comme je pouvais, je me suis efforcée de m'observer, de comprendre mes pensées, de réguler mes angoisses, tous les jours, heure par heure.

Je me suis démenée comme un beau diable (parfois contre-productivement) pour comprendre ce qui m'arrivait et pourquoi. J'ai parcouru le trek épuisant, avec ses hauts et ses bas, de l'analyse, de la remise en question en long, en large et en travers, des peurs, des changements, des doutes, des désillusions, sans en voir réellement le bout. J'ai combattu l'anxiété et l'angoisse, parfois à tort car au final je ne savais pas ce qu'elles voulaient vraiment me dire (-> forcément, sous leurs airs de Jack Nicholson au mieux de sa forme dans ses rôles de psychopathes...). J'ai tiré le fil d'une pelote d'intrications et j'ai démêlé des kilomètres de pensées enchevêtrées les unes dans les autres. Je me suis arraché les neurones pour entrevoir autre chose. Sans garantie de résultat, aucune. Les doutes, le stress chronique et la perte de repères à chaque tournant. Les critiques, intérieures comme extérieures, en cadeau Bonux®.

Comme dit Beyoncé dans son documentaire Homecoming : " Je me suis clairement dépassée au-delà de ce que je pensais être possible. Et j'ai appris une grande leçon : je ne le referai plus jamais. ". Avec tout ce que je sais maintenant, en effet, je ne me repousserai plus " exactement " comme je l'ai fait.

(Pour la petite anecdote, si certains me reprochent de ne pas aller suffisamment " dans le dur " physiquement ( wink), je peux vous dire que psychologiquement, j'y suis allée, " dans le dur ". J'ai pédalé dans le peloton de tête tout le long de mes 200 tours du monde sur mon vélo mental. J'ai joué en NBA pendant des années. J'ai performé en Ligue 1 des saisons durant. Et je n'ai rien lâché, même quand j'ai cru que j'allais exploser en vol. (En clair : si t'as besoin d'un entraîneur pour courir 5 bornes, m'appelle pas, c'est pas la peine. Mais si t'as besoin d'un coach pour explorer ton mental, v'la mon C.V. et mes références, je suis dispo, t'hésite pas.)

Bien sûr, personne ne résout tous ses problèmes pour la vie car cette dernière évolue et les problématiques aussi. Mais pour l'instant, permettez-moi, pour l'instant, de dire que je me suis rattrapée moi-même, du passé jusqu'au présent. J'ai couru un marathon avec des jambes blessées, jusqu'à épuisement (physique et mental), pour connaître ces " fameuses faiblesses singulières " dont parle Cécile Curiol et que les faits et événements n'arrêtaient pas de réactiver chez moi, en permanence. Et ça a été dur.

∞ " Faiblesse " ∞

Malgré tout, nombreux sont ceux considèrent la Dépression, toute la lutte qui va avec et tout le cheminement autour, comme une faiblesse...

Pourquoi ?

Parce qu'il nous semble que maîtriser le mental est facile. Ainsi, on ne comprend pas toujours quand certaines personnes ont du mal à faire quelque chose " à cause de leur mental ". Combien de fois avons-nous entendu " Tu dois juste ", " Il suffit juste "... Et ça peut marcher, c'est vrai. Parfois. Mais si c'était si simple tout le temps, y'aurait moins de psys, non ? Leurs agendas seraient désespérément vides... Bien souvent, les gens qui préconisent de se secouer " un peu " ignorent l'épaisseur des chaînes qui entravent les autres et donc ne mesurent vraiment pas qu'en réalité, ces autres, ils se secouent comme des déchaînés justement.

(Petite parenthèse : peu de personnes savent que s'attaquer à une dépression, ça nécessite quand même deux petits miracles : 1) envisager deux fractions de secondes qu'il est possible que des principes très solides qui nous tiennent au quotidien sont en réalité la source de notre mal-être. C'est déstabilisant au plus profond de vous-même car il s'agit l) de remettre en question tout votre système de fonctionnement sans savoir comment faire d'autre. (Certaines personnes n'arrivent d'ailleurs jamais à cette étape et finissent rapidement par se confondre avec leur fonctionnement dépressif ; " Je suis comme ça et c'est tout "). Que feriez-vous si on vous disait que ce en quoi vous croyez n'est pas la vérité ? À quel Saint vous voueriez-vous alors ? ; et 2) vouloir/pouvoir affronter des émotions très difficiles : parce qu'on traverse une dépression pour aller mieux. On doit la traverser. Pas l'éviter, pas la contourner, pas l'ignorer, pas l'oublier, pas faire semblant.)

