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(Notes sur la création) Georges Haldas, Les Entretiens de l'aube

Par Florence Trocmé

(Notes sur la création) Georges Haldas, Les Entretiens de l'aubeGeorges Haldas (1917-2010) était un auteur suisse, à la tête d'une œuvre considérable de poèmes, d'essais et de " chroniques ". La collection " Lignes intérieures " des éditions Labor & Fides vient de rééditer Les entretiens de l'aube, dans lesquels Georges Haldas, questionné par Étienne Sordet, retrace l'itinéraire d'une vie consacrée à l'écriture, dans une langue tendue par tout un imaginaire conceptuel. Mystique se défendant de l'être, défiant envers toute forme d'institution religieuse et de pouvoir en général, Georges Haldas retrace dans ce beau livre le parcours d'une vie et d'une pensée qui, quoique souvent nourries des évangiles, s'organisent d'abord comme une réceptivité à la matière bigarrée du monde :
" Une des premières caractéristiques de l'émotion poétique [est] d'être comme une réalité nuptiale : les noces du dehors et du dedans. Lesquelles me font immédiatement sentir qu'il n'y a plus de barrières entre le monde de l'espace-temps et le monde intérieur. Le dedans est une face de l'univers, le dehors l'autre face. Tout devient un dans cet acte de fécondation. La semence du dehors est entrée, elle a engendré l'émotion poétique, tout comme la semence de l'homme entre dans le ventre de la femme et suscite l'enfant. Ce sont des genèses.
L'émotion poétique est porteuse d'un nombre considérable d'éléments qui, échappant au temps, me mettent en relation avec moi-même, avec les autres, avec la partie visible de l'univers et avec sa partie invisible. L'émotion poétique est graine. Elle nous fait passer du non-espace-temps à la réalité d'un poème ou d'une phrase inspirée qui se développe dans l'espace de la page écrite et dans le temps de la lecture. Ce passage du non-espace-temps à l'écriture est une sorte de tragédie en même temps qu'un acte d'une importance extraordinaire. Avec un sentiment double : le bonheur de pouvoir retrouver, par l'écriture, l'instant heureux ; et la souffrance toujours venant du décalage entre la lenteur de l'écriture et la fulgurance de l'émotion. Rien dans l'écriture ne peut rendre la force de vie en sa fulgurance. Le passage du non-espace-temps au temps m'a fait saisir quelque chose du mystère de l'incarnation. [...]
Par rapport à cette graine, qu'est-ce que l'État de Poésie ? J'aimerais insister sur ceci : tout acte vital inclut l'imprévisibilité et nous vivons dans un monde de prévisibilité parce que nous avons rationalisé les choses, faussement d'ailleurs. Or, pour que l'émotion se produise, pour qu'elle soit fructifiante, il faut être en état constant de disponibilité. Une personne qui mène de grandes actions, dirige une entreprise, gouverne... sera en peine d'entrer dans cet état dont la caractéristique majeure est d'être constamment ouvert à l'imprévisible. Pour faire le vide en soi et ainsi recevoir tout ce que la réalité fait surgir en nous, qu'elle vienne du dehors ou du dedans. [...]
L'État de Poésie consiste à organiser ma vie de telle manière que je puisse être constamment réceptif. Je ne peux donc pas assumer des responsabilités sociales et en même temps être réceptif au chant du merle le matin ; à un son de cloche que j'entends l'après-midi dans la campagne ; à la fermeture d'un café à deux heures, quand on sort - les chaises sont sur les tables, il y a une grande fatigue humaine dans ces moments d'extraordinaire plénitude, la caissière finit ses comptes, les derniers passants sont encore dans la rue - il faut être présent partout, être disponible partout, et cela implique un genre de vie. "
Georges Haldas, Les entretiens de l'aube, Labor & Fides, coll. " Lignes intérieures ", Genève, 2020, pp. 36-38.
Choix et présentation de Pierre Vinclair

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