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Histoire d'une jeunesse - la langue sauvée

Publié le 15 février 2021 par Pralinerie @Pralinerie

 Je crois que c'était la première fois que je lisais Elias Canetti et j'ai beaucoup aimé son écriture. Il s'agit d'une autobiographie de ses premières années, au début du 20e siècle, de 1905 à 1921 plus précisément. C'est plaisant à lire et très bien écrit !

Notre narrateur nous plonge directement dans ses souvenirs d'enfance avec une rencontre : celle d'un homme qui menace chaque semaine de lui couper la langue. C'est l'amoureux de sa nourrice qui le terrifie ainsi à 2 ans alors qu'il vit en Bulgarie avec ses parents. 

Fils ainé d'une famille juive et bourgeoise, il grandit d'abord dans une Bulgarie ottomane, mêlant des cultures variées. Il part ensuite en Angleterre, où son père meurt, puis en Suisse, en Autriche. Dans chacun de ces pays, il apprend des langues différentes et devient le plus proche ami de sa mère. Si c'est son père qui lui fait aimer la lecture avec des classiques adaptés aux enfants, c'est surtout avec sa mère qu'il entretiendra des discussions littéraires. Celle-ci, grande amatrice de théâtre, passe ses soirée à entretenir son jeune fils à ce sujet. Quant à ses frères, ils sont à peine évoqués. 

Dans la vie du narrateur, quelques repères temporels : le naufrage du Titanic, évoqué à l'école, ou la Première Guerre mondiale, qui l'invite à choisir son camp, lui qui parle la langue des ennemis de l'Autriche. L'apprentissage de l'allemand d'ailleurs est absolument édifiant : humiliations répétées et par cœur sont l'unique méthode de sa mère. Et l'enfant y répond par du travail, encore plus de travail, pour plaire à celle qui est le centre de sa vie - d'autant plus quand elle est courtisée. Cette relation avec sa mère est tout à fait centrale dans ce livre, même lorsqu'elle l'envoie en pensionnant pendant ses cures : les lettres qu'ils échangent continuent de l'influencer furieusement et sa visite vient sonner le glas de ses études zurichoises.

Très beau roman d'apprentissage, fortement teinté d'Œdipe comme vous l'avez compris. Il m'a plu par les livres, les langues, la culture qu'évoque le narrateur, ce monde perdu dans les guerres mondiales. 

Histoire d'une jeunesse - la langue sauvée
"Quand je laisse défiler devant moi mes professeurs zurichois, ce qui me frappe, c'est leur diversité, la spécificité des modes personnels, la richesse qu'il y avait en eux. Beaucoup d'entre eux m'ont appris ce qu'ils étaient censés m'apprendre ; aussi bizarre que cela puisse paraitre, la gratitude que j'éprouve envers eux, cinquante ans après, ne fait que croitre encore d'année en année. Quant à ceux qui ne m'ont appris que très peu de choses, ils sont restés si présents à mon esprit, en tant qu'hommes ou en tant que personnages, que je leur dois également beaucoup. Ils sont les premiers représentants de cette humanité qui m'apparaitra plus tard comme la substance même du monde. Chacun a gardé sa forme propre et unique, ce qui me parait absolument essentiel. Le fait qu'ils soient devenus entre-temps des personnages n'enlève rien à leur individualité. Réaliser l'osmose entre individus et types, c'est précisément l'une des taches majeurs du poète"
"Si tant est que l'avenir m'inspirât alors quelque préoccupation, ce ne fut jamais qu'une préoccupation en rapport avec le nombre de livres qui me restaient à lire. Que se passerait-il quand je les aurais tous lus ? Certes, j'adorais relire les livres que j'aimais, le plaisir que j'y prenais reposait aussi sur la certitude qu'il y en avait d'autres"
"Un second bienfait, dont je suis redevable à ma mère et qui remonte, lui aussi, à ces années Zurichoises, eut des conséquences encore plus heureuses ; elle me laissait libre de mes appréciations. Il ne me fallut jamais entendre qu'on faisait les choses dans un but pratique. La notion d'utilité n'était nullement déterminante. Tout ce qui m'intéressait avait également droit de cité. Je progressais sur cent voies différentes sans que jamais l'on me fît accroire que telle voie était plus sûre, plus gratifiante, voire plus rémunératrice que telle autre. Ce qui importait, c'était la chose elle-même, non son utilité. Il s'agissait d'être précis et consciencieux, et de se forger une opinion que l'on pût défendre sans avoir à rougir ; mais la conscience s'appliquait à la chose elle-même, non point au profit personnel que l'on pouvait éventuellement en tirer."
Histoire d'une jeunesse - la langue sauvée

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