Dans le même temps, si vous demandez à des gens s'ils considèrent que le mental est puissant, nombre d'entre eux vous répondront que, paradoxalement, ce truc " si facile à gérer sans y réfléchir ", c'est aussi " l'un des trucs les plus puissants ". Mais comment serait-il être facile de maîtriser l'un des trucs les plus puissants ? (Qui plus est lorsqu'il part du côté obscur ?)

Alors pourquoi ne dépasse-t-on donc pas cette fausse idée de facilité/faiblesse ?

    Parce que, encore une fois, quand on est pas concerné∙es, on ne dépasse pas les idées générales sur un sujet. On fait tous ça. On ne peut pas s'occuper de tous les sujets tout le temps. On est des humains. Pas des Dieux omniscients.
    Parce que s'occuper du physique/matériel nous paraît plus urgent que de s'occuper du mental, et ce depuis la nuit des temps. C'est un réflexe archaïque bien légitime et bien utile. Pas besoin de réfléchir 300 ans face à a un tigre du Bengale affamé qui tourne en rond devant l'entrée de notre grotte : le physique prend le dessus. C'est tout le propos de la pyramide des besoins de Maslow. " Plâtre d'abord ta jambe cassée, on s'occupera ensuite éventuellement des dysfonctionnements que tu as dans la tête. " C'est le bon sens même mais du coup, on porte moins attention au mental qui devient de fait accessoire.

Le problème dans cette logique, c'est que quelqu'un qui n'a pas une bonne santé mentale ne sera peut-être pas, au final, en pleine possession de ses moyens pour combattre un tigre affamé...

Le problème dans cette logique, c'est que quelqu'un qui a des millions sur son compte bancaire peut ne jamais en profiter réellement, voire tout perdre à cause de schémas mentaux toxiques et que quelqu'un qui n'a aucun bien peut grimper aux plus hauts sommets de la réussite matérielle par la grâce de schémas mentaux efficaces.

Le problème dans cette logique, c'est que dans le monde d'aujourd'hui, un enfant des bidonvilles de Manille peut parfaitement présenter zéro signe de dépression alors que Britney Spears angoisse à mort dans sa villa de 3000 m² (" On ne sait pourquoi. Elle doit faire sa capricieuse. ") et part se faire interner en HP. Au jeu de la loterie matérielle, le gosse de Manille a perdu (et on lui légitimerait bien volontiers une bonne grosse dépression à ce petit), mais au jeu de la loterie psychologique, lequel des deux s'est trouvé le plus démuni ? Qu'est-ce qui empêchera le plus l'un ou l'autre de s'épanouir dans sa vie et de contribuer sainement au monde ?

" Le contentement apporte le bonheur, même dans la pauvreté. Le mécontentement apporte la pauvreté même dans la richesse. " Confucius.

La configuration mentale est donc toute aussi importante que la configuration matérielle dans le fait de s'en sortir ou non et il faut maintenant la hisser au même niveau que la configuration physique. IL EST TEMPS pour nous, en tant qu'espèce, d'évoluer et de nous occuper AUSSI du mental : le physique ne suffit pas. Et qui sait, peut-être que le bien-être mental nous permettra de renforcer le bien-être physique ? Je sais pas moi, en évitant des conflits, en apaisant les gens, en facilitant l'altruisme et la générosité, en créant ainsi un monde meilleur, etc.

En tous cas, pour ce qui est de l'instant présent, on admirera encore beaucoup plus un type sorti de conditions matérielles déplorables à un type sorti de conditionnements mentaux difficiles.

