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Mystery Road : saison 2

Par Vance @Great_Wenceslas

Arte & l'Atelier d'images s'associent à nouveau pour proposer une nouvelle saison à cette remarquable série, point d'orgue d' une franchise débutée au cinéma qui se focalise sur les délicates enquêtes d'un détective fédéral (l'inspecteur Jay Swan) au coeur de l'Outback australien, gangrené par le trafic de drogues et rongé par l'ennui. Depuis le 5 janvier 2021, un coffret 2 DVD est donc proposé pour les 6 épisodes qui choisissent la continuité, reprenant à leur compte des codes ayant conféré leur marque de fabrique à la saga :

  1. un investigateur taciturne et solitaire, méfiant mais tenace ;
  2. une partenaire à fort caractère, séduisante à sa manière mais en proie à de douloureux problèmes familiaux ;
  3. une police locale douteuse, dont la hiérarchie semble fermer les yeux sur nombre de délits ;
  4. un environnement monotone, une bourgade perdue dans le désert ocre, proposant des photos sublimes soulignant l'immensité majestueuse de ces vastes espaces arides ;
  5. des plans filmés à la verticale : un point de vue de type God's eye qui faisait la particularité du style d'Ivan Sen, réalisateur des deux premiers films ;
  6. une enquête progressant doucement, emberlificotée dans les faux-semblants, le manque d'informations, les pressions contradictoires de potentats locaux et d'associations de défense des droits indigènes.

Lors de sa première diffusion sur les ondes d'Arte, la série a su faire parler ses qualités sans bénéficier pour autant d'une campagne tapageuse : son caractère atypique tout en réinterprétant les codes des séries policières et du western, la majesté intemporelle de ses paysages avaient conquis plus d'un million de téléspectateurs et en avaient fait un des plus gros succès de la chaîne pour 2019.

La nouvelle saison reprend le personnage principal : Jay Swan est à nouveau appelé dans un secteur reculé de l'Australie pour prêter main forte à la police locale. Cette dernière se retrouve confrontée à un épineux et inédit problème : un cadavre décapité retrouvé dans la mangrove. Première singularité de la saison : le bord de mer. L'océan vient ainsi, de temps en temps, briser l'imposante monotonie du désert et ses vagues remplacer le moutonnement des buissons épineux. C'est d'ailleurs sur une plage qu'on trouvera également l'un des deux points focaux de la saison : un camp de recherches archéologiques, avec une scientifique suédoise mandatée pour trouver des indices essentiels dans l'élaboration d'une théorie anthropologique révolutionnaire, sous l'œil méprisant et suspicieux d'Aborigènes et de métis, qui ne supportent pas que des Blancs viennent toucher à leurs terres ancestrales.

La série va du coup déployer doucement le mécanisme de l'enquête policière tout en mettant régulièrement en avant le paradoxe de la question aborigène, avec une populace qui s'oppose fermement aux fouilles et recherches tout en étant désireuse de préserver ses origines millénaires. Et c'est ce qui donne toute sa saveur à la relation qui se noue entre Jay, le mutique investigateur dépêché par le pouvoir central et Fran, adjointe au capitaine. Car cette fois la partenaire de notre sombre héros n'est pas l'officière en chef, comme dans la saison 1, mais une jeune femme qui n'a pas froid aux yeux et se retrouve, comme lui, coincée entre ses origines (sa sœur mène un petit groupe d'activistes de la cause aborigène), la mission qu'elle s'est donnée (retrouvée la trace d'une cousine disparue sans laisser de traces) et son devoir de femme de loi. Les connaisseurs comprendront ainsi très vite pourquoi Jay se montre plus docile et conciliant avec elle qu'avec son chef, envers lequel il se montre irrésistiblement hostile. Il faut dire qu'il a pu témoigner de nombre de cas de corruption chez les flics et ne les porte guère en haute estime : de fait, dès les premières secondes, Jay se montre ouvertement méfiant vis-à-vis du chef de la police locale et sème ainsi le doute chez les téléspectateurs.

