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Flic – Valentin Gendrot

Publié le 17 octobre 2020 par The Cosmic Sam @thecosmicsam

Dès la sortie de ce roman d’investigation, j’ai immédiatement été très intriguée par ce titre. La médiatisation de cette infiltration journalistique au sein des services de la Police  – la première d’une telle ampleur –  y a également joué pour beaucoup, je dois l’avouer.

J’entretiens un rapport assez ambivalent avec la Police. D’une part, je travaille dans le milieu de la justice, je ne peux donc qu’avoir un certain respect pour cette profession, et j’ai même failli passer le concours de commissaire de police. D’autre part, je suis une femme métisse. Je ne peux donc ni être aveugle, ni insensible aux propos racistes et/ou sexistes qui ont dernièrement été attribués aux forces de l’ordre. Les violences policières sont, par ailleurs, trop récurrentes et font échos à la triste actualité étatsunienne.

Bref, j’avais hâte de découvrir un point de vue interne quant à cette profession qui, j’en suis bien consciente, est loin d’être évidente.

Le livre : « Flic« 

Flic – Valentin Gendrot

Crédit photo : L&T

L’auteur : Valentin Gendrot est le premier journaliste à avoir infiltré la police pendant près de 2 ans. Après avoir suivi une formation de 3 mois à l’école de police de Saint-Malo, Valentin Gendrot est nommé ADS, adjoint de sécurité. Il rejoint l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris puis il intègre le commissariat du 19ème arrondissement. Là, où il souhaitait aller pour exercer son métier de journaliste et témoigner. Il y restera 6 mois.

Le résumé : « Voici “Flic”, l’histoire vraie d’un journaliste qui, durant deux longues années, a infiltré la police française. Jamais personne n’avait tenté – et réussi – un tel exploit. Que se passe-t-il derrière les murs d’un commissariat ? Pour répondre à cette question, Valentin Gendrot a mis sa vie entre parenthèses. Il a suivi la formation de l’école de police de Saint-Malo et a fini par atteindre son objectif : devenir policier dans un quartier populaire parisien. Durant six mois, Valentin Gendrot a intégré le commissariat du 19e arrondissement de Paris. Une arme à la ceinture, le journaliste sous couverture a rejoint une brigade dont certains membres tutoient, insultent et distribuent régulièrement des coups à des jeunes hommes noirs, d’origine arabe ou migrants qu’ils surnomment “les bâtards”. Valentin Gendrot ne cache rien. Il relate la précarité des conditions de travail, le suicide d’un collègue du commissariat survenu lors de son immersion, mais aussi les propos racistes émis par des agents de l’État, les bavures, la violence. L’auteur raconte, en détail, comment il assiste au tabassage d’un adolescent noir par un collègue policier. Alors que le jeune homme de 16 ans a porté plainte pour violences policières, Valentin Gendrot découvre, de l’intérieur, comment ses collègues étouffent l’affaire. Cette infiltration unique nous délivre les secrets que seuls les policiers partagent ; Valentin Gendrot nous ouvre l’antichambre où personne n’est jamais entré ».

Mon avis : « Flic » tient davantage du récit que de l’article journalistique. J’ai, dans un premier temps, été légèrement déstabilisée par le ton adopté qui m’a fait penser à un roman et qui m’a donc, un peu détachée de la réalité des faits. Le style employé permet, toutefois, de lire cet ouvrage très rapidement.

J’ai été happée par cette immersion au sein de l’école de formation des adjoints de sécurité (« ADS » :des policiers contractuels « low cost » selon les termes de Valentin Gendrot), de l’I3P (l’infirmerie psychiatrique de la Préfecture de police de Paris), puis du commissariat du 19ème arrondissement de Paris.

Si « Flic » ne nous permet pas d’avoir de grandes révélations, du moins quand on s’intéresse un peu aux dernières polémiques concernant la profession, il constitue une utile confirmation des faits et je recommande sa lecture qui donne envie de faire bouger les choses.

Il est inquiétant de réaliser avec quelle facilité il est possible d’intégrer les effectifs des forces de l’ordre : acuité visuelle quasi-nulle, casier judiciaire, tendances politiques extrêmes à peine voilées, il semble y avoir de tout…

Les lacunes frappantes quant aux formations, entretiens psychologiques et suivi des policiers sont également assez révoltantes. Comment ne pas éprouver une certaine défiance vis-à-vis de ces dépositaires de la force publique quand on lit cela ? Ces derniers se voient, en effet, attribuer des armes létales et le pouvoir de les utiliser sans réel encadrement, ce qui créé des débordements prévisibles.

Parallèlement, nous sommes également confrontés aux conditions de travail et d’existence de ces policiers qui sont largement sous-payés, travaillent dans des locaux vétustes avec des équipements obsolètes, manquent de considération (que ce soit de la part du grand public ou de leur propre hiérarchie), et sont régulièrement confrontés à des actes agressifs.