    Parce qu'à faire passer le mental comme accessoire face à l'urgence physique prioritaire, nous ne nous sommes pas intéressés au domaine mental depuis assez longtemps pour assez bien mesurer son ampleur/importance.
    Parce que contrairement à de nombreuses maladies physiques, on peut tout à fait ne pas voir les difficultés mentales. C'est une lutte invisible, dans la tête de certaines personnes. Qui plus est, ces personnes, convaincues de leur culpabilité, faiblesse, vulnérabilité, " mauvaiseté ", sont passées maîtres dans l'art de la dissimulation.
    Parce que, même si les difficultés mentales se voient, cerner un désastre mental, en voir les tenants et les aboutissants, est plus dur que de cerner une situation matérielle délétère. Donc on ne s'y aventure pas juste comme ça, sauf pour les personnes concernées.
    Parce que, à cause de cette délimitation floue, on ne peut pas mesurer précisément dans quelle mesure le patient se débat et donc, on ne peut pas réellement prendre la mesure du niveau de facilité/de priorité du problème. Qui plus est, quand chacun réagit différemment.
    Parce que ce truc difficile à cerner et à mesurer, il fait peur... C'est comme aller à la rencontre d'un loup inconnu, évoluant on ne sait pas vraiment où, ni comment, ni pourquoi, ni quand, dans une forêt sombre dont on a pas de plan précis. (Et encore, on en sait plus sur la cartographie mentale qu'il y a ne serait-ce que 50 ans.) Aller chercher dans le mental, parfois, c'est simple, et parfois, c'est très compliqué. C'est comme déambuler dans un labyrinthe très élaboré et effrayant, sans avoir la sortie bien en vue. On n'a pas envie de ça clairement.
    Parce qu'on a peur de la contamination mentale. On se dit que toucher du doigt ce truc dont on ignore tant, ça pourrait nous envahir nous aussi. Comme un microbe, une bactérie. C'est instinctif et bien humain de ne pas s'approcher de ce qui pourrait être néfaste pour nous.

Cependant, on soigne bien une personne atteinte d'une gastro, non ? On lui donne des médicaments, que la personne va, dans un premier temps, rejeter dans la demi-heure, mais ce n'est pas grave, on y va et on y retourne. En prenant soi-même ses précautions pour ne pas être contaminé∙e. Alors pourquoi ne traite-t-on pas les gens déprimés de la même façon ? Parce que, si les idées et les émotions sont aussi contagieuses qu'un virus, la plupart du temps, on ignore totalement les mesures barrières de protection psychologique et d'indépendance émotionnelle. Car personne ne nous les enseigne. On a pas la moindre éducation psychologique. D'ailleurs, on ne sait même pas que ça existe ! À moins d'avoir un master en psycho, on a pas la moindre idée de comment faire quand quelqu'un va mal. Donc on a peur de la Grande Dépression. Alors, on s'éloigne et on y revient pas, sauf si on est vraiment obligé∙e.

Pour l'avoir côtoyée pendant des années, je peux vous en parler. La dépression n'est pas une maladie qu'on attrape " comme ça " si on est, de base, structuré suffisamment sainement (avec un système immunitaire mental qui tient à peu près debout si vous préférez. Les anticorps, ça marche au niveau psychologique aussi !). Comme expliqué plus haut, la dépression c'est la conséquence de facteurs (la génétique, les événements traumatiques, les héritages éducationnels et comportementaux, etc.) auxquels on a pas fait attention, qu'on a donc pas soignés et qui ont pourri au fil du temps en troubles émotionnels, schémas de pensées dysfonctionnels (utiles par le passé mais inutilement douloureux et limitants dans le présent et pour le futur) et actions qui nous desservent. On ne l'attrape pas fondamentalement en trois heures/jours/mois/ans, juste en côtoyant une personne dépressive (même si cela peut nous peser grandement, c'est clair et net). Il existe bel et bien des limites pour prévenir toute contamination mentale lorsqu'on s'y intéresse un peu. C'est comme ça qu'on fera avancer les choses : en accueillant les personnes concernées et en recherchant des causes et solutions de façon sécurisée. Comme pour une gastro.

    Parce que l'incompréhension fait suite à la peur. Cette peur instinctive d'être contaminé∙e ne fait pas qu'éloigner les gens. Elle empêche aussi, dans un deuxième temps, de faire un trait d'union entre ceux qui connaissent la dépression et ceux qui ne la connaissent pas. Un fossé supplémentaire se creuse ainsi.

Je peux vous le dire car j'ai été d'un côté et de l'autre de la barrière. Par exemple, là, tout de suite, je vois bien que les schémas mentaux sont la source du mal-être mental. C'est clair, c'est net, c'est limpide et objectif. Lorsqu'on est en dehors, on se dit que ce n'est pas si dur de penser différemment pour aller mieux. Mais quand on y est, dans le puits de la dépression, on pense que c'est quelque chose qui est plus grand que nous, qu'on ne maîtrise pas, dont on est victime malgré toute notre bonne volonté. Envisager et se demander à soi-même de changer de schémas mentaux, même " pour aller mieux ", c'est comme se demander de changer de planète. C'est comme se demander de quitter sa planète d'origine (certes pas hyper accueillante tout de suite) avec l' "intuition " terrible qu'on se dirige vers une catastrophe. C'est rentrer dans une capsule spatiale où tout est écrit en russe : vous ignorez totalement comment fonctionne quoique ce soit et vous devez vous propulser dans un espace inconnu, pour éventuellement atterrir sur une autre planète (s'il y en a une dans ce vide sombre) pour y reconstruire de nouvelles structures avec des matériaux inconnus. Ainsi, on ne comprend pas la désinvolture des autres qui pensent que c'est " simple ". Leur jugement alourdit notre charge et c'est insupportable.

