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Kombucha ! Les ferments de la rébellion

Par Tobie @tobie_nathan
Kombucha ! Les ferments de la rébellionArticle issu de Philosophie magazine n°146 janvier 2021

Bio et bonne pour la santé ! Cela suffit-il à expliquer le succès viral de cette boisson pétillante ? Non, car son mode de fabrication quasi magique en fait aussi une arme de résistance face à la standardisation du monde.

Goûtez donc ce breuvage ! Une vague odeur de moisi à l’ouverture du flacon, un thé blond, pétillant, au goût étrange, un peu acide, rappelant vaguement le vinaigre. D’abord surpris, on y revient. Pas si désagréable ! Si c’est bon pour la santé, on finira par s’y habituer ; ne prenait-on pas autrefois une bonne cuillerée d’huile de foie de morue ?

La mode du kombucha est en train d’exploser. La boisson est réputée excellente pour faciliter la digestion, lutter contre la calvitie, soigner les rhumatismes et les hémorroïdes, prévenir la tuberculose ou le cancer… Elle donnerait même un coup de boost à votre système immunitaire déprimé. Très bien, mais des substances bio aux vertus thérapeutiques, on en a déjà connu des dizaines. Alors pourquoi celle-ci se répand-elle à une vitesse foudroyante ? 

Peut-être est-ce à cause des singularités de sa fabrication ? On la prépare soi-même. D’abord, un litre de thé sucré qu’on a laissé refroidir dans un bocal. Puis commence l’alchimie. On dépose dans l’infusion une petite galette visqueuse, de couleur blanchâtre. C’est la souche de kombucha, aussi appelée « mère », par analogie avec la « mère du vinaigre ». « Champignon de longue vie », disent les Chinois, alors qu’il ne s’agit ni de champignon ni d’algue. Les Anglais, plus soucieux d’exactitude, l’appellent scoby (pour symbiotic culture of bacteria and yeast, « culture symbiotique de bactéries et de levures »), que l’on peut traduire par « symbiote ». La fermentation de cette galette durant une semaine donnera la boisson pétillante.

Kombucha ! Les ferments de la rébellion

Le secret du kombucha réside donc dans son scoby, une association singulière de bactéries qu’on ne peut reproduire, seulement dupliquer. Il sera ensuite possible d’offrir le nouveau scoby, et ainsi de suite. Et voilà la première explication du succès : la contrainte au partage inscrite dans son mode de fabrication. Pour se procurer une souche, il faut qu’un usager vous fasse don d’un clone de la sienne. Il est vrai qu’aujourd’hui, on trouve du kombucha dans le commerce en jolies bouteilles de verre et même en canettes. Mais l’idée de partage fait partie de son ADN. C’est le contraire d’une fabrication anonyme et en série. Le kombucha, c’est de l’anti-Coca-Cola !

De plus, boisson née d’une fermentation de bactéries, elle est réputée « vivante ». Magie sympathique chère au vieux James Frazer [1854-1941, anthropologue, spécialiste des mythes et rites, et auteur du Rameau d’or] : on avale des bactéries, de petits êtres pullulants, pour stimuler notre vitalité – théâtre du grouillant qui revivifie le vivant. Ces bactéries qu’on appelait autrefois « germes », cause du faisandé, du pourri, des odeurs nauséabondes, sont ici devenues ferments magiques. Contre le pasteurisé qui annihile le goût, produit de l’identique en série et nous transforme en individus isolés, tous semblables, aliénés, le kombucha montre qu’on a choisi le partage, le spécifique, le surgissement de la vie.

Image illustrative de l’article Qin Shi Huang
L’empereur Qin Shi Huang 259 av JC – 210 av JC

Ironie des temps, cet antique « champignon » que l’on dit avoir été fabriqué pour le célèbre empereur chinois Qin Shi Huang [IIIe siècle av. J.-C.], obsédé d’immortalité jusqu’à se faire enterrer avec son armée, est devenu signe de rébellion contre un ordre stéréotypé. 

Tobie Nathan

Article issu de Philosophie magazine n°146 janvier 2021


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