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(Anthologie permanente) en hommage à Jude Stéfan, Lettres tombales

Par Florence Trocmé


Lettres-tombalesEn hommage à Jude Stéfan qui vient de mourir, ce 11 novembre 2020, un texte extrait de Lettres tombales, publié aux Editions le Temps qu’il fait en 1987.
A Rimbaud
Rimbe,
car tels ces capitaines ou ces saints, ces philosophes qui ont fait l'histoire, tu restes dans les pensées comme un exemple à vivre, à être, tu n'as pu ne pas exister, donnant leçon de mœurs. On a bavé l'humain sur toi, je n'y ajouterai que pour t'appeler l'homme de vrai. On dit que ce terme n'a de sens, sinon relatif : quand il s'agit de toi, si. Il est vrai que né à cette chiennerie il n'est que de blasphémer et pisser en l'air adolescent; condamné à la mort, que de graver l'éternel à défaut en s'apercevant sitôt que la gloire meurt même avant soi ; rendu aux vides du désert des cités et des affaires, hors la bêtise des filles ou le stupre de l'ami, que de se plaindre et gémir, redevenu bête ; gangrené et cancéreux vers la quarantaine, agoniser dans les cris et les appels à ce qui n'existe pas — tout cela fut vrai, médiocre comme l'homme exact. Puis, tes mots grandioses, ton total mépris de tout, tes lettres de Rhétorique ou d'appel de Londres à Verlomphe et du Saint-Bernard, la haine de tous les merdeux, la vénération des neveux, ton génie comme une pierre là pour les siècles après-humains,
il n'est jour que je, tel autre, ne pense à toi, ne te cite, ne te clame. Ainsi j'ai entendu chanter un ténor tes proses à Londres où tu flânas, vu un mauvais film dont la fin s'admire, toi disparaissant sur ta litière dans les sables et les airs, à l'infini des déserts et des œuvres manquées, été sur ta tombe farcesque en compagnie d'un sérieux professeur anglo-saxon, mais le meilleur fut ceci : à boire trois bouteilles de bordeaux dans une brasserie sélect parisienne en compagnie du poète marocain Khaïr-Eddine, lequel se mit à dire bellement « Oraison du Soir » à l'effarement des serveurs en tablier et des notoriétés éphémères, puis me quitta dans un baiser arabe en assurant que le temps des assassins allait à son apogée :
Je vis assis, tel qu'un ange aux mains d'un
barbier...
... sous l'air gonflé d'impalpables voilures

adieu Rimbe, tu n'es mort qu'en tes chairs, mais ton malheur continue de crier la beauté des soleils vides, du pubis noir des femmes et des saisons sur lesquelles s'affaissent les dits poètes, les imbéciles par honneur.
Jude Stéfan, Lettres tombales, nouvelle édition augmentée, Le Temps qu’il fait, 1987.
On peut aussi consulter ces articles et extraits de l’œuvre de Jude Stéfan dans Poezibao :
Livre Jude Stefan, rencontre avec T. Hordé, extrait 1, extrait 2, extrait 3, extrait 4, Desespérance, déposition de Jude Stéfan par Tristan Hordé, extrait 5, recension numéro spécial revue NU(e), Grains & issues (par T. Hordé),extrait 6, extrait 7, in Notes sur la poésie, Pandectes (parution), extrait 8, Les Commourants (parution), Les Commourants (par T. Hordé), extrait 9, note sur la poésie, extrait 10, extrait 11, Que ne suis-je Catulle… (par Auxeméry), ext. 12, note création, ext. 13, ext. 14, Ménippées, (par Jean-Pascal Dubost), [note de lecture] "Jude Stéfan, le festoyant français", actes du colloque de Cerisy (2012), par Matthieu Gosztola, (Carte blanche) à Mathieu Jung : 114 j’aime Jude Stéfan qui ne seront finalement que 27 environ
Et lire cet hommage d’Alexis Pelletier.  


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