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(Anthologie permanente) Mary Ruefle, dossier de Jean-René Lassalle

Par Florence Trocmé


Mary ruefle tristimaniaVoici l’habituel dossier de traduction de Jean-René Lassalle que Poezibao remercie pour sa fidélité depuis des années et la succession de ces beaux dossiers donnant la voix à de nombreuses et nombreux poètes étrangers.
Aujourd’hui Mary Ruefle, dont on peut lire ici une courte présentation.
Crayonné

Aucun réel mot encore
Épieu d’oies
lancé dans la mauvaise direction
Son ombre étendant brume noire
dessus la neige
J’étais à la hauteur de mes coudes
dans un homme qui perd du sang sur la table
Et le chevreuil blanc
dont le souffle en ramure
Tendait un espoir
en désinvolture
Semblait découpé pour nous
Mais l’en-haut se protégeait
en trempant les dés dans la cire
Sept crayons se dressaient à la rivière
agités
Source : Mary Ruefle (2004) dans American Hybrid, édité par Cole Swensen, Norton 2008. Traduit de l’anglais (américain) par Jean-René Lassalle
Penciled

No real word yet
Spear of geese
thrown in the wrong direction
Its shadow spreading black mist
over the snow
I was up to my elbows
in a man losing blood on the table
And the white deer
whose antlered breath
Held out hope
with abandon
Seemed cut for us
But the upabove was protecting itself
and dipped the dice in wax
Seven pencils stood by the river
and shook
Source : Mary Ruefle (2004) dans American Hybrid, édité par Cole Swensen, Norton 2008.
*
Vas-y verbatim

Je vis dans le monde figuré
où rien n’existe
pas même une chaise
excepté celle où je suis assise
tandis que je descends the boulevard
lorsque Francie surgissant
le retire de sous mes pieds.
Tu vis dans un monde imaginaire !
s’exclame-t-elle en l’examinant.
« Et tu », Francie, déclarai-je :
de quoi se compose ton esprit ?
Savon se dissolvant ou bougie
qu’on ne puisse souffler ?
Donc quand je l’eus fait pleurer
je dis Francie assieds-toi,
apprends-moi à prononcer
les esprits tristes ont mêmes pensées,
tu sais, sur le mode répétitif.
Source : Mary Ruefle : Tristimania, Carnegie Mellon UP 2004. Traduit de l’anglais (américain) par Jean-René Lassalle
Go verbatim

I live in the figurative world
where nothing exists
not even a chair
except the one I am sitting on
as I walk le boulevard
when Francie comes up
and pulls it out from under me.
You live in a fantasy world!
she exclaims upon examining it.
Et tu, Francie, I say,
what is your mind made of?
Disappearing soap or a candle
that won’t blow out?
And when I had her weeping
I said Francie sit down,
teach me how to say
sad minds think alike,
you know, the repetitious way.
Source : Mary Ruefle : Tristimania, Carnegie Mellon UP 2004.
*
Où vont les lettres

Comment la flèche est-elle tombée dans la cheminée
et comment scellions-nous les sceaux des enveloppes
au plus loin de nos esprits ?
Pourquoi un timbre est-il destiné
à désirer le baiser de sa propre oblitération ?
Quand une femme est-elle un exact affranchissement
de sorte qu’une question n’ait jamais besoin d’être pesée ?
Qui tousse ?
Leur concentration est remarquable
Le corps est toujours si désolé
Nous vivons dans un monde de vie et d’autres petites choses reconnaissantes
combinées en manières profondément satisfaisantes.
Le facteur n’est pas passé / il ne passera jamais.
Jaune et verte est la planète.
Puis je l’ai demandé.
Pourquoi n’étais-je née qu’à moitié
avant que ce moment
m’apporte délivrance ?
Les voilà qui vont, ces loques
dans le maelstrom,
sur les ailes d’une gentille colombe blanche,
sur le dos du corbeau.
Source : Mary Ruefle : Tristimania, Carnegie Mellon UP 2004. Traduit de l’anglais (américain) par Jean-René Lassalle
Where letters go

How did the arrow fall down the chimney
and how did we seal the seals of envelopes
when they were the furthest thing from our minds?
Why is a stamp destined
to miss the kiss of its own cancellation?
When is a woman exact postage
so that a question need never be weighed?
Who is coughing?
Their concentration is remarkable.
The body is always so sorry.
We live in a world of life and other small, thankful things
combined in deeply satisfying ways.
A tisket, a tasket.
A green and yellow world.
And then I asked it.
Why was I only partly born
before this moment
delivered me?
There they go, stupes
into the maelstrom,
on the wings of a sweet white dove,
on the back of the crow.
Source : Mary Ruefle : Tristimania, Carnegie Mellon UP 2004.
*
Sauterelle

As-tu déjà essayé
d’attraper une sauterelle ?
C’est pratiquement impossible
mais ceux qui font métier
d’une étude précise de la vie
pensent que sous la surface
loge un pilier de temps immobile
Voici donc le moment
d’ajouter sauterelle
à tes viatiques
abandonner l’éternelle
disponibilité, et embrasser
la vie imperceptible
Hop, fonce
Rappelle-toi, elle pèse
moins d’une once
et sous elle
loge un pilier
du temps immobile –
Source : Mary Ruefle, magazine Poetry, mai 2020. Traduit de l’anglais (américain) par Jean-René Lassalle
Grasshopper

Have you ever tried
to catch a grasshopper?
It is practically impossible
but those who make
a close study of life
believe that under the surface
is a pillar of motionless time
Now is the time
to add a grasshopper
to your viatica
to abandon endless
exposure, and embrace
unnoticed life
Now pounce
Remember, he weighs
less than an ounce
and under him
is a pillar of
motionless time—
Source : Mary Ruefle, magazine Poetry, mai 2020.


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