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Dans les allées du supermarché

Publié le 15 février 2021 par Paulo Lobo
Dans les allées du supermarché
Trop d’images me troublent, me gavent, me boursouflent jusqu’à l’épuisement.Cela fait si longtemps que je suis dans le noir, que nous sommes dans le noir tous, ligotés derrière nos masques. Des masques auxquels nous tenons de plus en plus. Nous nous y sommes habitués, sans eux, nous ne nous risquons plus à entrer nulle part, dans aucun magasin, dans aucun centre commercial, dans aucun bus.Même dans la rue, la plupart d’entre nous ne pensent plus à les enlever.On ne sait jamais.Je ne peux juger personne. Je ne sais pas quel est le meilleur d’entre nous. Je ne sais pas quel est celui qui faute. Où est l’ennemi ? Qui est l’ennemi ? Comment va-t-il vous attaquer ?Or, voilà qu’en cette fin d’après-midi je me retrouve dans les rayons du supermarché.Je croise plein de monde et personne ne se regarde, personne ne me regarde. Chacun dans sa bulle. Chacun dans ses clous. Nous savons tous ce que nous avons à faire, nous le faisons, il n’est absolument pas question d’engager de contact social avec qui que ce soit. Même pas un petit sourire ou un bonjour du bout des lèvres, vaut mieux pas. On ne se demande pas qui sont ces inconnus qui poussent comme nous le caddie dans les allées du grand magasin.On pourrait peut-être quand même ralentir son pas, et s’intéresser un peu plus à des individus qui comme nous font leurs emplettes hebdomadaires.Les observer un peu plus et se poser des questions à leur sujet.D’accord, ce sont des êtres humains qui ont besoin de se nourrir, de boire, de se laver, ce sont des êtres charnels qui ont presque tous une carte de crédit dans leur poche. Je les effleure à peine du regard. J’essaye de les débusquer sous leur masque.Cette personne qui est là, à côté de moi dans le rayon charcuterie, aime-t-elle l’opéra, aime-t-elle le rock, la salsa ou le twist, est-elle plage ou montagne, est-elle volubile ou taciturne. Dans quelle genre de maison ou d’appartement habite-t-elle.Je fais ce que j’ai à faire, ce n’est pas un endroit qui me fascine, le supermarché, j’ai déjà essayé tant de fois d’imaginer des histoires dans ce décor. L’eclairage malheureusement clinique et blafard m’enlève toute velléité de romanesque.Dans cet endroit, je me sens comme dans une prison. Réduit à ma condition humaine. Dans ce temple de la consommation, cette foire aux vanités, les gens prennent ce qu’ils ont l’habitude de prendre, ils ne se compliquent pas la vie, ils savent qu’au final l’addition ne sera pas très salée. Tout le monde a une mine renfrognée, je le devine malgré les masques, personne ne rêve, personne n’a la joie de vivre, personne n’a envie de chanter ou danser, personne ne peut sortir de sa peau, personne ne pense à être plus grand que sa propre personne, personne ne se regarde dans le miroir. Chacun est ce qu’il est. Pas davantage. Chaque fois que je rentre dans cet espace, je me sens agacé. Pourtant, quand j’étais dehors, sur le parking, cette grande façade éclairée de l’intérieur me semblait propice à un conte des temps modernes, sur une bande-son nocturne signée Michel Legrand, je me demande comment faire pour sublimer le quotidien, donner la poésie à ces moments qui ne sont que du vent.

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