Magazine

Les masques n'ont plus le monopole de la conduite accompagnée

Publié le 20 novembre 2020 par Paulo Lobo
Les masques n'ont plus le monopole de la conduite accompagnée
Et les gens n’ôtent même plus les masques quand ils sont à table.

J’observe, je vois la perplexité dans les visages, l’interrogation, peut-être même de la tristesse, une tristesse résignée, le sentiment d’un futur sous cloche, barricadé, qui ne veut plus se dévoiler, même pas en rêve. Surtout pas en rêve, il faut que les gens apprennent à se contenter de leurs écrans. Toutes voiles dedans.

Il y a quelques jours, je suis allé au théâtre, j’étais heureux de la perspective d’assister à un spectacle vivant. Avec des vraies personnes en train de parler et de bouger sur la scène.

Un agent de sécurité m’a alors prévenu, sur le seuil de la salle, que je devrais obligatoirement porter le masque pendant la durée de la représentation et que, pour quitter mon siège, il faudrait attendre que toute la rangée se lève.

C’était peut-être une mauvaise interprétation de ma part, mais le fait est que mon esprit a été pris d’assaut par une panique profonde,  je me suis vu cloué à mon fauteuil, ligoté et bâillonné pendant 1h45, 105 minutes, sans pause. J’ai été pris d’un vertige, d’un haut-le-cœur, je me suis senti mal, et je me suis entendu balbutier “non ca ne va pas être possible, je n’y arriverai pas”. J’ai rendu mes tickets et j’ai quitté le théâtre, assommé.

Voilà où j’en suis arrivé.

Il y a deux jours j’ai vu un film troublant, « les fraises sauvages » d’Ingmar Bergman. Il y est question de vieillesse et de mélancolie. Un vieux professeur porte un regard sur sa vie, toute entière dédiée à sa carrière et à sa réussite sociale. Il prend conscience de ce qui, depuis ses jeunes années, l’a fait passer à côté des grands rendez-vous affectifs, une réserve, un repli sur soi, un refus de s’impliquer dans des relations humaines. Il revit certains épisodes qui ont marqué sa jeunesse et infléchi sa destinée.

Ce faisant, il accède à une meilleure compréhension de sa condition humaine, de sa condition existentielle. Il est nostalgique du temps passé, le chérit comme un trésor retrouvé, tout en s’emplissant d’une nouvelle sérénité par rapport à son présent et aux êtres qui l’entourent.

C’est un beau film, dans lequel je me reconnais.

Une pacification de l’âme à laquelle j’aimerais également aboutir.

Nous sommes quelques-uns à patienter dans la salle d’attente, distancés les uns des autres, certains gardant le masque, d’autres pas. Le temps coule lentement. J’aime ces moments suspendus, pendant lesquels je sais ce que j’ai à faire, je suis assigné à ma place, identifié dans un processus de traitement administratif, ressentant le poids physique de ma personne. Le système opérant devient dans ce cas un dispositif protecteur.

Le secret consiste peut-être à accepter le souffle dans mon corps, ne pas me projeter au-delà de ma simple présence au monde, ici et maintenant. La tristesse provient parfois du souvenir des malheurs passés. La peur surgit des projections sur l’avenir immédiat ou lointain. Si j’arrivais à me concentrer sur l’instant que je respire, je pourrais accéder à un sentiment de plus grande liberté.

Ce soir - je devrais plutôt dire en cette fin d’après-midi du mois de novembre, alors qu’il fait déjà nuit, je me promène dans les rues de la ville, je devrais plutôt dire je suis à la dérive dans les rues de la ville, et de temps en temps je croise des silhouettes pressées d’aller je ne sais où, je regarde les trottoirs, je regarde les façades, là où autrefois il y avait de la vie, aujourd’hui il n’y a plus que des choses inertes, tout semble désincarné.

Ce matin, je me suis levé à la première lumière du jour, j’ai regardé dehors, et j’ai vu la lumière qui elle aussi se réveillait.

J’ai vu la lumière qui commençait à danser avec les éléments, qui les taquinait, les caressait, les secouait. Elle était belle la lumière, elle était jeune, comme au premier jour du monde. J’ai eu envie de l’aimer. Je me suis dit que cela ne durera qu’un instant. Mais mon Dieu que cet instant est sublime.

Je vous mentirais si je vous disais que j’ai encore des rêves. Que je me projette encore dans l’avenir, et que je m’imagine faire plein de choses dans plein d'endroits différents. Voyager. Découvrir des contrées lointaines. Des saveurs, des senteurs, des vibrations. Je vous mentirais si je vous disais que l’avenir est devant moi, qu'aujourd’hui est le premier jour du reste de ma vie, je vous mentirais si je vous disais que demain sera un autre jour. Que le temps efface tout. Qu'il doit y avoir quelque part un endroit avec une rivière qui coule et des belles filles tout plein.

Je vous mentirais si je vous disais que je crois dur comme fer que l'instant présent est l’instant chéri. Je ne sais pas ce qu’il adviendra de nous, de moi. Il fut un temps où j'enrobais cette ignorance de tout un monde d’aventures et d’évasion. Là, maintenant, il me semble que je ne vois plus que le bout de mon nez. Partout autour de moi, je vois des êtres comprimés, rapetissés, enfermés dans une cage grise et froide, et qui ne peuvent plus faire voler leurs âmes. Je vous mentirais si je vous disais que l’espoir est ce qui meurt en dernier chez l'être humain.

Le temps est à l'agonie depuis longtemps, il subsiste un petit souffle à peine audible. Ce fil qui me relie encore à l’existence, ce fil ténu peut être coupé à n’importe quel moment par le premier passant venu. Et il y a beaucoup des passants qui passent à côté de moi et qui ont les mains en forme de ciseaux.

Ce brouillard qui enveloppe les routes, cette impossibilité de voir au-delà du cime des arbres premier rang.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Paulo Lobo 1390 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte