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Daté-Atavito Barnabé Akayi : Belligènes

Par Gangoueus @lareus

Daté-Atavito Barnabé Akayi : Belligènes

Lors de la réalisation de l’émission Les lectures de Gangoueus consacrée à au poète Daté-Atavito Barnabé-Akayi, l’écrivain m’a remis trois recueils de poésie de son cru. Une marque de confiance puisque pour une raison qui lui appartient, l’homme de lettres béninois choisit ses lecteurs en tirant jusqu’à présent peu d’exemplaires de ses oeuvres de poésie. 


Double prédation

En suivant l’ordre des choses et des textes poétiques imbriquées, on arrive en page 17 à la séquence suivante, très imagée, dans la suite d’un enchainement de gestes techniques tout aussi fortes
«  un phallus aussi lourd qu’il cogne les présidents aux yeux marron et plus cupides qui dévêtent le trésor public et le baisent devant les mânes des escrocs » 
Daté-Atavito Barnabé-Akayi à le sens de l’image. De ce point de vue, je pense Dambudzo Marechera et ses métaphores explosives, qui vous bousculent des années après lecture. L’érotisme a donc une place importante dans Belligènes, même si la démarche est différente de son précédent recueil de poésie, Les escaliers de caresse. Ce n’est pas que j’aime l’image. Mais la justesse du propos est tellement évidente. Je me dis que le poète nous brutalise sûrement parce que nous nous sommes accoutumés à ces viols répétés des dirigeants africains. Ici, il parle du trésor, mais on pourrait étendre son hurlement aux constitutions récemment bafouées pour permettre des réélections en Afrique de l’Ouest.  
«  un félin aux dents atroces ne caresse pas la chèvre il la broie ainsi qu’une meule broie tout lourd arbre gorgé de plaisirs » 
Qui est le félin ? Qui est la chèvre ? En évoluant dans le recueil de Daté, je suis surpris par la violence de certains épisodes. Le verbe broyer ici me renvoie à celui employé par Esther Doko à savoir «  déchiqueter » dans Par la sueur de mon suaire. Rompre donc.

Définir la poésie, définir le dire

Il est donc intéressant de voir comment Daté-Atavito Barnabé-Akayi définit sa prise de parole
« or toute poésie véritable est rebelle »  p.38 
Ce vers est très intéressant. J’y vois le fond d’abord. Les thèmes abordés. Résister aux tabous, les dévoilés. Travailler le rapport intime à l’autre par exemple. Mettre à nu les abus des élites. Explorer des cercles d’initiés avec une lecture afrocentrée. La rébellion est peut être aussi dans la forme. Je peux dire que la poésie de Daté-Atavito Barnabé Akayi suit sa propre voie. Imbrication, disparition de toute ponctuation...
« toute mort délicieuse est poésie »  p.42
Je vous laisse savourer cet extrait extirpé de son contexte.
« ma poésie aussi féline et aquatique luminifère et invertébrée comme des vers ma poésie déjeune un plat de poisson-chat avec des noix de palme, des noix rouges ou des noix noires  mais au cou blanc ». p.43

Le poisson-chat

Il y a un discours ésotérique qui renvoie au renouvellement d’une alliance avec un animal totem : le poisson-chat. Déjeuner ce poisson-chat n’est pas neutre. Il n’est pas sans nous rappeler les alliances où après avoir sacrifié un animal, un bouc émissaire, un coq émissaire ou un poisson-chat émissaire, le narrateur communie par ce déjeuner.  
Je peux tenter un parallèle pour comprendre le discours poétique de Daté-Atavito Barnabé-Akayi, je pense aux métaphores bibliques évoquant la nourriture physique et la nourriture spirituelle, la connaissance spirituelle participant à développer, déployer les capacités du croyant. On retrouve cette démarche quand le poète proclame être le poisson chat et que l’une de sa composante cause avec les morts (1). 
Culte des ancêtres, animisme, donc. Je semble observer la transfiguration du poète en page 44 quand il dit « mes yeux nagent et miaulent mes yeux portent des griffes plus féroces que le rugissement affamé ». Il s’est donc passé quelque chose. Et Daté-Atavito Barnabé-Akayi axe son projet sur l’acuité du regard qui de manière assez étrange se substitue à la parole pour devenir une arme offensive. C’est assez bizarre comme démarche si vous me permettez l’expression. L’image est intéressante car le rugissement affamé peut être interprété comme une complainte répétée et inutile. Alors qu'il s’agit de voir clair, très clair. Peut-être est-ce pour cela que le poète use de parallèles osés quand il parle de sexe et de politique, comme pour mieux - non pas crier au viol - mais mettre le lecteur fasse au viol répété de celles et ceux qui dirigent et pillent son pays. 
Il affirme donc que toute poésie véritable est rebelle. En réaction au discours du poète, j’ai envie de dire que voir est une chose, faire en est une autre. Et pour faire, il faut au-delà du constat, annoncé une autre perspective pour mettre en branle, déclencher un mouvement. C’est ma posture. Encore que, si je suis la démarche de Daté-Atavito Barnabé-Akayi qui n’accorde pas la lecture de ses textes à n’importe qui, la mise en branle, la plongée dans une cosmogonie et des croyances autochtones est sensée éveiller les initiés porteurs d’un mouvement. Je suppute peut-être. Mais  je m’autorise cela parce que le poète ne s'insurge pas à l'idée que je puisse me tromper et à dire ce que je ressens à la lecture de ce recueil de poésie, assez différent sur le fond de celui intitulé Les escaliers de caresse (2). Plus que dans ce dernier, l’érotisme sous-jacent porte surtout un discours politique. 
Daté-Atavito Barnabé Akayi, BelligènesImonlè 160-161Editions Plumes Soleil, 2017
(1) Belligènes, Editions Plumes soleil p.40

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