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Fragments de nuit, inutiles et mal écrits (saison 4) - Fragment 11

Par Blackout @blackoutedition
Fragments de nuit, inutiles et mal écrits (saison 4) - Fragment 11

Pour les livres de Richard Palachak, c'est par ici : KALACHE, VODKA MAFIA, TOKAREV

Fragments de nuit, inutiles et mal écrits (saison 4) - Fragment 11

Photo de Simon Woolf

Fragment 11

Je me réveille la gueule bitumée dans le lit à baldaquin de ma chambre d'hôtel. Il est onze heures à en juger le nombre de coups de cloches de l'église baroque et sa coupole à lanterneau. Comment je suis rentré ? Mystère et boule de perlouze. Vu l'état de ma cheville œudématiée telle un œuf de tyrannosaure, Ondrey a très certainement dû me traîner jusqu'au plumard. On a même pris soin de poser des béquilles sur la table basse de mon petit coin salon.
À cloche pied, je me refais une beauté puis je taille la route. À la réception, quand je rends les clés de ma piaule on me remet une enveloppe farguée de dix milles couronnes. Un salaire insensé pour une simple visite de château. D'autant plus au regard du bordel qu'on a foutu, sans compter la muflée que je me suis prise.
Une fois dans ma caisse à savon, j'ai dans l'idée d'aller siroter de la binouze au bord du lac de Tchèbone. Avec ma boite à vitesses automatique, aucun lézard pour la conduite unijambiste. Un radieux cristal de Bohème illumine le ciel et les maisons de poupées colorées typiquement tchèques engagent au siège d'une belle terrasse. En longeant le réservoir à carpes, un écriteau m'indique la direction d'une « plage » administrée par une gargote en bois vermoulu. Vingt couronnes d'entrée pi me voilà ravitaillé d'une pinte de moussante et d'utopentsi, des saucisses marinées dans du vinaigre arrosées d'oignons surets.
La place est déserte, un toboggan rouille sa langue dans l'eau. Sinon des pins, de l'herbe, une partie sableuse, un bloc de ciment qui sert de plongeoir et surtout des moustiques... beaucoup de moustiques.
Une gorgée de bière et je dresse l'oreille. Un bourdonnement sourd avance et grossit dans mon dos jusqu'au claquement d'un crochet qui rétablit le silence. Un gros papa s'assied devant moi : Boris a garé son tricycle électrique et fait signe à la serveuse pour qu'elle aboule un autre jus de semelle. Estomaqué par cette arrivée lunaire, je lance au pèlerin :

-
Kestu fous là ? Me dis pas que t'as fait cinq cents bornes en cyclo ?
-
J'ai un contrat.
-
Lèoche ou Pan K ?
-
Prends cette enveloppe.
-
Y'a rien dedans...
-
C'est ta paye pour la visite nocturne.
-
J'ai déjà reçu dix mille couronnes.
-
Ça, c'était pour le pavé.
-
Comment ça ?
-
Sans le faire exprès, t'as mis le pied dans une minuscule brèche du château. T'as goûté la terre et ça t'a démoli la cheville.

À ce moment-là, je réalise n'avoir tâté qu'une dent. J'ai plus qu'à me la mettre sous le bras et aller me coucher. Je suis blackboulé. Le château m'a pété dans les doigts. Trop agité, trop amoché, trop fracadéchiré, je n'ai rien vu de la réalité... je suis passé à côté.

Dans un silence de mort
planté comme un pieu dans le cul du temps,
je vise mon Boris dans le blanc des mirettes
et distingue un reflet familier :
l'enceinte et ses tours...
une porte fortifiée...

Là,
dans le blanc de ses yeux
bouclés pour l'éternité,
la cour intérieur du château bohémien,
et ses milliers de pavés,
ne resteront pour moi
qu'une case évidée.

Richard Palachak

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