Je sais, d'expérience, qu'il est très difficile d'expliquer à des gens qui ne connaissent pas un minimum les affres des difficultés mentales le concept, justement, de difficultés mentales. Alors que, paradoxalement, tout le monde a déjà fait l'expérience d'être pris dans les filets de ses croyances et émotions engluantes. Réfléchissez à la dernière fois où vous avez perdu vos moyens (dispute, phobie, choc émotionnel) : à quel point cela a-t-il été difficile pour vous de changer de paradigme concernant un événement ? Avez-vous seulement essayé de changer d'humeur/de travailler sur votre ressenti par défaut ou avez-vous juste laissé passer du temps ou changé de conditions extérieures en espérant que ça s'atténue tout seul ? Essayez donc de transposer cette mélasse cognitive passagère dont vous avez momentanément fait l'expérience à tout un système mental généralisé permanent...

    Parce que ça dérange certaines personnes de vous voir vous aventurer dans cette traque au(x) loup(s). Parce qu'elles ont peur pour vous. Parce que ça leur rappelle qu'elles ne le font pas pour elles-mêmes. Parce que cela va faire surgir des loups qu'elles ne veulent pas voir. Alors, dans un élan primaire de protection, vous serez, au choix, ignoré∙e, catalogué∙e comme " faiblarde ", méprisé∙e, restreint∙e, empêché∙e, plutôt que considéré∙e comme " le symptôme utile indiquant un truc dysfonctionnel qu'il faudrait régler ".

Croyez-moi, j'en ai fait suer du monde à chercher, à poser des questions, à théoriser, à vouloir comprendre, à partager. J'en ai dérangé un paquet. J'ai toujours été celle qui avait le plus de difficultés sans qu'on sache jamais bien pourquoi. Et les autres ne se pensaient pas touchés. " C'est fou que ça tombe sur elle, hein ? Nous, on se porte bien ". C'est vrai pour certaines personnes qu'elles vont bien. Pas pour toutes... La " malade " n'est jamais seule. Elle fait toujours partie d'un système, qu'il soit toujours présent ou non. Et la " malade " n'est pas toujours la plus " malade ". Ça peut juste être la personne qui présente le plus de symptômes au grand jour. Et parfois, la " malade ", elle ne se contente pas de subir (et de potentiellement transmettre passivement). Parfois, la " malade ", elle s'efforce de se soigner pour endiguer l'épidémie et, avec un peu de chance, elle soigne à son tour.

∞ Immersion ∞

Je ne pense pas, pour ma part, pouvoir appeler faibles des personnes qui se battent au quotidien, parfois en subissant les pressions, critiques et jugements de leur monde intérieur comme du monde extérieur... Je les appellerai plutôt des durs à cuire. Pour toutes les raisons susmentionnées et toutes les suivantes.

Je ne sais pas si l'on imagine très bien, lorsqu'on ne l'a pas vécu (et qu'on peut parfois se croire au-dessus de ça), ce que cela fait de se lever chaque matin pendant des semaines, voire des mois ou des années, alors que " Ça ne va pas " et de traverser les jours avec une grosse ombre dans la tête, une ombre qui vous pèse énormément, qui vous empêche de voir aucune autre perspective, une ombre dont vous n'arrivez pas à vous débarrasser et dont l'origine, les contours, la nature et ce que cela va vous faire ou non sont des données partiellement ou totalement inconnues.

Je ne parle pas ici d'un " Ça ne va pas " en référence à une déprime, une colère, une tristesse, une nervosité, une humeur ou une phase, plus ou moins passagère, aux sources plus ou moins identifiées. Je vous parle d'un " Ça ne va pas " invisible qui a envahit toute l'atmosphère de votre mental et dont la pression est écrasante dans votre tête. Un brouillard lourd et épais, ralentissant, paralysant, qui plus semble parfois complètement insensé.

Au pic de cette ambiance mentale dense, chaque mouvement peut même se transformer en arrachement physiquement douloureux car, dans ces conditions, on a le sentiment que chaque mouvement pourrait encore plus activer cette douleur déjà englobante, que chaque mouvement pourrait faire s'effondrer le monde autour de nous et en nous, comme un château de cartes, qu'un seul mouvement pourrait faire s'ouvrir une brèche sortie de nulle part qui pourrait nous engloutir tout entièr∙e.

