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J'exècre le click & go

Publié le 07 décembre 2020 par Paulo Lobo
J'exècre le click & go
J’exècre le click & go.

J'ai en horreur les écrans électroniques, j'ai en horreur tout ce qui veut me harponner à outrance.

Je veux de l'analogique, de l'imprimé, du tactile, des yeux dans les yeux et des mains dans les mains, des vendeurs dans le magasin, des cafetiers derrière le zinc du comptoir, des projectionnistes dans la cabine du cinéma, des maçons sur le chantier, des mécaniciens dans la fosse de garage, des écrivains tenant leur plume, des musiciens jouant sur la scène. 

Je veux de vraies femmes et de vrais hommes en face de moi.    

Je refuse le monde des geeks et des nerds. 

Je veux me perdre dans le dédale de la ville. Sentir le bitume sous mes chaussures.

Je veux sentir le regard des autres.

Je veux regarder les autres. 

Il marchait dans la rue. Il tenait un chocolat chaud dans les mains. Qu’il avait acheté parce qu’il faisait froid. La sensation du liquide à travers le plastique lui faisait du bien, malgré le plastique.

Il croisa un garçon qui avait l’air bien amoché par la vie et qui l’aborda humblement, le visage contrit, la main tendue, en disant d’une voix à peine audible « Monsieur... »

Il se dit qu’en réalité rien ne l’empêchait d’être généreux. Dans un élan de confiance pleine dans l’humanité, il arrêta son pas et tendit au garçon le gobelet. “Pouvez-vous me tenir ceci un moment, s’il vous plait ?” Un peu décontenancé, le quémandeur saisit le récipient, tandis que, de son côté, il retirait son portefeuille de la poche, et en sortait quelques pièces. « Tenez ». Le garçon le remercia et lui rendit le gobelet.

(Un petit pas pour l’homme, un grand geste pour l’humanité .

Bonne conscience, en donnant à autrui, c’est à toi que tu fais du bien. 

Tu ne serais donc qu’un égoïste...)

Un peu plus loin, le trottoir se rétrécit jusqu’à n’être plus qu’un mince filet de 1,10 m. Il aperçut un passant qui venait en sens inverse. Ils allaient devoir tous les deux emprunter le même trottoir. Un espace public auquel ils avaient droit tous les deux, car ils payaient leurs impôts. Que faire ? Il n’avait pas de masque, et l’autre non plus visiblement. Le croisement s’annonçait des plus périlleux. Mais il n’y avait aucune issue.

Plus tard dans l’après-midi, il toussa sur la place, et tout le monde le regarda avec effroi, comme s’il avait commis la plus grande des abominations.  

Il se dit que les temps étaient vraiment devenus kafkaïens. Absurdes, quoi. Il fallait si peu de chose pour se sentir borderline. Pour qu’il se sente hors-la-loi. Engoncé dans ses oreillettes et caché derrière son masque, il partit ailleurs, se mit en mode inaccessible. 

La mort est si proche et en même temps si abstraite. Elle rôde autour de notre condition humaine, une menace invisible, une panthère dans la nuit, prête à bondir à n’importe quel moment. Le moment arrive et la voilà qui happe sa proie et l’emporte dans les entrailles de la jungle pour la dévorer à petit feu. Loin des yeux, loin du cœur. Les mots ne peuvent rien contre la mort, ce n’est pas Shakespeare qui me contredira. D’ailleurs, il est mort et enterré, plusieurs fois enterré, tout comme ses jeunes amants qui dorment côte à côte en attendant le grand réveil. Nous avons tous l’illusion d’une mission, nous voulons ériger des faux-semblants, des remparts, des trompe-l’œil pour nous voiler la face et ne pas sombrer dans les crocs de la mer.

On se retrouve un matin paumés, à la maison, incapables de regarder le jour droit dans les yeux. On finit par plier l’échine devant l’insondable mystère de l’éternité que jamais nous n’atteindrons mais à laquelle nous aspirons toujours. 

Alors on se force à accomplir les petites tâches du quotidien. 

Ça aide. C’est distrayant. Puis on s’assoit, le cœur fatigué, on regarde les meubles, on s’approche de la fenêtre, on regarde le paysage. On se désole. On soupire. On se souvient. On sourit. On ferme les yeux. On se projette dans une immensité de désert, écrasé par un ciel bleu, lourd comme une chape de plomb, mais nous on se sent légers comme l’air. 

Un autre jour, nous voici dans l’habitacle de la voiture, ça roule lentement, des centaines d’autres véhicules, dans chacun de ces engins, un être seul, reclus dans son monde. On avance, on accélère, on ralentit, on freine, on repart, le mouvement par à-coups nous berce et nous rassure. On garde les yeux fixés sur la route, des véhicules devant, des véhicules dans le rétroviseur, on reste dans le rang, on respecte la distance, on sait que rien ne changera de sitôt. Où sont les rêves, que sont devenus les rêves, c’est un combustible qui me fait défaut. Je ne vois plus la pertinence de la route. L’horizon a disparu de mon horizon. Hier, juillet, aujourd’hui, décembre. Le brouillard enveloppe mes jours. Le chemin est morne et silencieux. Je vois les formes, les bâtiments, la brume, les mystères, je me demande comment accéder à une dimension parallèle. Je ne veux pas savoir ce que font les gens qui occupent ces bâtiments. Je ne veux pas connaître leurs noms, ni leurs histoires. Je ne peux plus me promener tranquillement dans les allées du jardin. Je n’ose plus dévisager qui que ce soit, j’ai trop peur d’être pris pour un assaillant.

Il fut un temps, pour tuer le temps, je rentrais dans un café, je prenais place à une table, et je regardais les vagues, me sentant affranchi du cadran. J’avais un petit cahier d’écolier avec moi, j’y brodais des phrases, dans une langue qui n’était pas ma langue, mais à la longue, à force de laisser couler les mots, je m’en accommodais, il y avait un flux de conscience.

Je n’avais pas d’ambition, je ne me voyais pas en haut de l’affiche, je ne me voyais pas sur une fiche, je me voyais libre. Est-ce que je me rendais compte que j’étais jeune et que j’avais la vie devant moi ? Je m’en rendais compte, mais en fin de compte, cela ne changeait rien à l’affaire.

De même aujourd’hui, je ne suis plus jeune, je ne suis pas encore vieux, est-ce que je m’en rends compte, je me pose la question maintenant pour que dans 20 ans, si je suis encore là, je me demande si j’en avais conscience. Oui, je m’en rends compte mais cela ne change rien à l’affaire.

On dit toujours que c’est l’amour qui est le véritable moteur de la vie. Mais pour que cet amour soit réel, tangible, réellement satisfaisant, il implique de donner, donner beaucoup, donner de soi, écouter, regarder, ne pas chercher la petite bête, chercher la paix d’abord, apaiser les choses, apaiser le monde, quitte à ce qu’on y perde  au change.

Et je vois encore la beauté, et je vois encore la jeunesse, je ressens comme un embarras, ce n’est plus moi.


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