Le Mississipi à la Nouvelle Orléans
Lorsque Eddy L. Harris, né dans le Missouri en 1956, décida soudain de parcourir en canoë tout le Mississipi, 3000 kilomètres, entre sa source, au lac Itasca, dans le Minnesota, jusqu'à la Nouvelle-Orléans, il s'ennuyait ferme, ne réussissait pas sa carrière d'écrivain, et cherchait un sens à son existence. Son voyage, et le livre, Mississipi Solo, qu'il en tira ont changé sa vie - à tel point qu'il refit cette expédition, trente ans plus tard !
Ce n'était pas gagné : Eddy Harris n'était pas un grand sportif, ni un champion de canoë ; il avait peu de moyens, et dut se contenter d'un canoë d'emprunt, d'une canadienne, et d'un équipement minimal, ce qui lui valut de finir en loques ! En outre, il n'était pas si évident, même trente ans avant Donald Trump, lorsque l'on était noir, d'aller sans encombre des États où il n'y a pas de Noirs, jusqu'aux États où ils sont particulièrement mal vus...
MIssissipi solo nous embarque dans cette extraordinaire odyssée, solitaire et pourtant ponctuées de rencontres dont toutes, ou presque, furent bienveillantes. Notre navigateur dut subir le froid glacial de la fin d'automne au Minnesota, le vent capricieux et souvent violent tout au long du parcours, il dut composer avec les convois de barges menés par des remorqueurs géants, capables d'écraser la frêle embarcation sans même s'en apercevoir... Il dut affronter la fatigue, le découragement, la solitude, la peur - surtout d'une nature grandiose et impitoyable, car curieusement, à part une fois des chiens sauvages, une autre fois des chasseurs alcoolisés et particulièrement malfaisants, il n'eut que bien peu de mésaventures...
Que retenir de cet impressionnant trajet ? d'abord une surprise, pour nous Français qui avons l'habitude, maintenant, de rivières presque vides et laissés à la plaisance : le Mississipi, comme tous les grands fleuves américains, est une autoroute pour les marchandises, où s'acheminent constamment d'énormes convois ; là-bas le transport fluvial perdure, à une échelle industrielle, et génère toute une économie autour du fleuve, des ports... Ensuite, mais là nous nous y attendions, le choc d'une intense pauvreté, d'une incroyable inégalité, notamment dans le Sud. Ce que décrit Eddy L. Harris, c'est le Tiers Monde ! Dans le pays sans doute le plus riche de la terre...
Enfin, et surtout, on aurait pu s'attendre à ce que la question raciale, si prégnante aux États-Unis, se pose avec virulence tout au long de ce périple ; et il n'en a rien été. En tous lieux, dès lors qu'il s'adressait aux gens, qu'il leur disait son projet ou demandait de l'aide, il trouvait un accueil sinon chaleureux, du moins aimable ; et si parfois il eut à subir quelques réflexions stupides, il suffisait d'une réponse ferme, et d'un dialogue, pour que l'agressivité s'apaise, et que le malotru se révèle, bien souvent, un pauvre type plus digne de pitié que de colère...
À la fin du livre, en deux pages, Eddy Harris nous parle de son second voyage, trente ans après. Mais la frustration du lecteur est grande : il ne raconte rien. Que sont devenus pourtant tous ces gens, travailleurs souvent pauvres, qui sans doute ont fait l'électorat de Donald Trump ? Celui-ci a-t-il fini de les détruire, en leur instillant la haine et la violence ? Un tel voyage serait-il possible aujourd'hui ?