C'est une douleur qui reste en outre, partiellement ou totalement, non identifiée, car la seule reconnaissance de sa présence semble à peine supportable pour notre esprit. La peur même de ce mal-être nous maintient alors dans ce mal-être. On ne veut pas ressentir cette chose massive, alors on lutte contre elle (et, ce faisant, on la ressent plus ou moins en permanence et plus ou moins intensément), en espérant que cela passe tout seul.

(Alors que si l'on sait que quelque chose rôde à l'entrée de notre caverne, la seule façon de s'en débarrasser n'est pas d'attendre que la bête s'en aille d'elle-même et ne revienne plus jamais et/ou de déménager sans vraiment comprendre de quelle bête il s'agissait et de pourquoi elle était là à l'extérieur (circonstances objectives) et à l'intérieur (sensibilités propres à chacun). Attendre ou fuir, ça peut durer longtemps, c'est chronophage et énergivore en prières et en efforts et on est jamais sûr∙es que l'affreuse bestiole ne reviendra pas se représenter 5 minutes/heures/jours/semaines/mois/années plus tard. Il faut aller voir ce que c'est, ce truc qui rôde, au lieu de " faire le ou la mort∙e/vivre malgré/fuir ". Il faut comprendre ce que c'est (un ours ? un tigre ? un serpent ? plusieurs hyènes ? une meute de loups ?). En outre, comprendre n'est pas forcément la même chose que régler immédiatement. Il faut comprendre ET, ensuite, chercher un plan adapté pour s'y attaquer. Il faut s'armer correctement ( se faire accompagner et trouver des outils) pour s'en débarrasser durablement et sainement.)

" Je ne vais pas bien, je ne sais pas pourquoi, ni si je vais m'en sortir. Aujourd'hui sera la même chose qu'hier et que demain. Une journée passée à lutter, plus ou moins consciemment, contre une bête à l'intérieur dont j'ignore les raisons d'être et que je sens très instable, déclenchable à tout instant. Avec le monde extérieur et ses joyeusetés à gérer en sus (quand ça ne vient pas exciter directement et frontalement ladite bête noire). Les gens nous prennent pour fous, dérangé∙e∙s. (et bien oui, nous sommes bien " dérangé∙e∙s ", mesdames et messieurs !! Par la bête !!) Vous croyez qu' on est né∙e∙s comme ça, pour aller mal et mal gérer notre vie ? Parfois, je suis furieux∙se. J'en veux au monde entier. À l'univers. Qu'ai-je fait pour mériter ça ? Pourquoi n'ai-je pas droit à une vie " normale " moi aussi ? Ce truc inconnu qui m'envahit quand il veut, c'est plus fort que moi. Je ne peux pas le contrôler. Vous croyez que ça m'amuse ? Vous savez ce que c'est que de vivre avec un truc que vous ne maîtrisez pas et qui vous envahit ? Vous croyez que je ne choisirais pas d'aller mieux en une fraction de seconde si je le pouvais ? De vivre comme vous ? Je suis condamnée à vivre comme ça. Je suis maudite. Je dois avoir fait quelque chose de mal... Je suis nul∙le/mauvais∙e. Quelque chose ne va pas. Mais quoi... ? Je suis perdu∙e. Personne ne me comprend et je ne sais de toute façon pas l'expliquer. Personne ne peut m'aider. J'espère juste qu'un jour, ça ira mieux. Mais je ne sais pas quand, ni par quel miracle. Je suis tout∙e seul∙e. J'ai peur. "

Voilà, à peu près, ce qui se trame de façon plus ou moins floue dans la tête d'une personne " faible ".

Et parfois, il n'y a rien. Aucun ressenti, aucune pensée. Parce que c'est trop, justement. Parce que c'est trop, le vide s'installe. Tout s'arrête. Et le vide, c'est tout aussi effrayant, voire plus, que les pensées/émotions en mode Gremlins bouffeurs de cerveau dont on a l'habitude. Vous vous trouvez aussi bête qu'une pompom girl qui téléphone toute seule dans une maison plongée dans le noir au fin fond d'une forêt. " Allô, euh, y'a quelqu'un ? S'il vous plaît ? ". Et là, vous préféreriez qu'il y ait vos mille pensées en mode Trolls au bout du fil plutôt que le vide.

Ça fait peur, n'est-ce pas ? Rien que de lire ces lignes... L'angoisse de l'âme qui se trouve menacée. Pas étonnant que ce sujet d'étude ne soit pas ultra prisé. On a vraiment pas envie de se trouver contaminé∙e. (Si besoin, relire les paragraphes précédents sur la contamination mentale pour se rassurer).

