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(Anthologie permanente) Jacques Darras, in revue Contre-Allées

Par Florence Trocmé

(Anthologie permanente) Jacques Darras, in revue Contre-AlléesLa revue Contre-Allées publie un ensemble autour de Jacques Darras, une sélection de poèmes et un court entretien avec le poète.
Poezibao propose ici dans l'anthologie permanente un extrait de ce dossier et dans les Notes sur la création, un extrait de l'entretien.
ADIEUX AU MERLE
Voyez-le sur la faîtière en tuile noire comme un accident
de cuisson générale dans le soleil couchant, sculpture
éphémère dépassant à peine, qui s'applique à sa flûte
bec tendu obliquement vers la voûte, ne cherchant pas
l'inspiration il la sent qui traverse son corps sa gorge,
c'est l'émotion tout entière du cosmos qu'il retranscrit
ponctuellement telle qu'elle chemine en lui soliste
sur l'avant-scène, dites un peu la confiance qu'il y a dans l'adieu
du merle, le soir, n'est-elle pas d'une touchante simplicité
comparée au cillement mécanique que le sommeil fait avec
nos yeux partout les oiseaux improvisent leurs prières à
l'église naturelle du jour, nous seuls rentrant dans nos absides
d'absence nous tournant vers la nuit oculaire du dedans
comme s'il y avait autre chose que l'avenir immédiat de la lumière
dont s'occuper --- pourquoi ne sommes-nous pas chanteurs nés ?
MES OMBRES
Cependant que la mer s'occupait à découvrir les bouchots,
Ces armées moussues moulues régulières ne respirant bien
Qu'amphibies, j'ai traversé la plage en solitaire, courlis
Éloigné, pour me poser, m'allonger au pied d'une touffe d'oyats,
Herbe gratuite en apparence mais dont les tiges vissent
La dune à son socle, j'ai accordé mes yeux à l'étendue, oreilles
Bruyantes de la basse marine continue, l'orchestre
Cymbales et peaux tendues qui ne parlent de lune et ses marées
Qu'avec la ponctuation comme si la phrase, dans l'univers,
Était superflue, j'ai convoqué mes ombres, mes chères ombres,
Elles sont venues à mon sifflet d'oiseleur ultra-son, elles
M'ont parlé de leur voix grêle frêle d'ombres-nuages de chair
Comme glissant dans un ciel d'entre-deux, se parlant entre elles
D'un langage humain quotidien prolongé, moi pleurant
Des larmes de bonheur invisibles à les regarder s'ébattre
Comme si de rien n'était, que ce fût jour ordinaire, prolongation
Du sursis de vivre, elles ombres se déshabillant en maillot
D'homme ou de femme, avant, pieds nus, d'aller à l'oblique
Se plonger aux vagues tandis que des toiles d'enfant conduites
Du poignet s'élevaient très haut au-dessus d'elles, jouant
À des jeux avec l'impalpable, et puis, baissant les yeux
À nouveau vers les rides du sable et les chenaux en miniature
Où l'eau refluait en bouillonnant, je ne les ai plus vues
Tout à coup, comme désailé d'eux, mais sans l'à vif d'une blessure,
Courlis esseulé en déguisement d'homme me redressant
Sur mes échasses j'ai attendu, oreilles au vent, le retour de leurs voix,
Vainement, mes ombres avaient quitté à nouveau l'enfance
De leurs ébats réels pour se réfugier dans une source
Connue d'elles seules, où la lune n'exerce plus d'influence,
Où les chars à voile s'appellent peut-être même chairs à voiles
Qui glissent non plus latéralement mais dans la profondeur,
De l'arrière vers l'avant, recoupant quelquefois nos dimensions.
Jacques Darras, in Contre-Allées, revue de poésie contemporaine, n° 41, printemps 2020, 5€, pp. 3 & 7.
Lire aussi cette " note sur la création "

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