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(Note de lecture), Guy Perrocheau, D'un phrasé monde, par Alexis Pelletier

Par Florence Trocmé

POUR LE PRÉSENT D’UN PHRASÉ MONDE


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« Avec toi, un jour ». L’ouvrage s’ouvre par cette citation en allemand (« Mit dir, irgendwann, ») sans qu’il soit précisé si elle vient d’un autre livre ou de ce que j’appellerai la fantaisie de Guy Perrocheau. Mais s’il s’agit de fantaisie, ce mot doit tout de suite faire signe vers la musique, ou plus exactement vers le sens mélodique et rythmique du poète. L’amplitude versifiée de ces poèmes, dans l’irrégularité assumée de la versification, de 2 à 15 syllabes, s’appuie sur une écoute de la langue qui met en avant une voix lyrique faite d’affirmations, d’hésitations, de retour sur soi : « da capo / ou pas / mes formes de vie vont le / mouvement continu qu’elles sont / seules à connaître » (p.46). Ainsi, ce sens (mélodique et rythmique) de ce qui fait le poème permet des jeux d’échos ou de suspens avec les mots. Et si le poème liminaire constate que « le temps final s’est fripé », ce rapport au temps est illuminé (le rôle de Rimbaud est essentiel dans ce recueil) par une rupture rythmique qui lance l’énergie du livre : « on y prend le large jusqu’à / plus rien que la lumière » (p.9) Car la lumière est omniprésente dans ce livre. La lumière ou plutôt les variations sur celle-ci. Les six poèmes qui composent l’ouvrage les placent très régulièrement en évidence : « Comme une enfance en Colchide », « Voyageurs du comment dire », « Ce chant est tout notre voyage », « Des voix prennent leurs couleurs de la nuit », « Sans lieu sans cesse » et « La vie ne se ressemble pas ». Outre les références que drainent ces titres, ils disent également ce souci musical de l’écriture.
La comparaison avec l’enfance en Colchide – la terre des Argonautes et le pays des Amazones – dit l’effroi comme une sorte d’arrière-monde à l’écriture : « tant je suis semé de mers à l’intérieur de moi je ne / reconnais plus la forme de mes mots » (p.14). Mais c’est pour partir vers une quête (impossible, aurait pu écrire Georges Bataille) vers le soleil qui « n’a pas encore / repris son nom » (p.15). Pareillement « Voyageurs du comment dire » dit l’errance, la pénurie, le manque pour se heurter aux mots et affirmer à la fin du poème : « la fonte du printemps / dans le passage du sombre à la lumière on s’y mêle / comme l’eau dans l’eau / parleurs volubiles / la nuit le jour / vers le tout-présent / qui nous réveille un en deux / deux en un » (p.49). Un chant est trouvé par cette écoute du monde qui vient dans le poème. Un chant qui est bien une variation ou une variante lumineuse. C’est ce que le premier poème de « Ce chant est tout notre voyage » exprime à son tour, par l’analogie avec « le soleil ou la pluie / jusqu’à cette matière d’âme / qui met de la chimère dans la vie » (p.53).
Il s’agit bien, alors, d’une quête de l’impossible dans les mots. Et elle s’inscrit avec la lumière. « Ce chant qui est notre voyage » passe par l’image d’un cadran qui me semble, évidemment solaire : « tu me demandes quel grand pré va / suivre le cadran / continuer d’être du silence / par le sentier qui craque / ou le luxe des lilas / je suis un gué / et je passe » (p.67). Ici, la figure du passeur – plus que celle du créateur – vient comme façonner la poétique de Perrocheau. Et les diverses citations qu’on vient de lire conduisent à comprendre que celle-ci s’inscrit dans un lyrisme assumé et sans concession. Il ne s’agit pas d’exprimer des sentiments intimes avec exaltation mais de manifester la présence indispensable et discrète de l’autre dans cette quête du sens. « tu me demandes » est bien une reprise de la citation en exergue du livre…
Le poème ou la partie « Des voix prennent leurs couleurs de la nuit » donne naissance à cette trouvaille : « notre ciel est le ciel / non pas citerne à souvenirs / mais surplus de / résonances / confluant avec / la matière d’un monde / et les routes en marche » (p.73). Faut-il remarquer, dans le titre comme dans la citation, la présence simultanée de la musique (« voix », « résonances ») et des variations (variantes) lumineuses (« couleurs de la nuit », « notre ciel est le ciel ») ?
Tout se passe comme si Perrocheau proposait à celles et ceux qui le liront une quête du sens qui, à défaut de faire entrer la totalité du monde, parle de la totalité du sien : « la matière d’un monde » peut devenir plus loin : « des souvenirs de soleils en feu » (p.81). Et cela fonctionne comme une sorte d’archipel qui contient aussi bien les références prégnantes aux Illuminations de Rimbaud, qu’un vers de Serge Ritman, et les notes placées à la fin du recueil de l’expliquer, avec un renvoi, également à James Sacré.
Ce paysage personnel – peut-on le désigner ainsi ? – touche à un poème qui est comme sans commencement ni fin. Il n’y a d’ailleurs aucune majuscule et aucun point (aucun signe de ponctuation) dans ce livre, comme pour souligner discrètement cet infini du dire ou plutôt cette quête de l’infini du dire en tant que point d’application du poème, en lui-même, si je peux risquer cette phrase un peu lourde.
On ne s’étonnera pas de lire dans « Sans lieu sans cesse », presque de manière prosaïque (mais la découpe du vers est toujours maîtrisée) : « mettons que je suis confus mais / pour ces drôles de mots qui vont / d’une aube à l’autre / et combien et comment / c’est à chacun selon son envie » (p.99). La lecture nous embarque, d’un jour à l’autre, en passant par les couleurs de la nuit, vers un pays qui n’existe pas et qui pourtant est peut-être plus réel que ce que l’époque voudrait faire passer pour réel. C’est en tout cas un pays marqué par – au terme d’une lutte contre l’effroi – le fait que « jamais dans le souvenir / les fleurs ne se fanent » (p.99).
L’ultime étape de ce parcours – « La vie ne se ressemble pas » – conduit au titre de l’ouvrage et rappelle que, dans la complexité commune de la relation au sens, le poème fait entrer musicalement un sens du phrasé dans l’écrit, c’est-à-dire une manière de faire surgir le rythme et la mélodie comme expression « d’un phrasé monde ». Ce sont les derniers mots du recueil et ils confirment que la fin et le commencement sont un même terme ou en tout cas un même but, une même quête.
Il faudrait mentionner en outre comme l’écriture de Perrocheau sait à la fois se contraindre et lâcher prise.
La contrainte, c’est la poursuite dans tout le recueil d’un même point d’application. Le lâcher-prise, c’est la mise à distance qui pointe régulièrement non pour détendre l’atmosphère mais pour faire revenir encore à plus de réalité dans l’écrit : « jusqu’où cette voix se met-elle en scène / et jusqu’où se prolonge-t-elle en son propre chant » (p.77).

