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(Note de lecture), Guy Goffette, Pain perdu, par Christian Travaux

Par Florence Trocmé


9782072894947_1_75Lire Pain perdu de Guy Goffette, c’est reparcourir en zigzags, et par des chemins de traverse, des voies obliques, un grand nombre de ses recueils. Et plus encore. Car, en retrouvant des poèmes écrits et gardés sous le coude, dans un tiroir, en les rassemblant, les classant, Guy Goffette rebrasse et publie des poèmes vieux de 30 ans, de 50 ans. Et ces textes, laissés pour compte, et abandonnés en chemin, sont comme des morceaux de mie de pain, des pierres blanches, des cailloux, des cairns, des semailles, où l’on suivrait en filigrane la voie tracée.
11 sections. 67 poèmes, dont certains en plusieurs parties : « Du plomb dans l’aile » (p 41-46), « Les enfants derrière la mer » (p 53-57), « La nappe des jours » (p 67-73), ou encore « Le mur de l’annonce » (p 115-124), comme dans La Vie promise, Un Manteau de fortune. Trois textes en prose (p 99, 130 et 135), tels qu’on en trouvait seulement dans Solo d’ombres, ou dans Eloge pour une cuisine de province. Et des formes poétiques diverses. Soit des vers courts : 15 syllabes pour 5 petits vers, dans « Tête d’épingle » (p 65), rappelant les textes d’une section de Petits riens pour jours absolus. Soit, à d’autres moments, parfois, des vers plus longs, comme des laisses, comme des versets, regroupés en strophes : distiques ou tercets, septains ou séquences inégales, comme dans le Psaume pour le temps qui me dure d’être sans toi ou Le Pêcheur d’eau. Et encore des « Dilectures », sans toutefois que le mot paraisse, comme cette évocation de Borges (p 91) qu’on croisait déjà aussi bien dans Petits riens pour jours absolus que dans un poème de La Vie promise. Et « Emily Dickinson, 2 » (p 89) fait écho au numéro 1, qui figurait, dans cet Eloge pour une cuisine de province, paru il y a longtemps. Un calligramme, chose unique dans la production poétique de Guy Goffette, vient surprendre au sein du recueil (p 64).
Et les dates elles-mêmes font sens, du moins pour celles que l’on peut lire : 2004, pour un poème écrit à la suite d’une lecture d’Yves Bonnefoy, le 29 juin (p 90). 1992, dans « La Chanson des jumeaux orphelins » (p 27), qui rappelle un de ces voyages nombreux qu’alors fit Guy Goffette. 1982, le 30 octobre, dans une « Lettre à Roger Lannes » (p 95-98). Et même 1964, pour le poème « Les Cercles » (p 83-84), ce qui en fait le plus ancien texte publié par Guy Goffette, le premier texte de Nomadie, datant de « décembre 70 ». Autant dire que ce recueil reprend ce qui a été écrit, écarté, relu, corrigé, durant toute la vie du poète. Et s’y retrouvent les mêmes thèmes, les mêmes images, comme en marge. Les mêmes éclairs.
Des voyages, où ce qui est vu l’est à travers le prisme clair de la rêverie, ou d’un songe. Epernay, où la gare devient la plage d’un pêcheur en ciré qui ramène et tire sa barque (p 15). Massalia (et non plus Marseille), où Homère et trois Pénélope surgissent au Jardin des Vestiges (p 19-20). Le lac d’Ohrid, en Macédoine, où les gens viennent « tremper leurs larmes, leurs jours gris », devant une table (p 27). Et Hoëdic (p 26), un mur (p 117-124), une balade à vélo (p 16-18), une prairie bleue (p 104), qui bêle, et qui appelle à l’aide (p 108). Toutes choses vues, croisées, et qui – dans le philtre lointain de la mémoire et des images – viennent paraître, et disparaître, reparaître sous un autre jour, d’autres lumières, qui clignotent dans l’océan noir de l’écriture et du poème.
Les saisons, aussi, sont saisies avec l’intensité des heures lumineuses qui les font naître. Le printemps, dont le poète note le chant tenté comme à tâtons dans la gorge des passereaux (p 17). La goutte de pluie sur le fil d’une branche qui ploie (p 32). La canicule, quand « parler d’août / brûle (la) langue » (p 33-34). Ou l’hiver, lorsque le pays se plie à « l’ordalie des glaces / et des froidures » (p 35). Et, dans les saisons, c’est ainsi le temps, le temps, qui est surpris, ressaisi, senti et touché du bout du doigt. Ce temps que le poète appelle « l’or du commun » (p 16) – en reprenant le titre d’un livre d’Yves Leclair (1) à qui un poème est dédié – et dont « l’or » est « l’unique trésor de nos vies pauvres » (p 18), selon Goffette, « l’or inusable des jours perdus » (id.).
Pour lui, nous ne possédons rien, nous n’avons rien que « l’or du temps » (p 18). Et c’est pourquoi tout ce recueil est tant pétri de références, de réminiscences, de souvenirs, comme jamais, peut-être, Guy Goffette s’est autorisé à en faire. Evocation rare de son père, une « perle roulant sur (sa) joue à son dernier moment » (p 133). Allusion aux « photos jaunies » d’un album (p 56), ou au rétameur, dont le cri lui revient soudain, comme son cœur bat (p 60). La vie resserrée dans ses poings (p 69) est ici, avec ses accrocs, ses trous, ses plaies, ses silences, restituée. Et c’est aussi le soir qui vient (p 77), la vieillesse qui avance, la mort, la fatigue sur le dos, qui se trouvent dites (p 55).
Ressuscitées.
Car c’est par la langue des images, par le chant, les mots du poème, que le langage revivifie ce qui fut et ce qui n’est plus. Guy Goffette sait (dans ce recueil, encore plus, peut-être) détourner les clichés, entasser images sur images, et vues sur vues. Il sait redonner au réel tout un lustre qu’il n’avait plus que dans la mémoire et les yeux. La poésie est chose étrange qu’il nous faille son existence pour que nos vies ne s’amuïssent pas, ne se taisent pas. et qu’en elle, en elle seulement, nous puissions retrouver un jour un peu de la saveur amère, douce-amère, des jours d’antan.
Christian Travaux

Guy Goffette, pain perdu, éditions Gallimard, 2020, 160 p, 18 euros.

Extrait p 32 :

LE TRAJET
D’une branche sur l’autre, la goutte de pluie
tombe et la feuille en dessous ploie ; le jour
se creuse affaibli par les crues du printemps,
comme nos joues et nos épaules et notre joie.
Inadaptés, voilà bien ce que nous sommes,
nous avons beau gémir, plier le genou, caresser
les statues, le temps nous use. Cette goutte
qui tombe, cette autre qui la suite le long
de la branche, comment ne pas y voir
le trajet de toute vie, comment ne pas poser
la seule question qui tremble au fond des yeux
comme une prière : la feuille qui nous recevra,
si elle existe, sera-t-elle douce comme une main
amie, douce assez pour ne rien regretter ?
(1) Yves Leclair : L’Or du commun, éditions du Mercure de France, 1993. 


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