Ainsi, vous voyez un peu mieux...

Quelle souffrance de se trouver plongé∙e dans un marasme quotidien que l'on ne comprend pas. Quelle panique d'avoir l'impression d'être physiquement limitée, de se réveiller la nuit, de ne plus dormir, de ne plus vous reposer, d'avoir la tête vide, d'être habitée par un truc dont vous ignorez presque tout.

Quel arrachement mental d'essayer, ne serait-ce qu'une minute, de se distinguer de la dépression qui a tout envahi à l'intérieur. Quel sentiment de fausseté et de trahison en nous de tenter de changer cette ambiance mentale quand on se confond avec la dépression. La dépression, c'est toi, c'est la vérité. Le reste n'est qu'illusion, mensonge, faux soulagements. Quand on est dépressif, le voile gris, c'est la vérité que les autres ne voient pas. Espérer que nous ne sommes pas la dépression, c'est un gros pari, c'est un challenge, c'est un risque, c'est un gros enjeu dont l'issue est potentiellement inconnue. " Et si finalement nous étions notre dépression ? Si nous n'étions pas autre chose ? " Voilà ce qui se joue.

Quel tour de force d'envisager que cette situation de dépression peut être autre, de faire un pas de côté, de douter de ce que la dépression vous fait tenir pour vrai sur vous, sur les autres et sur le monde, alors qu'on est déjà à -36 000 en termes d'énergie (sinon, ça ne serait pas drôle).

Quelle volonté insoupçonnée de résister au " facile " de se dire que c'est comme ça et qu'il n'y a rien à faire. Qui plus est quand tout le monde s'ingénue à vous dire qu'il faut se laisser être " soi-même ", " lâcher prise ".

Un mot sur ces conseils (qui partent d'une bonne intention nous sommes d'accord).

    en vérité, quand on est mal dans sa tête, " Être soi-même ", ça veut dire " Se rendre ", " Succomber à la Dépression et rester comme ça pour toujours ". Parce que le Soi est envahi de Dépression. Il ne semble pas/plus y avoir d'autre façon d'être. C'est là le grand malentendu pour les personnes qui conseillent (car elles font référence, sans le savoir, à un " soi " qui semble ne pas/plus exister dans la tête de celui qui lutte) et pour les personnes qui luttent (car elles pensent que leur " soi " n'est plus que cette mélasse infâme). Il faudrait dire " (Re)Trouve ton toi ".
    en vérité, quand on est mal dans sa tête, " Lâcher-prise " signifie " Arrêter de lutter ". Parce que c'est trop dur/long et, si c'est trop dur/long, c'est que ce n'est pas normal. En un sens, c'est vrai, il faut lâcher-prise. Mais pas lâcher-prise et s'arrêter. Il faut lâcher-prise et se laisser " traverser ". On dit bien " traverser " une épreuve, par exemple. C'est très explicite : il existe une sortie, ce n'est pas infini, c'est un passage, pas une fatalité. C'est comme traverser un nuage épais ou une zone de brouillard. Il faut traverser et ne pas hésiter à se faire accompagner, en toute bienveillance et en toute sécurité, si cela semble trop impossible et/ou douloureux, pour en sortir et arriver de l'autre côté, sur une autre rive, un autre chemin.

(Petite parenthèse : certains vous diront purement et simple de vous arrêter là, point barre. Ça vous fait souffrir, ça ne vous convient pas, évitez tout bonnement les situations déclenchantes, ne vous demandez jamais si votre système de fonctionnement peut être aussi en cause, faites-lui confiance aveuglément, l'extérieur est tout simplement mauvais, n'en discutons pas plus. Je ne vous dis pas de vous exposer en permanence à ces situations, ni même de persister ad vitam aeternam. Je vous dis, en revanche, de prendre une décision éclairée : observer vos pensées et émotions, sachez et comprenez d'où elles viennent, décidez ensuite librement (ainsi un brin dégagé∙e l'influence de certains schémas de pensées et émotionnels automatiques) de ce qu'il faut faire ou non, en votre âme et conscience, littéralement. Certains m'ont dit " Si tu penses et que tu agis comme ça, accepte-le, c'est que tu dois être comme ça et c'est tout ". Mais je n'avais pas envie d'être cette personne, je ne ressentais pas d'alignement en moi avec moi, juste des réactions automatiques difficilement refoulables/contrôlables, et je souffrais de penser et de me comporter comme ça.)

