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(Note de lecture), À propos de quelques livres d’Alexis Pelletier : notes déclassifiées, par Pierre Drogi

Par Florence Trocmé


À propos de quelques livres d’Alexis Pelletier : notes déclassifiées

Alexis Pelletier  le présent du présent
Cette prose balancée relève-t-elle du vers ? Ce qui respire chez Alexis Pelletier est-il vers ou prose ? On y entend une pensée martelée, cherchant un rythme, cherchant « quelques mesures dans l’époque », cherchant son temps. Tentant d’offrir ce souffle, cette course au long cours, à son lecteur.
« Une parole dans le temps » : c’est la définition simple et mystérieuse que Machado donne du poème.
Mais qu’est-ce qui rend une parole audible « dans le temps » ?
Force de frappe. Elle tient à la justesse : le poème est conçu (quasi intenté) comme l’expression d’une vérité, cherchée, mouvante mais toujours proposée comme un aimant à la parole – qui suit.
Intenté souvent comme une action en justice : il exprime alors une colère authentique et donc « vraie ».
De la sorte, on est toujours tout à la fois dehors et dedans, dans la parole et au-dehors, dans le souffle et dans la référence.
Avec Moires et Slamlash, l’éditeur offrait un Pelletier de poche à la parole réversible, au tournant des tons et des voix, en plus d’un grand moment de jubilation portative. Réversibilité de l’objet, avec ses deux textes, tête-bêche ; et une parole en deux tons : tragique – polémique jusqu’au trivial.
Sur une face, la macaronade, dans l’exacte lignée des mazarinades d’autrefois.
Sur l’autre, les échos des chœurs antiques, redevenus tempestifs, et faisant résonner l’annonce du « charnier qui vient ».
Part sérieuse et part dégingandée ? Mises ensemble.
Dans le dernier livre paru, Le Présent du présent, ce qui se dit se fait en même temps entendre « sous nos yeux » d’oreilles…
Par un trait d’humour typique, dès son titre – Le Présent du présent précédé de Il faut que tu me suives – le livre s’enroule sur lui-même, se fait bande de Moebius. Elle ne sera pas sans issue.
La parole se décolle d’abord du silence (et du rien), se désengluant de ce dernier sous ses différentes espèces (positives ou négatives), aux prises avec le rien de la parole qui se dissipe en laissant tout au plus la trace d’une haleine et cet autre, celui du nihilisme, que la parole vient contredire par sa propre rémanence, son sillage mental, sa trace. Entre annihilation et relation établie sur fond de néant, entre Mallarmé et Guillaume IX d’Aquitaine, le fil se tend pour indiquer un pont.
La parole vient habiter la voix. Elle le dit.
S’interroge aussi une « identité » qui résulterait de la parole, explicitant comment on s’invente en même temps qu’on écrit et qu’on lit. Identité toujours en suspens, pendante, lâchée : identité de retrait, de témoignage, de danse. Identité comme interrogation et qui, se retirant derrière la parole, derrière la « voix », laisse témoignage, séparé, adressé. Point en fuite, point de fuite : point optique situé, par le texte, hors du texte.
Celui qui parle, thématise, n’hésite jamais à thématiser, mais sape le thème, ou le met à l’épreuve de la parole en train de se dire, d’adopter un rythme, d’épouser une cadence, une scansion, un souffle.
Vagues d’une mer joueuse. Le thème ? On le baigne de souffle.
L’humour enveloppe la possibilité de la palinodie, de la virevolte ou de la « ritournelle » (« La parole est réversible car nous pouvons la reprendre quand nous voulons », Nichita Stănescu). D’où la prégnance du refrain, presque systématique dans les derniers textes. Obsessive jusqu’à en perdre son sens premier, jusqu’à en perdre le sens dans Il faut que tu me suives.
Car « Qu’est-ce qu’un poème ? » Et que fait-on quand on s’immerge en « lui » ?
Le livre poursuit ses raisons tout en tâtonnement des enjeux, des conséquences, des effets, des points de départ (désignés comme « références ») ; se fait parole vive, tourbillonnante, qui prend et sitôt déprend, n’hésite pas à reprendre ensuite, à revenir sur ses pas, frôle la prose, parfois s’oublie – mais revient.
Le livre agite les questions, procède par rebonds.
Hors les mots même : car Alexis Pelletier se dit et se désigne, avec insistance ces derniers temps, comme un « poète sans mots ». Dont les mots comme une pelure, peut-être, tomberaient à mesure ?
Ce livre dénoue bien des nœuds qui touchent au poème et à la « poésie », sans esbroufe, sans en avoir l’air.
Il le donnerait plutôt, l’air, afin de respirer.
Pierre Drogi

Quelques mesures dans l’époque, Voix d’encre, Montélimar, 2008.
Slamlash, Vincent Rougier, Soligny La Trappe, 2018.
Le Présent du présent précédé de Il faut que tu me suives, Tarabuste, Saint-Benoît-du-Sault, 2020.
« Sans mots », Sarrazine, n° 17 (Esprit d’escalier), Nantes, 2017.


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