D’un phrasé monde
est donc un livre du et pour le présent : la voix lyrique est aujourd’hui ce qui ne peut pas lâcher : « Mit dir, irgendwann ». On a un besoin absolu de cette voix, maintenant, de cette voix qui tient la main des celles et ceux qui lisent.
Guy Perrocheau, D’un phrasé monde, Tarabuste Editeur, 132 pages, 14€.
sans doute une voix
n’est-elle plus rien qui se chiffre
tellement par elle en elle
c’est comprendre vite
qui se dissout
dans son propre élan
sa propre légende
une illumination sans cesse
happe plans et niveaux je vois
des souvenirs soleils en feu
et l’océan leur ventre
anomalies n’ouvrant sur rien
linge sur le fil ou cerf-volant
flottements comment
filtrer ce dire
en canaliser l’appel tu voudrais
que je n’en sois pas transformé
même à des siècles de distance
on s’y rafraîchit les mains
d’une eau douce souterraine
et caressante en nous
par le bougé des mots dans leur
bref emmêlement de syntaxe
prorogée sans trêve
avec aussi le plus de
marge possible
entre un sourire
et rien
ce chantonnement suranné
donnerait-il tant soit peu le change
au divisé du jour je
ne connais pas ma prison
mes chaînes tiennent à un fil
   (p.81-82)
d’un seul vieux fond de ténèbres c’est
miracle qu’un chemin se prolonge
et qu’il soit passé joueur
et sans encombre
et qu’il soit passé
comme une plage lisse
susurre à la robe de l’air
un jour longtemps peut-être toujours
des départs n’auront compté pour rien
la joie parlera toute seule
auréolée des lointains complices
dans le raccordement
des souvenirs inventés
parlera toute seule
d’un souffle
un bout
de ritournelle
au plus court instant
recommencé
même un mur
même un arbre
au doigt et à l’œil
l’auront suivie jusqu’à
reprendre en nous les parcours
d’un phrasé monde
   (p.125)


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