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(Anthologie permanente) Elke Erb, choix de poèmes par Françoise Toraille

Par Florence Trocmé


Elke Erb
Choix de poèmes

Elke Erb  Leipzig_Buchmesse_2014_046
Lauréate 2020 du Prix Georg Büchner, Elke Erb voit couronner une œuvre tournée dès ses débuts vers la poésie. Son premier recueil –Kastanienallee, 1987, publié aux éditions Aufbau, très remarqué, lui vaut le Prix Peter Huchel. Ses poèmes sont des miniatures à l’écoute du monde qui l’entoure et dont elle ressent et traduit les failles et les incertitudes. « Telles la feuille de chêne qui décrit ses orbes, les poèmes d’Elke Erb sont l’expression d’une conscience en quête, sans cesse en alerte », selon le poète Richard Pietraß. Elle dit « suivre une démarche expérimentale. « Je suis un facteur de risque... Je me situe hors de la forme. »
La traduction des poètes fait partie intégrante de l’œuvre d’Elke Erb, par exemple de grands poètes russes – elle publie en 1974 des traductions de poèmes de Marina Tsvetaïeva. La langue allemande accueille aussi dans ses traductions des poètes français – parfois, comme pour Claude Esteban, réalisées en présence de l’auteur dans une démarche de « recréation poétique » à partir d’une traduction juxtalinéaire. Elle a également donné des traductions d'autres poètes français comme Alain Veinstein, Maurice Regnaut et André Du Bouchet pour l’Anthologie de la poésie française contemporaine publiée aux éditions Volk und Welt en 1979 et dont les éditeurs sont Charles Dobzynski et Alain Lance.
L’influence de l’école poétique de Vienne et celle du surréalisme traversent son écriture.
Au début des années 1980, son engagement dans le Mouvement pour la Paix lui vaut la surveillance de la Stasi.
À l’écart des mouvements dominants, Elke Erb fait entendre une voix singulière, elle-même source d’inspiration pour les jeunes auteurs.
Françoise Toraille
Die Südwestküste Frankreichs als Augenschein“
Der große gascognische Kiefernwald
ich werde nicht mehr sein -
die riesige Düne von Pyla
ich werde sterben -
die Umkehr der Flut -
und tot sein.

Die Hügelkuppen.
Die Kieferntatzen.
Die Bungalows.

La côte sud-ouest de France en un coup d’œil
La grande forêt de pins gasconne –
je ne serai plus -
   l’immense dune du Pyla –
je vais périr –
   le retour de la marée –
et serai morte
Les dômes des collines.
Les pattes des pins.
Les bungalows.
Urspüngliche Akkumulation
Ameisenstaat: Unterbringung. People-Verkehr.
Unds stiefelt. Verfrachtet. Nachtdunkle, nachtleere
Arbeiterviertel. Abträglichkeit, schartig, in allem.
Augen: Mary vom Lande
weiß durch Jahrhunderte nicht,
daß sie vom Land ist.
Kein Auf-Bau, kein Über-.
Das Heimchen die Geige.
Wolke, wohin du gewolkt bist.
Ein herrlicher Maitag - mir im Gemüte.
Augen: Robin von der Plantage
ist nicht mehr Unter-, doch auch kein Einbau:
Wies so geht macht sichs.
Worte Architekturinfektion sieche Strukturelemente.
Zivilisation blank - das „Wesen des Gartens“.
Die Absicht, den Moloch zu modeln
(Problemannahme und -knete)
verloren. Disteln geköpft.
18.11.1995

Accumulation Primitive
État-fourmilière : hébergement. Trafic de population.
Et défilé de bottes. Transport de cargaison. Quartiers ouvriers
sombres comme la nuit, vides comme la nuit.
Les risques de dommage, en toute chose, ébréchés.
Yeux : Mary la paysanne
ne sait pas à travers les siècles
qu’elle vient de la campagne.
Ni infra- ni super-structure.
Le grillon le violon.
Nuage, où que tu aies nuagé.
Un splendide jour de mai – dans mon âme.
Yeux : Robin venu de la plantation
n’est plus moins-value ni sur-valeur.
Ça se fait comme ça peut.
Mots infection architecturale éléments structurels malades.
Civilisation toute nue – « l’essence du jardin ».
Le dessein de modeler le Moloch
(problème admis et retourné en tous sens)
perdu. Abattu des chardons.
In zwanzig Jahren
werde ich altgeworden sein, oder? Nämlich gebrechlich,
geschwächt, habe mehr als gelegentlich dann,
ja gewiß gleichermaßen systematisch
Ausfälle des Gedächtnisses, des Wahrnehmens.
Und die Löcher, wie Mottenfraß,
werden aber andererseits
Gewebeverdickungen sein - Löcher nur meinerseits -
unauflösliche, undurchdringliche
Knoten. Dazwischen ich.
Seit ich denken kann, ein Geschrei jedesmal,
wenn ich durchkomme irgendwo - von irgendwo nach
(unvermutet) irgendwo.
Werde dies Durchkommen zeitlebens als Text
aufgesetzt, gewebt haben, plusquamperfekt.
Also doch dauerhaft dann,
jedes Mal, schärfer, rascher als jetzt & zeitlebens
wahrnehmen, was bleibt, verdickt, während ich
abnehme.
Abnehme, zunehmend stocke, stutze, stehe und
Schluß. Kehre ich um, wie vor verschlossenen Türen?
Schließlich weg sein,
als Kürzel mich überholender Perspektiven
einst in die Welt gesetzt, unvollendeter Vergangenheit.
Heerzugsmut, schicksalsergebener.
Es sei ausdrücklich wieselflink,
wie unterwegs das Bachwasser blink.
Werde nicht hören, was man
Unbekömmliches sagt. Reine Materie, still doch.
Sinnlöcher, Seinsknubbel, unverschluckbar
(unerreichbare Gegenteil-Häppchen). - Taugen,
miteinander verbunden, als Käfig
(oder nur die Verbindungen, knotenlos), - und drin,
in die Ecke geduckt, das verschüchterte Huhn
(flatternd, wenn jemand kommt, mit den gestutzten
Flügeln.
Wie gehetzt.)
Wie verschreckt.
Die Blicke der Greisin sind klein und huschen,
habe ich öfter gesehen. So geistert sie,
entgeistert,
nicht mehr das Rebhuhn der Steppen zu sein.
Ça ira.
17.10.1995