Quelle énergie de se remettre en question alors qu'on pourrait très bien blâmer tout le monde sauf soi-même. (Oui, un certain environnement a créé la dépression et oui, certaines personnes y sont pour quelque chose. Mais, à un moment donné, il faut également savoir que si le trauma d'origine n'est pas de notre faute, il nous incombe la responsabilité de nous soigner.)

Quelle confusion de ne pas pouvoir se fier à son instinct parce qu'on sait qu'il est biaisé par des automatismes non désirés. Quelle incertitude effrayante de tester de nouveaux schémas de pensées quand vous ne savez plus distinguer le haut du bas. (Mentionnons également la difficulté de trouver de nouveaux schémas de pensées à adopter...)

Quelle épreuve chaque jour, chaque heure, chaque minute, à chaque décision, de s'évertuer à vivre autrement que dans le " pas bien " (je vous le dis : c'est comme essayer de faire faire demi-tour à un paquebot). Quel effort d'essayer de sortir du trou que l'on pense, par défaut, inévitable et/ou à durée indéterminée.

Quel courage d'aller traquer volontairement ses peurs (si effrayantes que notre esprit les rejette instantanément lorsqu'elles se présentent), de revenir dessus et de les traiter, encore et encore. Quel désespoir de se dire que c'est trop. Qu'on y arrivera pas. Qu'on ne peut pas. De ne pas avoir la moindre idée de comment faire...

(Mais vous pouvez. Petit à petit, vous pouvez. J'ai ressenti ce découragement, plein de fois. Jusqu'à ce que je comprenne : tout cela, ce sont des schémas de pensées. Pas une malédiction gratuite sans aucun fondement. Ne croyez pas que cette simple phrase (" Ce sont des schémas de pensées ") est vide, légère, réductrice, simpliste. Au contraire, elle contient des milliers d'implications, de conséquences complexes, d'étapes, de possibilités. Rien que de découvrir tout ce que cette phrase cache est vertigineux. Trouver et formuler ces schémas de pensées prend du temps, de l'énergie, de la volonté. C'est un vrai travail. Décider d'y travailler tous les jours, même lorsqu'on est convaincu qu'on y arrivera pas, c'est comme décider d'aller soulever 50 kilos tous les jours, y compris tous les jours où on est totalement grippés. Avec le temps, ça devient plus facile que le premier jour. Il existe plein d'exercices, de programmes, de théories, de pratiques. Des centaines de personnes ont étudié ça (souvent parce qu'elles en avaient besoin pour elles-mêmes d'ailleurs). Le traitement de la Dépression est une chose complexe, oui. Tout aussi complexe que l'équation qui la provoque, oui. Cela peut prendre des années et cela évolue toute la vie. C'est une mélange de beaucoup de thérapies : verbale, cognitive, comportementale, émotionnelle, médicamenteuse, expérimentale (parce qu'on ne comprend pas toujours pourquoi certains processus fonctionnent, mais ça fonctionne alors on prend !). Mais c'est possible.)

∞ (Re)Valorisation ∞

Quelle souffrance, quelle incertitude, quel effort, quelle épreuve, quelle panique, quel tour de force, quel sentiment de fausseté et de trahison, quelle volonté insoupçonnée, quel arrachement mental, quelle confusion, quelle énergie, quel désespoir, quel courage. À ce stade, certains se demanderont si je ne veux pas qu'on me décerne une médaille tant qu'on y est...

Hé bien oui, Je veux bien une médaille !

Je pense carrément que j'en mérite une. Et que toutes les personnes qui sont passées par là en méritent une. Surtout après avoir été étiqueté∙es comme faible/cassé∙es/irrécupérables. Surtout quand le grand public pense que nous sommes juste des incapables, pas doué∙es de la vie, malchanceux.

Citons de nouveau Céline Curiol : " La sagesse populaire veut que ce soit les gens, les ratés, ceux qui n'ont pas eu de chance dans la vie, qui tombent en dépression. Mais rien n'est plus faux. Vous pouvez aller sur Wikipédia, il y a une page sur laquelle il y a une liste de personnes célèbres, de personnalités célèbres, donc ni trop 'ratés' et plutôt 'gâtés', qui connaissent ou ont connu une dépression. Et parmi eux, il y a un homme qui a accompli une prouesse dont peu d'entre nous peuvent se vanter : il a marché sur la Lune ". Ouais, parce que tu peux être dépressif et marcher sur la Lune, c'est comme ça.

