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Baccarat, le cristal des rois !

Par Plumehistoire

Baccarat. Petite ville lorraine de 4 500 habitants. Sa célèbre cristallerie à la renommée internationale comprend à elle seule plus de 600 salariés, dont une vingtaine de Meilleurs Ouvriers de France. Grâce à un savoir-faire ancestral, les objets qui sortent des fours depuis le XVIIIe siècle sont de véritables joyaux de l’art de vivre à la française. Synonyme d’excellence et d’exception, Baccarat illumine le marché du luxe depuis 250 ans ! Fournissant d’abord la Cour de France en verres, lustres et candélabres, elle séduit bientôt maharadjas, tsars, sultans et empereurs… Une recette bien gardée Depuis le début du XVe siècle, la Lorraine est la région française du verre par excellence. Le terrain est idéal pour l’implantation de verreries : les grands massifs forestiers alentours permettent d’alimenter les fours très gourmands en combustibles. Pour demeurer à une température constante d’environ 1450°C, il leur faut des quantités colossales de bois ! Les sols lorrains sont aussi riches en silice, matière première nécessaire à la fabrication du verre. Les ducs de Lorraines successifs favorisent l’essor de cette industrie du verre en accordant dès le milieu du XVe siècle de multiples privilèges aux maîtres verriers, les exemptant par exemple de certains impôts comme s’ils faisaient partie de la noblesse. Les verriers gardent jalousement leurs secrets de fabrication, sans parvenir à égaler les productions exceptionnelles de Venise et de Bohême (qui règnent en maîtres sur le marché du verre depuis la Renaissance) et plus tard d’Angleterre. Au XVIIe siècle les vénitiens réussissent à  fabriquer une sorte de verre très délicat et parfaitement transparent grâce à l’ajout de silice extrêmement pure, ainsi que d’autres composants qui font encore aujourd’hui partie de leurs secrets de fabrication : le cristallo, aujourd’hui connu sous le nom « verre de Murano ». Pour concurrencer Venise, un verrier anglais nommé Georges Revenscroft décide en 1674 d’ajoute de l’oxyde de plomb au verre. Il parvient ainsi à créer un matériau d’une incomparable brillance : le flint-glass anglais devient très vite aussi réputé que le cristallo vénitien. Pour que la France devienne à son tour réputée sur le marché du verre et du cristal, il faut attendre l’arrivée de Jean-Baptiste Colbert. Ministre infatigable servant Louis XIV, Colbert développe des manufactures partout en France. La Manufacture royale des glaces de miroirs de Saint-Gobin, fondée en 1665, ne tarde pas à s’accaparer le savoir-faire vénitien en produisant des miroirs d’une taille exceptionnelle pour la Galerie des Glaces du château de Versailles. D’autres manufactures aujourd’hui oubliées sont créées à cette époque : « La Manufacture Royale en cristaux de Bayel » est devenue la « Cristallerie Royale de Champagne » appartenant au groupe Daum-Haviland. Elle fabrique depuis 350 ans un cristal raffiné et élégant. Malgré les efforts de Colbert, la  fabrication du verre cristallin ne progresse que lentement en France. Il faut attendre le règne de Louis XV pour voir de nombreuses cristalleries émerger, créant ainsi un réseau qui va désormais prospérer. En 1764, Monseigneur de Montmorency-Laval, évêque de Metz, demande à Louis XV l’autorisation de créer une verrerie à Baccarat. Ce petit village de Lorraine situé près des Vosges, autrefois prospère mais ravagé par les guerres, est traversé par la Meurthe, ce qui facilite l’acheminement du bois. La requête adressée au roi est motivée : Sire, la France manque de verrerie d’art, et c’est pour cela que les produits de Bohême y entrent en si grande quantité : d’où il suit une exportation étonnante de deniers, au moment où le royaume en aurait si grand besoin pour se relever de la funeste guerre de Sept Ans, et alors que depuis 1760, nos bûcherons sont sans travail Le roi donne son accord. La verrerie qui prendra le nom de verrerie Sainte-Anne en 1775 vient de naître. Avec son jardin, ses logements, ses quatre fours et ses immenses réserves de bois, l’entreprise est capable de satisfaire les nombreuses commandes royales. Au départ, elle fournit Louis XV en miroirs et en carreaux de vitres. Le roi offre des services de verres de Sainte-Anne à sa famille et à ses « cousins » comme le roi d’Espagne. Louis XVI fait de même.  Faux départ Néanmoins au XVIIIe siècle, la verrerie Sainte-Anne a de nombreux concurrents, comme la verrerie royale de Saint-Louis, située dans les Vosges du Nord, qui fournit elle-aussi la famille royale. L’avenir de cette cristallerie semble assurée. Elle est la première à copier l’Angleterre en fabriquant le fameux flint-glass utilisé dans les oeuvres d’art en cristal.  La verrerie Sainte-Anne, de son côté, connaît quelques déboires. Tout a pourtant très bien commencé. Son développement est rapide jusque dans les années 1780 : elle engloutit dans sa production 6 000 quintaux de sable, 300 quintaux de salins, 400 quintaux de cendre et 128 000 cordes de bois ! Si elle n’a toujours pas percé le secret du fint-glass comme à Saint-Louis, la manufacture est prospère et l’évêque de Metz la revend au marchand verrier Antoine Renault. Hélas ! la Révolution marque un coup d’arrêt.  La verrerie, cantonnée à l’activité de fabrication de vitres, est en grande difficulté. Napoléon Ier et sa belle-fille, la reine Hortense, lui préfèrent la manufacture des cristaux de Montcenis au Creusot. À tel point que Sainte-Anne est obligée de fermer ses portes en 1806 !  Pour autant, la verrerie Sainte-Anne garde la réputation d’un établissement de premier ordre qui employait des maîtres-verriers très qualifiés. C’est pourquoi Aimé-Gabriel d’Artigues, propriétaire de la cristallerie de Vonêche en Belgique, décide de racheter la verrerie Sainte-Anne en 1816 et de la transformer définitivement en cristallerie. Ce sont désormais les « Établissements Vonêche à Baccarat. » Le contexte est favorable au développement de Baccarat. Dans le XIXe siècle post-empire, l’art de la table atteint son apogée. Cette « nouvelle société composée d’une bourgeoisie entreprenante » invente un art de vivre dans lequel la convivialité et l’élégance sont au centre de tout. Dans le monde, le dressage de la table devient aussi important que ce que l’on met dans l’assiette. On prend plaisir à faire asseoir ses invités à de belles tables ! C’est aussi le siècle de la diversification des verres et des couverts. À chaque boisson sa taille de verres : verres à eau, verres à vin rouge, verres à vin blanc, flûtes à champagne… Le cristal a toute sa place dans ces fêtes et réceptions où l’art de la table se conjugue divinement avec la gastronomie. Les verres et les lustres en cristal taillé de Vonêche à Baccarat ou de Saint-Louis ont ce brillant qui flatte l’oeil. Ils reflètent la lueur des bougies, plongeant les dîners et les soirées dans une atmosphère féérique et luxueuse.  L’Escalier de Cristal Profitant de l’essor de l’art de la table, les établissements Vonêche à Baccarat acquièrent enfin leurs lettres de noblesse. Pour assurer la prospérité de son bébé français, Artigues décide de devenir fournisseur de cristal d’une créatrice à la mode : Madame Desarnaud-Charpentier. Idée de génie. Marie-Jeanne Desarnaud, née Charpentier et fille d’un orfèvre, est propriétaire de sa propre maison parisienne. Fondée en 1806, elle devient très célèbre sous la Restauration : L’Escalier de Cristal. La prestigieuse boutique de Marie Desarnaud livre dès 1817 des garnitures de cheminées et des pendules en cristal à Louis XVIII ainsi qu’aux duchesses d’Angoulême et de Berry. Un an plus tard, elle reçoit le brevet de « fournisseur du garde-Meuble de la Couronne » et de « fournisseur de cristaux du Roi ». En 1819, c’est l’apothéose. Lors de la cinquième Exposition nationale des produits de l’industrie française présentée au Louvre, Marie expose plusieurs pièces extraordinaires qui lui valent une médaille d’or. L’une d’entre elles, particulièrement, fait sensation. Il s’agit d’une table de toilette avec fauteuil, entièrement fait de cristal taillé et monté en bronze doré « ciselé avec la plus grande perfection, et qui produit le plus bel effet » (L’indépendant, 2 septembre 1819). Jamais personne en France n’avait réalisé une si grande pièce en cristal. Cette prouesse démontre les possibilités infinies de ce matériau fabuleux ! Les créations de Marie Desarnaud sont l’objet « de l’examen le plus attentif » du monarque (Journal de Paris, 31 août 1819). La jeune duchesse de Berry, qui l’accompagne, est subjuguée. Elle qui meuble son château de Rosny-sur-Seine « avec tout ce que l’artisanat parisien faisait alors de plus éblouissant et de plus novateur » tombe sous le charme de la spectaculaire coiffeuse. À la fois féminin et élégant, ce meuble ne pouvait séduire qu’une princesse d’avant-garde ! Le journal Le Drapeau blanc du 22 septembre 1819 décrit avec humour ce mobilier assurément magnifique mais peu pratique :  Madame Désarnaud a exposé aussi trois objets dignes d’orner quelque palais de fées ; une toilette, une guéridon et une cheminée en cristal, taillée à facettes, dont toutes les pièces sont réunies par des ornements en bronze doré. Je n’entreprendrai pas de décrire ces objets ; leur description se trouve toute faite dans les contes de Perrault. Quant à leur utilité, je m’en rapporterai à ceux qui feront usage du guéridon qui se coifferont devant la toilette, et qui se chaufferont à la cheminée, s’il est possible toutefois qu’on y fasse jamais du feu ! La duchesse de Berry deviendra d’ailleurs une fidèle cliente de L’Escalier de Cristal : S. A. R. Madame, duchesse de Berry, est allée au Palais-Royal faire des emplettes au magasin de Mme Desarnaux, marchande de cristaux, à l’escalier de cristal, et chez M. Laurenceau, bijoutier ; rue Montesquieu, chez le sieur Pomerel, confiseur de S. A. R. ; elle a encore fait beaucoup d’autres emplettes dans différents magasins de Paris. La Quotidienne (26 décembre 1825) Madame Desarnaux est désormais une célébrité dans le monde de l’art et sa maison L’Escalier de Cristal une adresse reconnue. Lorsque l’on apprend que les cristaux façonnés par la dame proviennent des établissements Vonêche à Baccarat, c’est le début d’un succès fulgurant !  Baccarat adoubée par Charles X Encouragé par les commandes qui affluent, Gabriel d’Artigues investit et embauche beaucoup. Trop. Les finances de l’usine étant en piteux état, Artigues vend son entreprise en pleine ascension à trois associés plus fortunés : Pierre-Antoine Godard-Desmarest, François-Marie- Augustin Lescuyer-Vespin et Nicolas-Rémy Lolot. Louis XVIII, définitivement séduit par Baccarat qui rivalise à présent pleinement avec Saint-Louis et Montcenis, passe de nombreuses commandes. La plus notable est la création d’un service de verres complet et de carafes en 1823. Le roi habille sa table avec du Baccarat ! Toute l’aristocratie n’a désormais qu’une envie : l’imiter. Toutefois, c’est sous Charles X que Baccarat devient véritablement un incontournable dans le monde du sophistiqué du cristal. 1828, grande nouvelle : Le roi, en chemin pour Lunéville, annonce qu’il se rendra en personne à Baccarat pour visiter l’établissement le 12 septembre. Aussitôt, c’est le branle-bas de combat. On prépare la venue du souverain avec un soin extrême :  La porte d’entrée était convertie en un arc de triomphe, par une double colonnade appuyée sur un soubassement et recouverte de branches de sapin. Au-dessus du soubassement, s’élevait, dans chaque arcade de la colonnade, un oranger, portant l’écusson des armes de France. On lisait sur l’attique de l’arc de triomphe cette inscription : « À Charles X, l’industrie reconnaissante. 12 septembre 1828 : nouvelle ère de la cristallerie Baccarat. » Gazette nationale (21 septembre 1828) Le jour J, les propriétaires sont en émoi. L’administrateur, M. Godard, est dans tous ses états. Il scrute sans cesse le ciel nébuleux et écoute avec angoisse le tonnerre qui gronde au loin. L’orage épouvantable qui inonde Baccrat et embrase l’horizon fait craindre à tout le monde que le roi ne se borne à traverser Baccarat sans s’arrêter pour rejoindre Lunéville au plus vite. Heureusement, la pluie diminue et le ciel s’éclaircit en début d’après-midi. À 3h, le souverain est accueilli dans l’allégresse générale, aux cris de Vive le roi !  La grande cour de l’usine déjà si belle par elle-même, animée par la multitude d’ouvriers qui remplissaient les contre-allées et couvraient les gazons s’étendant le long du chemin qui suivait le roi, ornée par les drapeaux qui flottaient à toutes les croisées,...


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