Mettez des jeunes mal formés, provenant le plus souvent de classes moyenne ou populaire, en quête d’adrénaline dans cet environnement qui s’avère bien éloigné des livres et films policiers et vous obtenez rapidement un cocktail de frustration assez explosif. Et alors que les policiers devraient être exemplaires, les situations de violence verbale et physique gratuites deviennent des exutoires banalisés.

Le corporatisme omniprésent dans la profession n’est pas là pour arranger les choses dès lors que les collègues se serrent les coudes en cas de bavures ou de provocations. C’est donc l’Omerta qui règne

  • d’une part, par peur d’exclusion dans un métier où l’on est plus souvent avec ses collègues qu’avec sa propre famille ;
  •   et d’autre part, par tolérance en raison d’un ras-le-bol généralisé qui conduit à du sur-suicide au sein de la profession.

Ainsi, si les comportements les plus choquants ne sont pas du fait de tous les policiers, ils semblent, en revanche, admis du plus grand nombre et c’est là que le bât blesse.

Pour apporter des réponses à cet état des lieux déplorable, de véritables réformes paraissent nécessaires : de meilleures et plus nombreuses formations, un contrôle par une autorité indépendante ayant force contraignante (tant de rapports du défenseur des droits ne sont pas suivis d’effets, c’est même à se demander s’ils sont lus…), plus de moyens, etc. C’est en agissant en amont que l’on peut espérer avoir un impact sur le long terme.

Imaginez un boulot où tout est décrépit autour de vous : vos voitures de fonction, vos locaux, ou encore vos équipements. histoire d’ajouter un peu de sel, vous portez un uniforme qui déclenche d’emblée l’hostilité d’une partie des gens que vous croisez. Vous êtes formés à la va-vite, plongé dans des situations chaotiques, avec, en plus, l’impératif insidieux de suivre « une politique du chiffre » souvent absurde. Vous marchez alors sur une couche de glace bien fine, et voilà que la hiérarchie dépose quelques poids supplémentaires sur votre dos : vous devez faire bonne figure, être exemplaire. Le fameux acronyme Diiler enseigné à l’école de police : « Dignité, intégrité, impartialité, loyauté, exemplarité et respect absolu des personnes ». Est-il raisonnable de former des représentants de la loi à la va-vite, de les placer dans des conditions de travail dégradées et d’exiger qu’ils soient des modèles de vertu ? Non, évidemment. Ce n’est ni raisonnable ni sensé. Lors de mon immersion, un constat s’est imposé à moi. En théorie, les flics sont censés lutter contre la violence, le racisme et le sexisme dans la société. En pratique, ils en sont souvent un avant-poste. On peut débattre des causes, mais les faits sont là. C’est comme ça, dans un commissariat, on est dans une ambiance de vestiaire de foot. Une ambiance virile où les personnes violentes sont tolérées, et rarement recadrées. Parce qu’il faut faire avec les effectifs disponibles. Avec les moyens alloués. Alors, lorsque des flics dérapent, tout le monde se serre les coudes, et la hiérarchie enterre souvent ce qu’elle préfère considérer comme des « errements ». Dans la majorité des cas, cette hiérarchie n’a pas le choix, à force de demander l’impossible à ses hommes et ses femmes de terrain, elle ne peut ensuite que les couvrir.

Valentin Gendrot

Je ressors, en tout cas, de ma lecture assez démoralisée face à ce constat. Si, a priori, la situation française semble bien différente de celle connue aux Etats-Unis, on se rend finalement compte que les points de comparaison sont plus nombreux que ce que l’on se plait à croire (en Europe, la France est l’une des plus mauvaises élèves sur la question des contrôles au faciès et des violences policières).

J’en terminerai par quelques mots sur la polémique qui a enflée autour de Valentin Gendrot qui a, au cours de son infiltration, couvert un contrôle qui a mal tourné et a, à cette occasion rédigé un faux procès-verbal adoptant alors un rôle actif dans l’évènement relaté. Il est vrai que l’éthique journalistique est ici remise en question : jusqu’où peut-on aller au prétexte de dénoncer une série de comportements ? La question se pose d’autant plus lorsque l’objectif final est la publication d’un livre qui rapportera nécessairement de l’argent à son auteur. Sur ce point, je suis moins catégorique que d’autres. Je dois avouer comprendre certaines des motivations de Valentin Gendrot, qui par ailleurs, ne se cache jamais de son intention de publier un livre à la fin de son infiltration. La situation n’est jamais aussi manichéenne que ce que l’on voudrait penser, notamment lorsque l’on n’est pas confronté soi-même à la situation. 

Vous avez entendu parler de cet ouvrage ? Qu’en pensez-vous ? Vous êtes curieux de le lire ?


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