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Seul dans Berlin – Hans Fallada

Publié le 28 février 2021 par The Cosmic Sam @thecosmicsam

J’ai découvert « Seul dans Berlin » grâce à une amie passionnée d’Histoire qui me l’a chaleureusement recommandé.

Ecrit, en quelques semaines seulement, par Hans Fallada dès 1946 et censuré à sa sortie, « Seul dans Berlin » est un livre atypique en ce qu’il présente la vie quotidienne des allemands durant les années de « gloire » du nazisme : petits actes de résistance, misère générale, régime de la peur et de la brutalité nous sont donc présentés sans fard dans cette version intégrale de 2014.

Inspiré de l’histoire vraie d’Otto et Elise Hampel, « Seul dans Berlin » nous offre une immersion éprouvante au cœur d’une des périodes les plus sombres de l’Histoire contemporaine récente.

Le livre : « Seul dans Berlin »

Seul dans Berlin – Hans Fallada

Crédit photo : L&T

L’auteur : Hans Fallada, de son vrai nom de Rudolf Ditzen, est un écrivain allemand. En conflit avec son père, il se détourne de la carrière de juriste qu’on lui destinait et tente de se suicider à l’âge de 18 ans, après avoir tué son ami Hanns Dietrich von Necker dans un duel. Il est inculpé de meurtre et interné dans une clinique psychiatrique. Il quitte le lycée sans diplôme et travaille successivement dans l’agriculture, l’édition et le journalisme. De 1917 à 1919, il suit plusieurs cures de désintoxication (alcool et drogues) et séjourne aussi à plusieurs reprises en prison. Il remporte ses premiers succès avec « Paysans, gros bonnets et bombes » et « Et puis après ? ». En 1933, lorsque Hitler s’empare du pouvoir, Fallada se retire à Carwitz dans le Mecklembourg. En 1945, il rejoint Berlin-Est, où il travailla comme journaliste, tout en continuant sa carrière de romancier. « Seul dans Berlin » est son œuvre la plus sombre, elle fut qualifiée par Primo Levi comme « l’un des plus beaux livres sur la résistance allemande antinazie ». Ce roman a été adapté pour le théâtre et le cinéma.

Le résumé : « Mai 1940, Berlin fête la campagne de France. La ferveur nazie est au plus haut. Derrière la façade triomphale du Reich se cache un monde de misère et de terreur. Seul dans Berlin raconte le quotidien d’un immeuble modeste de la rue Jablonski. Persécuteurs et persécutés y cohabitent. C’est Frau Rosenthal, Juive, dénoncée et pillée par ses voisins. C’est Baldur Persicke, jeune recrue des SS qui terrorise sa famille. Ce sont les Quangel, désespérés d’avoir perdu leur fils au front, qui inondent la ville de tracts contre Hitler et déjouent la Gestapo avant de connaître une terrifiante descente aux enfers. Aucun roman n’a jamais décrit d’aussi près les conditions réelles de survie des citoyens allemands, juifs ou non, sous le IIIe Reich, avec un tel réalisme et une telle sincérité ».

Mon avis : Tout commence dans un immeuble délabré situé au numéro 55 de la rue Jablonski à Berlin dans lequel (sur)vivent des personnages bien différents :

  • Au sous-sol, loge le méprisable Barkhausen, un homme sans scrupule et toujours prêt à un mauvais coup pour l’appât du gain ;
  • Au premier, se trouve l’ancien Magistrat Herr Fromm, un homme un peu froid mais habité par un idéal de droiture. Ce dernier va s’illustrer par des actes courageux sans que l’on sache réellement s’il agit par compassion pour son prochain ou guidé par les valeurs de sa justice ;
  • A l’étage du dessus, résident les Persicke : le stéréotype de la famille aryenne. Tous enrôlés au sein du Parti national-socialiste, ce sont les quatre enfants qui s’avèrent être les plus fervents admirateurs du Führer (deux sont à la SS et les deux autres font parties des jeunesses Hitlériennes). C’est notamment le cas du plus jeune : Baldur, membre respecté de la famille, dont les autres habitants de l’immeuble se méfient comme de la peste ;
  • Au troisième, se trouve le logement d’Otto et Anna Quangel, les protagonistes principaux de cette histoire. Lui, est contremaître dans une usine de meubles, taiseux, distant et particulièrement rigoureux. Il ne semble aimer rien ni personne, hormis sa femme à laquelle il réserve de rares paroles et d’encore plus rares signes d’affection. Elle, est membre du Parti, dévouée à son mari et à son fils, Ottochen, envoyé au front. Si, dans un premier temps, leur confiance pour le régime déstabilise le lecteur, on réalise bien vite que leur vote pour Hitler a été motivé par des raisons économiques et non idéologiques. Rapidement, Otto et Anna vont remettre en cause le Parti au pouvoir et s’interroger sur ses aspirations ;
  • Au-dessus, Frau Eva Kluge vit seule. Cette factrice a mis son mari, coureur et parieur (Enno), dehors après qu’il lui en ait fait voir des vertes et des pas mûres. C’est toutefois en découvrant les atrocités commises par son fils aîné (son préféré), également membre de la SS, qu’Eva va remettre sa vie en question et chercher à lui (re)donner un sens ;
  • Enfin, au dernier étage, se trouve Frau Rosenthal, l’ancienne épicière du quartier. Juive, elle vit recluse dans son petit appartement dans l’attente tragique du retour de son mari, envoyé dans un camp de concentration.

