Dans ce sens, rien n’est effectivement plus étrange que la manière dont la société traite les artisans et la technique en général : pour s’en rendre compte il suffit d’étudier la persistance de la hiérarchisation sociale et salariale, des « manuels » et des « intellectuels », héritée de l’antiquité gréco-romaine. Pourtant, sur le plan sociologique, la diversité des professions ne nécessite aucune hiérarchie. Cependant dans notre société il est socialement et économiquement plus intéressant d’être ingénieur-architecte que maçon dans la mesure où la hiérarchie en application place mieux le professionnel du « fabriqué » que celui du « fabriquant ». Notons au passage que le nombre d’années de formation d’un Compagnon étant égal, voire supérieur à celui d’un ingénieur civil, la différence de rémunération n’apparaît plus de ce fait ni justifiable ni proportionnelle au temps consacré à la formation d’autant que le Compagnon autofinance son mode d’apprentissage. Aussi, l’anthropologie sociale se doit de dépasser les illusions justificatives des structures hiérarchiques dépassées, lesquelles empêchent la société de s’acheminer vers une humanité véritable.
Le grand paradoxe de cette course effrénée aux diplômes, mise en place par les sociétés compagnonniques subsidiées par les pouvoirs publics, est qu’elle induit l’appauvrissement des métiers sous prétexte de leur valorisation ! Il s’agit donc bel et bien là d’un cercle vicieux. Aussi, ne faudrait-il pas en priorité revaloriser les secteurs d’activités au sein desquels les artisans pourront véritablement s’épanouir (avec tout ce que cela implique au niveau d’une revalorisation sociale et salariale du statut de l’ouvrier) plutôt que d’investir de manière excessive dans le développement des formations diplômantes masquant les fondements d’un problème sociétal récurrent ?
Précisons toutefois que nous ne sommes pas contre l’attribution de diplômes et de certificats à condition que ces derniers ne soient pas un encouragement à abandonner la pratique du métier pour les raisons que nous venons d’évoquer. A méditer…
Stéphane Verboomen
Compagnon Passant Charpentier du Devoir (Cayenne Itinérante)
Bruxelles, janvier 2021

L'homme pense parce qu'il a une main. Anaxagore (500-428 av. J.-C.)