Bien évidemment, tout groupe a son lot de fainéants, de complaisants, de lâches, de menteurs, de ceux qui ne travailleront jamais sur eux-mêmes et justifient leurs comportements par tous les malheurs qu'ils ont subi, de victimes devant l'Eternel qui profitent de l'existence de pathologies pour justifier leurs inconséquences. La " petite " communauté des personnes atteintes de dépression ne fait pas exception. Mais est-ce une raison pour que tout le groupe soit étiqueté de la même façon ?

Alors, pour l'instant, en lieu et place d'une reconnaissance adaptée (quasi impossible à obtenir de toute façon car, outre le problème des clichés, personne ne peut vraiment tout à fait comprendre ce que tout un chacun vit, c'est humain), je vous demanderais simplement de ne plus systématiquement considérer les personnes traversant une dépression (ou un truc dans le même genre) comme faibles, inaptes, totalement responsables de leurs souffrances soi-disant auto-infligées, et/ou infréquentables. Vous pouvez blâmer les personnes qui ne font manifestement aucun effort et qui se complaisent et qui profitent honteusement de " leurs difficultés ". Mais ne sous-estimez pas les personnes qui luttent vraiment pour s'en sortir. S'il vous plaît.

J'irai même plus loin (pour ceux qui le peuvent) : ne vous taisez pas. Demandez. Demandez comment ça va. Signalez que vous sentez que quelque chose n'est pas ok. Avec prudence, humilité et gentillesse. Ça ne vous engage pas à grand-chose et la personne se sentira un peu considérée.

Et heureusement, heureusement que le long du chemin, j'ai rencontré de magnifiques personnes, des perles. Des connaissances de passage, des amis, des membres de ma famille, des pros. Qui m'ont considérée. Qui ont su faire preuve de discernement. Qui m'ont permis de m'ouvrir à autre chose alors que j'étais fermée comme une huître bodybuildée, prête à vous lacérer la main en retournant contre vous le couteau dont vous vous serviez pour tenter de m'ouvrir. Avec leur gentillesse, leur compassion et leur générosité parfois désarmantes, ils m'ont permis d'avancer, d'avoir le droit d'exister un peu plus, un peu mieux. Je les en remercie au-delà de ces mots qui ressemblent à des coquilles vides en comparaison de ce que je ressens.

Grâce à tout ça, je suis maintenant une personne très différente d'il y a 9 ans. Je ne suis même pas la même personne qu'il y a même un an, ni même un mois, car maintenant il y a plus un " Moi " de différence.

∞ Conclusion ∞

En écrivant cet article, j'avais peur de l'image que ma famille, mes amis, le monde professionnel et des illustres inconnus allaient avoir de moi et des personnes autour de moi. Et puis, deux notions me sont venues...

Kintsugi. Les Japonais désignent par ce mot le principe de réparer des porcelaines et céramiques cassées avec de la laque contenant des particules d'or. Ce sont des coutures d'or qui renforcent les pièces autrefois brisées. La casse n'est plus une condamnation, la fin. Les réparations sont maintenant sublimées et rajoutent même de la valeur au produit.

Si vous pensez toujours à la fin de votre lecture que je suis un " produit endommagé ", c'est faux. J'ai appris énormément de choses, et je suis plus forte de toutes ces connaissances. J'ai notamment appris que refouler ses émotions, passer outre, les contenir, les maîtriser ne signifie pas être fort∙e fondamentalement, même si c'est parfois une qualité. Non, la vraie force, c'est de gérer sa vie intérieure : observer les pensées et émotions, accepter leur présence, vouloir/pouvoir les accueillir, les ressentir, comprendre leur message, décider, avancer, vivre.

Partage. Qui sont les personnes que j'admire le plus et qui m'ont le plus aidée ? Ne sont-elles pas celles qui ont réussi à se montrer les plus sincères malgré le monde dans lequel on vit ? Ne sont-elles pas celles qui ont transformé leur plomb en or ? Si d'autres personnes n'avaient pas partagé leur expérience au-delà de leurs craintes, où en serais-je et comment aurais-je su (tout ce que je sais maintenant) ? Si d'autres voix s'étaient tues, comment aurait-on pu faire évoluer le sujet ? Comment le pourrait-on à l'avenir ?

Alors, en toute humilité, je rajoute ma petite goutte d'eau dans la mer, dans l'océan, sur la Terre, dans cette galaxie, parmi toutes celles dans l'Univers, dans tous les univers possibles. J'apporte ma micro-contribution, qui n'aura peut-être pas le mérite de briller autant que les précieuses contributions des personnes susmentionnées, mais qui a maintenant au moins le mérite d'exister...

Aurélie


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Aurealisations 151 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte