Une contribution de Claude Adelen, introduction et choix des poèmes
Giorgio Caproni 1912-1990.
Giorgio Caproni. Né à Livourne. Une figure majeure de la poésie italienne du XXème siècle, un peu plus tardivement reconnue pour telle que celles d'Ungaretti, Montale, Luzi, Bertolucci (toute une génération rangée sous l'appellation un peu trompeuse "d'hermétisme"). C'est avec la publication du recueil "Le Mur de la Terre"(1975) qu'elle apparaîtra en pleine lumière.
J'ai découvert cette œuvre essentielle dans le volume de chez Garzanti, "Tutte le poésie", un peu avant que justice lui soit rendue par la magistrale traduction en français de "L'œuvre poétique" (ed. Galaade 2014) aux soins d'Isabelle Lavergne et Jean-Yves Masson). Les auteurs de la préface soulignent l'importance de l'allégorie dans sa poésie (dans "Le passage d'Enée", l'allégorie de Gênes et les extraordinaires "Stances du funiculaire") et aussi de la musique. Mais c'est en même temps une poésie ancrée dans la réalité, dans la situation spirituelle du monde moderne et qui, dès les années 70, dénonce férocement une classe politique responsable de la destruction programmée de la planète.
Mais pour moi, le plus bouleversant reste ces "vers de Livourne" dédiés à sa mère : "Comme elle était jeune et fine/ dans l'escalier Annina"
Vers courts comme qui dirait écologiques
Ne tuez pas la mer,
la libellule, le vent
N’étouffez pas le lamento
(le chant) du lamantin
Le galago, le pin ;
même de ça, l’homme
est fait ! Et qui, pour un vil profit
dynamite le poisson, le fleuve,
ne le faites pas chevalier
du travail. L’amour
finit où finit l’herbe
et meurt l’eau. Où
disparaît la forêt,
et le souffle du vert. Celui
qui reste pleure un pays
toujours plus vaste, dévasté – « L’homme
une fois disparu comme elle pourrait
redevenir belle, – la terre. »
(Traduction Claude Adelen)
A mio figlio Attilio Mauro che ha
il nome de mio padre
Emmène-moi avec toi très loin
Très loin
dans ton futur.
Deviens mon père, prends-moi
par la main
là où tranquillement te mène
ton pas d’Irlandais
la harpe de ton profil
blond, et grand déjà,
plus que moi qui penche
déjà vers l’herbe
Garde
de moi ce souvenir vain
que je transcris d’une main
qui tremble.
Rame
avec moi dans tes yeux vers le large
de ton avenir, tandis que j’entends
(non pas rejette) rouler sourdement
le tambour voilé de noir
qui bat – comme fait mon cœur : au nom
du néant – le Dévouement.
Show
Regardez-les bien en face
Regardez-les
A la télévision,
bon sang, au lieu
de regarder le match.
Ce sont eux, nos « gouvernants »
Nos guides
Les protecteurs
-élus- de nos vies.
Regardez-les
Répugnants
Sordides partisans
de « l’ordre », la boue
de leur esprit barbouille
de pus la suffisance
de leurs faces.
Ils sont
(toujours bien mis !) nos
« Ministres intègres »
Ce sont les Sénateurs
Les sinistres
( les hommes de gauche ?)
-les clairvoyants !- les Syndicalistes.
« Ils luttent » pour le bien
du Pays
Contre les terroristes
Et la Mafia.
Eux qui
à l’intérieur sont plus minables
que les plus minables terroristes.
Parvenus
Arrivistes.
Au nom du Peuple (En Avant !
Toujours en Avant !), parfaitement
Unis ils raflent
les capitaux - se font bâtir
des maisons à la campagne.
Investissent
à l’étranger, pendant qu’ils en appellent
(Bon Dieu, que de « d’appels ! »)
à la paix et à la justice.
Eux,
les vrais serviteurs
de la Justice au nom
(toujours, toujours au nom !)
du Dollar et de l’Or.
Regardez-les, les grands acteurs
les cabotins.
Dignes
-tous- de leurs électeurs.
Il protègent les Valeurs
(en Bourse !) et les Institutions...
Mais qu’est-ce qui se cache
derrière leurs masques
Impudents ?
Le Mal
qu’ils disent combattre ?
Enlevez-moi tout ça de devant
Pour en finir.
Tutti quanti.
(Trad. Claude Adelen)