La saison, les saisons donnent l’occasion à René Frégni de déployer sa palette. Sa plume il la trempe dans la pourpre ou le pourpre. Couleur du pouvoir religieux, du sang, de la colère, de l’émotion trop vive, et de certaines feuilles à l’automne. L’écrivain, personnage principal de ce roman, se voit confier la garde d’un monastère isolé, dans les Alpes de Haute-Provence, contre une rémunération mensuelle dont il ne sait d’où elle vient. C’est son ami Pascal, le libraire de Riez, qui lui donne les clés remises par un inconnu quelque temps auparavant. Va-t-il, cet écrivain, y retrouver le goût de l’écriture ? En tout cas, il entretient les abords, coupe, taille, nettoie, et recueille un chaton. Qui ronronne quand il le caresse, et l’apaise. Il y a le chaton et les sangliers qui parfois sortent de la forêt. On ne les voit pas mais c’est eux qui déterrent une jambe parmi les tombes très anciennes des moines qui vivaient là au début du XIXe siècle. L’enquête est confiée à la gendarmerie. L’écrivain se fait cueilleur d’olives pendant les quelques jours où il digère sa très grand peur. Puis il revient au monastère, inquiet du moindre bruit, du passage d’ombres au dehors, et content de trouver la neige un jour, la neige, une page blanche. Et il ouvrira son cahier, pour écrire, et nous saurons.
Je ne résiste pas à extraire quelques lignes de ce livre :
« Depuis neuf mois, mes mains n’avaient plus caressé le corps d’une femme. J’ai caressé la peau douce et blanche de mon cahier, et mon stylo s’est mis en marche. J’ai écrit sans presque relever la tête, en ne regardant que ma main. Pendant des jours, j’ai écrit une histoire qui n’avait rien à voir avec ce que je venais de vivre, et cependant tout y était, les soirs d’été, la tiédeur des murs, la respiration des forêts, la peur, la lumière des saisons sur les toitures brûlées du monastère, le besoin d’aimer, la solitude, la neige, l’amitié, le visage des morts, l’or des jours qui s’éteint doucement… (…) Un jour, on se met à écrire, pour entendre la voix lointaine de nos mères. Lorsque j’écris, j’entends la voix de la mienne. Elle me lisait le soir, devant le poêle à charbon de notre cuisine, des livres qui me faisaient rêver, pleurer, découvrir le monde… Je n’entends sa voix que lorsque j’écris, dans le silence de la page blanche. »