Cette étrange communauté de persécuteurs et de persécutés (représentative de la population allemande de l’époque) est contrainte de cohabiter. Un cocktail qui est prêt à exploser…

Ce sont deux évènements simultanés qui sont servir de détonateurs. D’une part, la spoliation de Frau Rosenthal par ses voisins sans foi, ni loi. D’autre part, la mort d’Ottochen, le fils Quangel.

De là, la machine se met en branle et une série d’évènements va s’enclencher, sans que rien ne puisse plus l’arrêter.

On suit alors la destinée tragique de tous ces personnages de 1940 à 1943, avec un focus particulier sur l’évolution des Quangel, lesquels vont – contre toutes attentes – se lancer dans une forme de résistance. Si, a priori, cette façon de combattre le régime tout puissant peut paraitre assez risible, on en vient à réaliser qu’il n’en faut pas moins de courage pour lutter de l’intérieur contre des ennemis omniprésents. En effet, ce ne sont pas que des membres du Parti, de la SS et de la Gestapo dont il faut se méfier, mais bien de la quasi-totalité des Berlinois, sans cesse tenaillés par la peur et incités à la dénonciation à tout va (d’où le titre français « Seul dans Berlin »).

Ainsi, si l’action des Quangel semble bien peu de chose, il s’agit d’un moyen pour ces derniers de conserver leur intégrité, une forme de résistance patiente et silencieuse de la part de ces « petites gens » qui deviennent, au fur et à mesure de la lecture, des modèles de courage au péril de leur vie et de celle des autres, car c’est l’ensemble des habitants du 55 de la rue Jablonski qui, d’une manière ou d’une autre, va être confronté à ce geste de résistance.

« Seul dans Berlin » est une satire grinçante de l’Allemagne des années 30/40. Ce roman dénonce brillamment la stupidité et l’avidité des membres du Parti national-socialiste, la brutalité de ces hommes et de ces femmes guidés par leurs intérêts personnels, gavés de Schnaps et de jambon bien gras pendant que le reste de la population tremble et travaille sans relâche (à l’image des ouvriers de l’usine dans laquelle œuvre Otto Quangel qui se tuent à fabriquer… des cercueils).

Dans ce roman qui nous présente un Berlin dégradé et avili, certains passages relèvent du tragi-comique tant les comportements sont ubuesques et les situations sont d’une méchante imbécilité. Rire au cœur de l’effroi, cela est permis aux lecteurs par le biais de quelques personnages de farce.

J’ai apprécié le fait que les Quangel soient présentés avec nuances et non pas comme de grands gentils ou de véritables héros devant l’indicible. Cela facilite l’identification et offre davantage de réalisme à la plongée en immersion du lecteur. C’est justement cette présentation complexe et nuancée qui a fait l’objet d’une censure lors de la parution initiale du livre en 1947 dès lors que les œuvres autorisées à Berlin-Est (zone soviétique) devaient donner une représentation idéalisée de la lutte du peuple contre le nazisme et le national-socialisme. C’est pourtant loin de cette idée naïve qu’Hans Fallada lève le voile sur les conditions de survie des allemands à cette époque, les difficultés auxquelles certains ont été confrontés et l’ignominie des autres.

Jusqu’aux toutes dernières pages, rien n’est épargné aux lecteurs. La lecture est, nécessairement, glaçante mais le ton « bouffon » adopté par Hans Fallada nous préserve d’en ressortir trop éprouvés.

En bref : Une lecture prenante et nécessaire qui narre les actes de résistance du petit peuple allemand. Une satire brutale et risible d’une période noire de l’Histoire.

« Seul dans Berlin » a fait l’objet d’une adaptation cinématographique et je suis curieuse de découvrir ce film, même si je redoute les images apposées sur le triste sort des personnages.

Vous aviez déjà entendu parler de cette histoire ? Vous êtes tentés par la lecture et/ou le visionnage de « Seul dans Berlin » ?


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