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(Anthologie permanente) Jean-Claude Pirotte, Je me transporte partout

Par Florence Trocmé


Je-me-transporte-partout-5000-poemes-inedits-2012-2014Extraits du livre de Jean-Claude Pirotte,
Je me transporte partout,
en lien avec la note de lecture de Christian Travaux.
l’ombre s’étend sur la pelouse
et le frêne murmure au vent
que la température est douce
et qu’il n’abrite qu’un enfant
un enfant mort mais qui murmure
aussi des paroles au vent
de lentes paroles qui durent
sous le frêne depuis longtemps
la solitude se déploie
comme des ailes des nuages
ou comme un grand manteau de roi
sur l’enfant mort dont le visage
rayonne encore un pur instant
dans le soir triste et dans le vent (p. 26)
je ne peux plus m’arrêter
d’écrire et d’écrire encore
au point d’en être navré
comme d’un vice du corps
mais il faut que je m’arrête
il est urgent que je dorme
si mon oreille s’apprête
à soudain changer de forme
mais j’ai peur d’aller au lit
j’attends que le temps m’oublie
et je bois du café fort
avec l’espoir que mon corps
trouvera un alibi
pour me conserver en vie (p. 194)
j’écris au courant de la plume
je le répète c’est un ru
dont la source ne se tarit
que si j’avance dans la rue
avec ma canne ou mes béquilles
au demeurant je ne sors plus
je suis à l’abri des intrus
qui ne me voient pas dans la rue
pourtant je me tiens à l’affût
de la moindre combinaison
du ciel et de ses illusions
qui ne m’inspirent que chansons (p. 262)
retour à Saint-Léger, le 17 février 2013

qu’importera le temps qu’il fait
je boirai toujours du café
je marcherai dans les ruelles
que j’ai toute ma vie rêvées
car la vie est exponentielle
et rime avec n’importe quoi
mais pas question de rester coi
plutôt saluer le vieux ciel
le vieil arbre et le vieux soleil
qui fait de la neige une telle
ombre bleue dans l’éloignement
que l’on peut compter les instants (p. 398)
colon perdu fesses cousues
vieux chancres et jeunes tumeurs
tout ce qui fait ma bonne humeur
œil qui pleure et bouche tordue
jambe au pied mort qui ne remue
qu’à contretemps et sans espoir
d’aller jusqu’au coin de la rue
pays que l’on ne peut revoir
cathéter à la clavicule
bombe à la hanche et dans le corps
harnachement d’animalcule
presqu’aveugle et vivant encor
puis demandez ce qui vous plaît
il reste la tête à couper (p.459)
de plus en plus branlante ma
démarche quand je sors du lit
les jambes dont le corps m’arma
flageolent et c’est la chienlit
je prends médecine l’oreille
est sourde et la douleur s’éveille
au point que je n’ai qu’une envie
passer au lit ma fin de vie
le moindre effort me coûte cher
je titube autour de ma chaise
je perds les muscles et la chair
s’est enfuie au diable vauvert
je ne serai jamais à l’aise
et mon visage devient vert (p.552)
j’avais décidé de n’écrire
qu’à mon amie dont le sourire
est plus précieux que l’or du temps
mais quel regret si les autans
volent mes feuillets en partant
à l’aventure en ce grand ciel
et mon amie aux yeux de miel
lira ce qui est important
dans une autre vie que la mienne
certes je ne veux la quitter
mais de la mort je suis hanté
si je n’ai pas peur de la sienne
elle est vivante au pied levé
mais moi je serai décavé
quand le brancard viendra chercher
le reste d’une vie hachée (p. 617)
de mourir le temps est venu
je me réveille triste et nu
or la mort n’est pas advenue
c’est pour demain après-demain
pourtant elle me tend la main
je la regarde dans les nues
se présenter comme un corbeau
elle se détourne de moi
je me vois comme un siamois
privé de tout son ancien moi
la mort est là mais c’est trop beau
de la voir venir dans les nues
céleste mort joyeuse et nue
et belle comme des coraux (p. 703)
Jean-Claude Pirotte, je me transporte partout, 5000 poèmes inédits (2012-2014), Le Cherche-Midi éditeur, 2020, 746 pages, 29 euros.
Choix de Christian Travaux en lien avec sa note de lecture de ce livre.  


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