Il y a des Traces qui s’effacent à mesure qu’on les suit, emprunte le chemin à qui elles mènent, s’effacent et se perdent de plus en plus derrière à mesure que l’on va de soi devant.
Il y a des Traces qui se perdent quelque part, te sèment à mesure qu’elles te rapprochent de ce de quoi tu t’éloignes et reconnais le chemin de mémoire, dont la reconnaissance est à la fois découverte et répétition.
Comment dire les Traces de Samira Negrouche, qui s’effacent à mesure que tu les remontes, laisses et reviennent à la mémoire, Traces de toutes foules dans la ville qui s’écartent pour te laisser passer, se referment en gardant un souvenir de toi et toi d’elles.
Une ville en forme de langue mais laquelle et dans laquelle dire ce mur auquel ces Traces mènent, un mur devant lequel il faut se déchausser comme quand on pénètre en mer pour le traverser, trop haut pour l’enjamber, lisse pour l’escalader, ce mur de sons inaudibles parce qu’assourdissants comme quand les vagues explosent au rivage de la ville en se faisant échos.
« Il y a, plantées là, des civilisations immobiles sur la crête d’un colisée en dormance. »
Traces que les mots de Samira Negrouche t’invitent à identifier, celles que tu as suivies, dont elle t’a fait voir et entendre les indices des lieux et des circonstances qui les ont suscitées, dont l’attirance est le fruit de leur similitude avec celles que tu viens d’effacer pour brouiller les pistes.
À l’écoute des murmures de la langue et du bruit de frottements des yeux dans leurs coquilles de chair, les constantes et les inconnues que tu sauras reconnaître.
« Dans l’espace entre nous, il y a beaucoup.
Il y a ce qui est dit et ce qui ne le sera jamais.
Il y a ce qui est écrit et ce qui ne le sera jamais.
Il y a ce qui est pensé, il y a aussi ce qui est négligé.
Dans l’espace entre nous, il y a une nuée d’impossibles
comme chants d’oiseaux que nous ne savons pas retranscrire.
Il y a le poids du temps, il y a le poids des histoires, que nous ne partageons pas. »
Christian Désagulier
Samira Negrouche, Traces avec trois photographies de Nathalie Postic, éditions Fidel Anthelme X, 2021, 46 p., 7 €
extrait :
Je ne dors pas la nuit quand la lumière tombe.
Quand le noir tombe, c’est la poussière qui se soulève sur moi, la poussière tenace qui envahit mes narines et se pose, épaisse, sur tout ce qui me fait office de compagnons.
Je ne dors pas la nuit. Quand le silence tombe, ce sont les visages qui remontent dans ma mémoire, ceux que je n’ai jamais vus aussi.
Des visages m’habitent, tous ceux qui me sont passés devant le jour durant et d’autres que je n’ai pas vu passer.
Je ne dors pas la nuit, mes oreilles sont tellement sensibles, elles entendent tout du boucan du jour et, la nuit, elles les régurgitent, elles les analysent.
(…)
Traces (p. 5 à 7)