L'enfant de la prochaine aurore, de Louise Erdrich (éd. Albin Michel)

Quand Cedar apprend qu’elle est enceinte, elle décide d’abord de garder cette information pour elle. Et va rendre visite à sa famille d’origine, à sa mère qu’on appelle Tresor, dans une communauté ojibwé. Ses parents adoptifs, Sera et Glen, la mettent en garde. Quelle est la menace ? Tout au long de ce livre, cette menace sera présente, s’amplifiera. C’est ce que raconte Cedar à son enfant à naître. Cette grossesse la conduit à vouloir comprendre d’où elle vient, pour envisager l’avenir, mais cet avenir n’est pas la simple continuité du passé. L’humanité régresse. Le pays est dirigé par une sorte d’église, les magasins sont vides, on fait provision de nourritures et d’armes. On se déplace encore en voiture mais il faut éviter les rafles qui visent les femmes enceintes. Cela ne suffit sans doute pas. Dans la télévision, apparaît une femme de temps en temps, demandant à Cedar des nouvelles. Qui est-elle, celle qui semble tout savoir ? Il y aura aussi un moment où les hommes disparaîtront, sauf un, plutôt présent par ses écrits codés. Elle doit toujours fuir, Cedar, ne faire confiance à personne. Abandonner téléphones portables, paiements par cartes bancaires, éviter de laisser des traces… Il faut bien du courage pour survivre à toutes ces épreuves en ignorant tout de ce qui va advenir non seulement dans le monde mais aussi en soi-même. 

L’angoisse prend très vite le lecteur que je suis et je ne saurai m’en défaire. Louise Erdrich dit bien, dans ses remerciements à la fin de ce livre, que ce texte a mis longtemps, de 2001 à 2016, avant de trouver sa forme (publiée en 2017 aux États-Unis). C’était donc sûrement très important pour elle. Des années pour raconter une grossesse quand le monde court à sa fin, quand l’humanité va peut-être disparaître, quand la nature elle-même engage quelques transformations. Quelques jours après avoir fini de lire ce livre, l’inquiétude m’a rattrapé. J’ai éprouvé le besoin d’avoir encore des nouvelles de Cedar. Et j’ai lu cette phrase destinée à son enfant à naître : « Où seras-tu la dernière fois où il neigera sur terre ? »