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Blaise Ndala : Dans le ventre du Congo

Par Gangoueus @lareus

Blaise Ndala : Dans le ventre du Congo
C'est l'un des romans de la rentrée littéraire d'hiver. Dans le ventre du Congo de Blaise Ndala, écrivain congolais installé en Ontario et qui nous a gratifiés précédemment de deux belles œuvres, à savoir J'irai dansé sur la tombe de Senghor (Interligne, 2015) et Sans capote ni kalachnikov (Mémoire d'encrier, 2017).
Comme nombre d'auteurs écrivant de l'extérieur du continent africain, Blaise Ndala part souvent de la République démocratique du Congo, pour raconter une histoire en interaction avec l'ailleurs. Dans son premier roman, l'ailleurs était incarné par l'Africain américain Mohamed Ali et le fabuleux combat de boxe à Kinshasa, en 1974. Une Amérique rencontrait la jungle de Mobutu, au sens propre comme au sens figuré. Avec, Sans Capote ni Kalachnikov, c'est le Canada et ses institutions humanitaires qui étaient confrontés au drame des violences de l’est de la RDC.
Comme dans ses précédents romans, Blaise Ndala relève le défi d’une construction complexe. A partir d’un lieu, il va produire un discours sur une histoire qui se répète. Les faits sont terriblement têtus. Sommes-nous condamnés à reproduire des cycles de violence indéfiniment ? C’est ce que nous serions tentés de croire si une parole n’éclaire pas, si un propos ne nous rappelle pas la nécessité de regarder dans les angles morts de l’histoire. Le lieu que convoque Blaise Ndala, c’est le parc du Heysel qui abrite les pavillons hérités de l’exposition universelle de 1935 et le fameux stade de football qui reçut en son temps le match funeste entre la Juventus de Turin et Liverpool FC. On y voit l’Atomium, trace présente et emblématique de l’exposition universelle de 1958. Ce qui manque, c’est le village nègre, symbole de la puissance coloniale belge de l'époque.

Discours sur le Congo

Blaise Ndala propose son regard sur cet événement. Et il construit toute une trame qui va nous permettre d’embrasser le sujet en partant des restes d’une royauté mythique, celle des kuba. Le parcours de Tshala Nyota Moelo part donc de cette cour. Et dans les années 50, il nous donne un aperçu du contexte colonial, des différents rapports de force, du trafic d’objets d’arts, de l’éducation mixte des enfants des élites kuba, de l’atmosphère de Léopoldville. Tshala se retrouvera à Bruxelles, dans ce village « congolais » par une succession malheureuse de situations et de trahisons. Par cette princesse, Blaise Ndala nous donne de rencontrer des personnages historiques, aux premières lignes de la tragédie congolaise : Wendo Kolosoy, Joseph Mobutu, Emery Patrice Lumumba… Il écrit une histoire. Et pour expliquer sa démarche, il se saisit de la figure d’un fou dont nous connaissons l’absence de limite dans l’expression d’une vérité : 
«  Je ne vous ai pas demandé la face cachée de la lune, gens du pays. J’ai demandé une toute petite chose :  m’indiquer où se terrent le petit Blanc et son chiot. Je sais qu’ils planquent quelque part dans le ventre de l’oubli et je compte sur vous pour les retrouver avant de les castrer l’un à la suite de l’autre, car c’est mon objectif soleil, la dernière mission qui me reste ici-bas. Castrer cet effronté de petit Blanc et son chiot, puis les confier à mon ami Marcel Ntsoni, lui le digne fils de cette terre que l‘Empire a condamné au veuvage ». 
Les experts de Sony Labou Tansi reconnaissent une intertextualité, une référence à la pièce de théâtre Moi, veuve de l’empire. Le fou répond à la fois à Tshala  et Wendo Kolosoy. Ce dernier a été traqué par le clergé catholique.
«  Wendo Kolosoy était le roi de la nuit qui faisait  des rives du Congo le Sion des rescapés de la chicote, le très redouté fouet à lanières tiré de la peau d’hippopotame que les colons d’hier et leurs suppôts nègres infligeaient aux insoumis. Le jour où la Belgique conquérante célébraient ses morts pour la patrie, Wendo Kolosoy chantait Marie-Louise et les morts du Congo en devenir exultaient ». p.102
La parole du fou, que je ne nommerai, vous comprendrez pourquoi à la lecture, est prophétique. Marcel Ntsoni à onze ans en 1958. Il deviendra Sony Labou Tansi plus tard. Blaise Ndala construit des ponts sur le fleuve Congo comme Boukaka plus tôt, par le jeu de l’intersexualité, évoque Emmanuel Dongala, autre prosateur de l’autre rive dont certains des ouvrages sont devenus des classiques de la littérature africaine comme Jazz et vin de palme. Que vaut cette production de regards face l’encombrante présence dans l’imaginaire de la fameuse première bande dessinée d’Hergé, à savoir Tintin au Congo ? A celles et ceux qui minimisent les enjeux de cette guerre des mots et les formes littéraires qu’elle prend, Blaise Ndala répond à une interview où il développe sa pensée sur ce qu’il définit comme des résistances par le biais de l’art.

