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Leo Perutz : Le Cavalier suédois

Par Gangoueus @lareus

 Coup de cœur

Le Cavalier Suédoisde Leo Perutzpar Emmanuel GOUJON
Leo Perutz : Le Cavalier suédois
Parfois, des livres inattendus vous sont donnés. On les prend alors comme ils viennent, à pleine main, et c’est un plaisir particulier qui vous saisit. Comme si un trésor sans carte vous tombait dessus qu’il ne s’agit pas forcément de conserver, mais qu’il faut bien plutôt partager, puisque vous-même en avez reçu don.C’était un week-end de chasse avec mon frère. Comme souvent nous parlions de nos livres de chevet. J’étais dans un autre Dumas, « Joseph Balsamo », que justement il m’avait conseillé. Lui me dit qu’il avait découvert un petit livre qu’il était en train de terminer d’un auteur dont je n’avais jamais entendu parler, un Allemand du début du XXème siècle exilé en Palestine, Leo Perutz… Ce roman s’appelle « Le Cavalier Suédois », titre un peu étrange tout en étant banal, mais qui porte aussi toute une symbolique du voyage assez séduisante. « Je te le prêterai », me dit mon frère. Quelques semaines plus tard, l’ouvrage me tombait donc entre les mains. Mais jamais il ne m’est tombé des mains : depuis que je l’ai reçu, je ne l’ai pas lâché, jusqu’à maintenant où je viens de terminer la page 275 qui marque la fin de cette belle histoire vue par les yeux d’une jeune enfant : Maria Christine.C’est de ses Mémoires qu’est tirée l’étrange histoire de deux hommes qui mêlent leurs destins. Et il faut bien deux hommes pour mener la vie du Cavalier Suédois ! A travers les rêves éveillés de la petite fille de Silésie dont le père est parti à la guerre en ce début de XVIIIème siècle – une guerre obscure et méconnue d’un roi de Suède qui voulait bâtir un empire en Europe Centrale et de l’Est – on découvre la vie tragique mais aventureuse de deux hommes, compagnons de misère et de hasard, qui échangent leurs destinées. D’une certaine façon ces deux aventuriers sont bien son père, l’un son géniteur réel qui l’a élevée et chérie jusqu’à son départ, l’autre le héros glorieux partit à la guerre après avoir déserté…Dans les yeux de la petite, comme dans son esprit naturellement immature, ce père double et absent devient un mythe : à la fois héros guerrier et fantôme nocturne, père attentionné et mystérieux chef de bande, puissant propriétaire terrien et forçat déshonoré. Toutes ces facettes se mêlent dans un même père reconstruit par la petite fille qui ne sait pas que deux hommes se cachent derrière ce destin hors norme. Comme le dit Perutz : 
« De son père, le « Cavalier Suédois », elle ne conservait qu’une image floue. ‘Il avait des yeux redoutables, dit-elle, mais lorsqu’il me regardait, le ciel s’ouvrait au-dessus de moi ».
Le déserteur préfère partir au bagne plutôt que d’affronter le peloton d’exécution et l’opprobre qui découlera de son action. Le voleur, qui a une fois entrevu le bonheur et la félicité qu’il pourrait vivre auprès de la femme amoureuse qui attend le déserteur dans son domaine en ruines, décide de prendre la place du déserteur. Le premier disparait dans la nuit des mines et des chaufours, le second commence à courir les chemins à la tête d’une bande de bandits pilleurs d’églises. Une fois riche, il vit sa vie rêvée, épouse la mère de Maria Christine, développe son domaine, aime sa fille. Mais toujours plane au-dessus de lui une sorte de puissante tutélaire, une bizarrerie mystérieuse et fantasmagorique qui semble tisser mieux que les hommes eux-mêmes les entrelacs de ces vies qui ne s’appartiennent jamais complètement. La corde du pendu mentionnée plusieurs fois symbolise aussi cette puissance que l’on dirait menée par les Parques. Le nœud coulant, petit à petit, se resserre, jusqu’au jour où son passé rattrape le voleur à cause d’une femme méchamment éconduite, Lies la Rousse. Du déserteur on ne sait plus rien pendant longtemps, tant il est vrai que cette vie dans les fers et dans la nuit des gouffres n’a pas d’intérêt et ne mérite pas l’attention du narrateur.Enfin, les deux hommes, qui s’appellent désormais « frères » après s’être reconnus, se retrouvent à l’endroit même où ils s’étaient séparés moins de dix années plus tôt. Alors le voleur décide de repartir au bagne, tandis que le déserteur part finalement s’illustrer glorieusement à la guerre. La boucle est bouclée. Et la petite fille, qui refuse de croire en la disparition de son père, et continue nuitamment à recevoir ses visites, est persuadée d’avoir réussi à créer un lien magique avec le Cavalier Suédois puisqu’elle a cousu à la lumière de la Lune dans sa redingote un petit sac rempli de sel et de la terre du domaine… Tous les personnages de ce roman auront en grande partie subis leur destinée, ne laissant ça et là que quelques traces, essentiellement des marques d’amour indélébiles.Le Cavalier Suédois, Leo Perutz, traduit par Martine Keyser. Editions Phébus, Paris 1987, 275 pages.

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