 
Dans vingt ans
je serai vieille, non ?  C’est-à-dire fragile,
affaiblie, j’aurai plus qu’incidemment alors
oui en quelque sorte systématiquement
des pannes de mémoire, de perception.
Et les trous, comme après le ravage des mites,
seront d’autre part
un épaississement des tissus – trous de mon côté seulement –
nœuds indissolubles,
impénétrables. Et dans tout ça, moi.
Depuis que je sais penser, chaque fois un cri,
quand je passe quelque part – de quelque part vers
(inopinément) quelque part.
Passage que j’aurai ma vie durant tissé,
composé comme un texte, au passé antérieur.
Ainsi donc tout de même durable,
chaque fois, plus acéré, plus vif que maintenant & ma vie durant
percevoir ce qui reste, épaissi, tandis que je
maigris.
Maigris, ralentis de plus en plus,  étonnée, m’arrête et
fini. Vais-je faire demi-tour, comme devant portes closes ?
Enfin être partie,
signe abrégé de perspectives qui me dépassent
née un jour d’un passé imparfait.
courage d’une armée en marche, sourde à son destin.
Que tout cela soit expressément agile comme la belette,
pareil à l’eau étincelante du ruisseau qui court.
N’entendrai pas les choses indigestes
qu’on dit. Pure matière, tranquille cependant.
Trous de sens, nœuds d’être, inassimilables
(inaccessibles petites bouchées de contraires). – Servir,
liés l’un à l’autre, de cage
(ou les liens seulement, sans nœud), - et dedans,
tapie dans un coin, la poule intimidée
(voletant quand on vient, battant de ses ailes
rognées.
Comme traquée.)
Comme effrayée.
Les regards de la vieille femme sont petits et glissent,
je l’ai vu souvent. Ainsi rôde-t-elle comme un esprit,
qui a perdu l’esprit,
stupéfaite de ne plus être la perdrix des steppes.
Ça ira.
Selbstgespräche sind nur Meeresrauschen
denn das Selbst, wie wir es hatten,
das reine
- unter Gottes Eifersucht und scheinheiligem Lidschlag -
Gold,
von unseren Klondike-Klauen und sibirischen, karpatisch...
geklaubt aus schroffen Quarzen:
außerordentlich weich
und dehnbar, leicht
mechanisch zu bearbeiten, von
träger Reaktion,
Scheibenmonstranz, wie es vom Stengel nickt,
hört ja weder selbst noch sprichts,
ein Inbegriff
des innersten Gehirns -
oh Blastula, oh Gastrula, oh Gast
aus fernem Meer, gereist
mit gleichsam aufsteigenden Teichen,
Amöbe, die
im Teichohr Meeresrauschen
3.7.1994
Monologues ne sont que murmures des vagues
Car le soi-même, tel qu’il était nôtre,
or pur
- sous la jalousie de Dieu et son hypocrite battement de paupières -,
or
de nos griffes – du Klondike, de Sibérie, des Carpathes,
extrait de quartz abrupts :
extraordinairement doux
et ductile, facile
à travailler mécaniquement, et de faible
réaction
disque de l’ostensoir incliné sur sa tige,
car lui-même n’entend ni ne parle,
quintessence
du cerveau le plus intime-
ô blastula, ô gastrula, hôte
des mers lointaines, toi qui as voyagé
avec des étangs qui semblent s’élever,
amibe, qui –
murmure de la mer dans l’oreille de l’étang
Poèmes traduits par Philippe Jaworski et Françoise Toraille
Publiés dans la revue LITTERall  Numéro 9, 1997 copyright pour les  traductions Association des Amis du Rois des Aulnes
NDLR : On peut lire quelques éléments de bibliographie et un autre extrait de la poésie d’Elke Erb dans cet ensemble composé par Jean-René Lassalle en 2010 :
bio-bibliographie, ex. 1
Une bibliographie plus complète sur la fiche Wikipédia d’Elke Erb (en allemand)
image : Elke Erb, à la Foire du livre de Francfort en 2014 (source)


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