Réception et transmission

Ils connectent ou opposent de formes d’élites belges et congolaises. Les Dumont  d’une part, dont le père a porté le projet de l’exposition universelle 1958. La descendance de Kena Kwete III d’autre part. Et une volonté de mettre des mots ou d’affronter le poids de l’histoire et des différentes faillites familiales. Blaise Ndala, de ce point de vue présente des humanités, le contexte des différentes époques, les faillites et les évolutions. On joue sur une cinquantaine d’années, avec des ruptures où le lecteur est en attente de connaître le sort exact qu’a connu la princesse Tshala Nyota Moelo. La transmission s’incarne différemment. Pour le fils Dumont, pour la nièce de Tshala venue en Belgique, certes pour poursuivre ses études, mais surtout pour retrouver des traces de sa tante disparue. Il faut donc affronter le passé pour faire de véritables deuils. Pour réaliser aussi que les choses se répètent. Il est intéressant de voir l’évolution du fils Dumont. Les mauvaises langues y verront les sanglots de l’homme Blanc. Ce sera de mon point de vue, une mauvaise lecture. Chacun est renvoyé à ses responsabilités. On ne peut pas accuser de cynisme, cette universitaire qui, sous la plume de Blaise Ndala, répond à un interlocuteur qui oppose la posture des Congolais à l’endroit des anciens colons Belges à celle de certains Belges en quête de justice après les exactions allemandes pendant la seconde guerre mondiale : les Congolais ont actuellement d’autres chats à fouetter…
« Il en est ainsi parce que la mémoire n’est pas un tribunal : c’est un antidote pour le futur, mais un antidote qui n’opère que pour autant que celui qui s’en réclame veuille faire  un pari su ce même futur » p.357

Conclusion

Les crimes d’hier ont des conséquences sur le vivre ensemble d'aujourd’hui. La métaphore des Testicules de Tintin, une pièce de théâtre écrite par un universitaire flamand éclairé sur les rapports belgolais, souligne le nouveau monde laissé par la colonisation au Congo. La castration n’a pas eu lieu. Comment ces deux mémoires peuvent-elles fonctionner ensemble ? Est-il seulement possible de revenir vers ces tombes anonymes des victimes du zoo humain de 1897 qui rappellent le souvenir de ces drames, face visible en Europe des violences perpétrées au Congo. Ces zoos ont renforcé une hiérarchisation des races dans l’imaginaire du petit peuple belge. Comment condamner alors les cris de singe dans les stades, si on n'exhume pas ces épisodes douloureux (parmi tant d’autres) de l’histoire ? Un regret cependant, pour développer son propos, Blaise Ndala construit une trame complexe, des personnages dont parfois, on a quelque mal à suivre dans leur cheminement délicat, du fait de nombreuses ruptures dans la narration.Blaise Ndala, Dans le ventre du CongoEditions du Seuil, première parution en 2021, 363 pages 

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