Car dans cette petite bourgade, vivotant entre la pêche aux crustacés en perte de vitesse et le trafic de marchandises par le biais de ces files de semi-remorques sillonnant les pistes, tout le monde se tait ou semble avoir une face cachée. Et dans cette atmosphère pesante, où les pêcheurs se font tabasser dans les hangars et les jeunes disparaissent du jour au lendemain, personne n'a rien vu, rien entendu - et tout le monde paraît suspect. Il a l'air pourtant bien gentil le petit prêtre en fauteuil roulant, mais ses relations avec une jeune indigène soulèvent bien des questions. Et Sandra, l'archéologue en butte aux brimades des locaux, pourquoi se met-elle à creuser en dehors du périmètre autorisé ? Et qu'a-t-elle découvert qu'elle s'empresse de dissimuler ? Et derrière tout ce beau monde, un potentat local, ancien soldat ayant participé à plusieurs opérations en Asie, semble tirer des ficelles occultes tout en ayant les flics dans sa poche.

Rien qui puisse faire peur à Jay Swan : notre indomptable détective fédéral a connu des situations bien pires, plus complexes et plus dangereuses. Cependant, le bougre s'est un peu compliqué la tâche : lui qui refuse de s'impliquer émotionnellement (bien que l'on sache à quel point il s'investit dans la protection de ses proches) se retrouve face à son ex-femme, qui a refait sa vie, abandonnant apparemment ses vieux démons, pour élever leur fille dans un contexte plus paisible. Elle fricote en outre avec Simon, homme affable, ancien flic, qui prête d'ailleurs main forte à Jay lors d'une de ses investigations ayant mal tourné. Pourtant, ce dernier, sans doute rongé par un relent de jalousie obscure, ne parvient pas à accepter la situation et va s'empresser d'enquêter sur ce trop gentil, trop parfait Simon. Pourquoi a-t-il quitté les forces de l'ordre ? Pourquoi fait-il la cour à Mary ?

Et pour compliquer le tout, Shevorne, sa propre fille, s'est acoquiné avec un jeune qui s'adonne au trafic de drogue. Jay va se retrouver à courir après plusieurs lièvres à la fois, tout en cherchant à mettre la main sur la tête du réseau qui lui en a fait baver : comme il l'avoue à un moment, il en a assez de mettre la main sur des petits chefs de pègre locale, il veut la peau du big boss, dont les activités dépravent systématiquement les communautés livrées à elles-mêmes.

Une seconde saison qui s'apparente furieusement à la première, tant visuellement que sur le plan du rythme, tout en esquissant quelques petites évolutions du personnage sans doute un peu trop monolithique (mais on l'aime bien ainsi, notre Jay !). La réalisation efficace manque de l'élégance de Rachel Perkins (qui était en charge de la première saison) et les rares scènes d'action semblent parfois artificielles et poussives, souffrant d'un montage approximatif, même si on a droit à quelques jolies courses poursuites aussi impressionnantes que poussiéreuses. Toutefois, la série dispose toujours de ses qualités intrinsèques que ce soit son héros rebelle et opiniâtre, ses hors-la-loi difficiles à jauger et insaisissables, ses flics (peut-être) corrompus et ses paysages stupéfiants. La photo ne cesse de mettre en valeur les rouges de l'outback et les bleus de l'océan, dans une palette de couleurs plus riche que les opus précédents. Bien qu'il n'y ait pas à proprement parler de générique de début, chaque épisode commence par une sorte de rituel, des gros plans raffinés sur un objet, un lieu, un coin de ciel, toujours esthétiquement superbes.

Face à l'imposante prestation d' Aaron Pedersen toujours aussi convaincant, mais qu'on souhaiterait voir sortir de ses gonds, se détachent deux comédiens : Callan Mulvey, dans le rôle de Simon, un acteur néo-zélandais dont la gueule vous dit sans doute quelque chose (si ce n'est pas dans c'est forcément dans Captain America : Winter Soldier ou dans 300 : Rise of an empire) ; et surtout la fascinante Jada Alberts, dont les yeux océan vous hypnotisent sur son visage tanné par le soleil ; débordante d'énergie, elle est le contrepoint parfait d'un Jay rocailleux, parfois complice, parfois subalterne, toujours compréhensive tout en ayant fort à faire avec sa propre famille, son chef et les problèmes de sa communauté. Elle campe un beau personnage qui parvient miraculeusement à s'illustrer dans l'ombre pourtant écrasante du rôle principal et pourrait fort bien s'acquitter d'une saison reposant sur ses épaules.

Le DVD propose des images sublimes, une musique à l'avenant, très portée sur les basses fréquences, et deux bonus dont la présentation de la saga par Bernard Bories, président du Festival des Antipodes, qui révèlera quelques anecdotes sur la conception de la franchise et saura vous encourager à vous aventurer plus loin si vous ne connaissez ni les films, ni la première saison.


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