Toujours continué, le geste de Sacré
Le 11 juillet 2009, James Sacré note le tercet suivant : « Je ne cherche pas un père / Je ne cherche pas le père que j’aurais voulu avoir / Je cherche le père que j’ai eu » C’est je crois l’un des fondements de Quel tissu se déchire ? (Éditions Tarabuste, 2020) qui comprend S’il n’y a que du silence ? (précédemment publié, en 2009, sous le titre Portrait du père en travers du temps, par les éditions La Dragonne), Un effacement continué (également publié en 2016, chez La Dragonne) et une troisième partie, inédite et à la fois éponyme. L’ouvrage compose avec les souvenirs du poète, les retrouve au fur et à mesure des années, depuis 2001 jusqu’à 2018.
L’écriture de James Sacré s’y déploie au fil de journées, passant par l’Italie, le Maroc et par les « gestes » de sa poétique : la simplicité apparente est un travail sur l’évidence des sensations, la manière de les rendre présentes dans l’écriture. Ainsi, passant à Strasbourg en janvier 2009, Sacré note son trajet pour dire à son père « Si peut-être passant vite un matin par Strasbourg j’ai suivi tes pas ? » (p.69). Une interrogation sur le vivant – agrandie par l’expérience, les paysages traversés, les deuils – se donne à lire, permettant au poète d’affiner avec son père le rapport au monde et le rapport aux mots : « Et le moindre de tes gestes s’il m’accompagne soudain / Dans la continuité tellement banale de ma vie, / Est aussi cela la beauté vivante et fragile / Du souvenir qu’on a du monde. » (p.129).
La Vendée natale confirme le silence de ce portrait du père qui reste en devenir. En Italie, devant des fermes des Pouilles, Sacré affirme : « je n’ai pas connu toutes celles / Où tu as vécu, ou travaillé pour des patrons / Avant d’avoir toi aussi un commis pour t’aider / À cause que j’allais m’instruire ailleurs, et pourtant / Pas si loin du village de Cougou. » (p.215) La vie du père comme toutes les vies possède sa part d’inconnu. Et cet inconnu pousse le poète, avec humour et sensibilité, jusqu’à l’extrémité des mots qu’il dit.
Il peut alors écrire « Je ne sais plus quoi écrire » (p.215) ou s’interroger « Portrait de qui en travers du temps ? » (p.216). Ou encore affirmer : « La mort et le vivant continuent / On ne saura rien de plus. » (p.230)
Ces derniers mots du recueil valent aussi comme introduction au livre composé en regard des encres de Chine de Raphaël Segura, Les arbres sont aussi du silence, (Voix d’encre, 1er trimestre de 2021). Segura dessine à l’encre de Chine des troncs d’arbre « comme de dérisoires ex-voto mémoire de l’ARBRE dans cette planète en déshérence » selon les mots de la présentation de l’artiste qu’on retrouve à la fin de l’ouvrage (p.78). James Sacré s’en saisit et compose des poèmes qui traversent les mêmes attentes que Quel tissu se déchire ? Il y est question d’œuvres d’art bien sûr mais fondus dans des espaces intimes, des souvenirs qui ramènent souvent à Cougou : « Il y avait le grand cormier de Cougoulet / La savoureuses pourriture de ses petits fruits. / Et maintenant : oublié le rugueux du tronc / Le blanc des fleurs, larges panicules / Et léger, le feuillage dans sa densité verte. // Un grand cormier qui n’existe plus ; des cormes / On n’en voit jamais sur les marchés. » (p.37) Le souvenir confronte le poème à ce qui a disparu et celui-ci donne à lire l’expérience de la vie ou ce que Sacré formule ainsi : « Un arbre dans sa mort peur continuer pour de vrai / La couleur et quasiment le goût / Du passé. » En somme, les deux livres confirment que le poème de James Sacré écrit à coté de tout ce qu’il rencontre. Et c’est bien la même énergie à la fois vitale et fragile qui traverse les deux ouvrages que James Sacré vient de publier.
Alexis Pelletier
James Sacré, Quel tissu se déchire, Tarabuste Éditeur, collection Reprises, 2020, 240 pages, 15€
James Sacré, Raphaël Segura, Les arbres sont aussi du silence, Voix d’encre, 2021, 84 pages
Extrait de Quel tissu se déchire ? (pages 172-173)
D’autres sont morts
Du temps que tu vivais
Ni toi ni moi n’y pensions trop
La vie nous portait
Où l’idée de la mort
S’effaçait lentement
Dans ce qu’était le vivant.
D’autres continuent de mourir
Après que tu n’es plus rien
Et sans doute pas
Ce que je crois vivant
En ces mots de maintenant :
Je ne sais pas
Qui me les donne.
Un poème pour toi
Se perd en bavardage.
(4 août 2015 ; 27 juin 2017)
Poèmes de ces derniers jours qui me sont venus
À cause d’objets divers sans plus d’usage,
Petits ustensiles de cuisine en métal émaillé…
Un premier poème puis d’autres
Ça pourrait continuer ; suffirait
Que je les regarde souvent
Et m’en aille dans ces mots qu’ils me donnent.
Si dans la longue répétition
De plus ou moins le même poème repris
Autour de ta figure en allée, mon père,
Je ne fais pas de ton visage ou de l’allure de ton corps,
De tes colères, du secret
Que furent tes sentiments
La même chose qu’avec ces objets de tôle émaillée :
Rassembler des mots pris
À la matière du monde et sans vraiment
M’inquiéter de comment
Mon souvenir de toi n’est rien plus
Qu’un autre matériau pour écrire ?
(10 août 2015 ; 27 juin 2017)
Extrait de Les arbres aussi sont du silence (pages 51)
Une souche d’arbre mort si déjà
Ça n’est pas la réduction d’un chêne ou d’un châtaignier
À comme des signes de bois prenant forme,
Si tu le regardes,
Autant dans sa matière pourrissante
Que dans l’abstraction qui s’éveille en ta pensée
D’une ramure et d’un feuillage qui ne connaissent plus
Que le vent de tes souvenirs ?
Le concret du présent se nourrit
De l’épure, réduite à rien, du passé.
Une souche qui n’est plus que traits d’encre
Et le bruit des mots qu’on fagote
Dit bien qu’écrire et dessiner
Sont des traces d’une abstraction continuée.