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(Note de lecture), Olivier Vossot, L'écart qui existe, par Isabelle Baladine Howald

Par Florence Trocmé


Oscillements dans l’enfance

Olivier Vossot  l'écart qui existe
Second recueil après Personne ne s’éloigne (l’Echappée belle, prix du premier recueil de poésie fondation Labbé), voici L’écart qui existe d’Olivier Vossot aux éditions Les carnets du dessert de lune, avec une illustration de couverture de Pascaline Boura.
Les deux titres sont des proposition « relatives » dans leur propos.
Rien de stable en effet, rien d’une vérité unique, mais une poésie impressionniste, par touches pour autant précises, exactes. Quelque chose est énoncé fermement mais sur un terrain si friable. Et cette relativité repose sur quelque chose d’encore plus friable, l’interrogation qui est partout présente : « de nous deux qui regarde », « est-ce que quelque chose se tient encore replié dans la pièce ? », « quel corps est le tien maintenant », « que nous sommes-nous dit ? », « dehors a-t-il existé ? Dedans ? », « que capte l’oreille de ce qu’on peut dire dire, de ce qu’on a pu ? », « que savons-nous du tumulte que chacun porte ? », « A quoi ressemblent nos visages ? »
Toujours dans ce second volume a lieu cette observation des choses les plus ténues, les plus simples, dans le regard d’un enfant de huit ans, face à ce grand père particulier, qui se tait, qui se noie dans l’alcool, qui n’en finit pas de mourir, bien avant sa mort...
Ce sentiment d’enfant que la mort guette, épie, comme lui-même regarde entre les fentes du bois, tout à fait conscient de ce qui se passe en lui, dans la pièce en face, et au dehors…
L’attente est sans doute au cœur de ce livre, l’écoulement lent du temps avec ce sentiment d’engluement qu’il peut également engendrer.
Albane Gellé qui préface le livre parle avec justesse d’ « une belle sobriété » et d’un recueil que tous, « enfants laboureurs, grands lecteurs, curieux tout neufs » peuvent lire.
Car si trop souvent nous ne prenons garde à rien, Olivier Vossot lui, s’attarde, attend, regarde, fait l’expérience de toutes les sensations d’une campagne, d’un rapport humain, de l’intérieur d’une maison comme de son intériorité à lui...
Oui, comme Albane Gellé le dit, parfois on pense à Antoine Emaz dans cette simplicité, pourtant en effet Olivier Vossot a trouvé sa propre « voix de fin silence » pour parler comme Roger Laporte à propos de Blanchot, avec cette question qui lui est également propre « Se souvient-on de soi ? »

Le grand père est malade, peut-être mourant :
« Tu viens de nuit, parfois,/tu vas mieux./je ne sais plus/depuis ta mort le nombre d’années,/quel terme a resserré leurs fascines d’un coup sec/autour de rien. »
L’enfant de huit ans se souvient de l’atmosphère qui passe constamment de l’intérieur des pièces avec leur confinement de bois, d’odeurs, de sons étouffés, à l’extérieur avec la neige, les arbres, la pluie, l’herbe, la mousse, les marronniers et l’enfant oscille : « c’était un autre silence,/un autre temps, l’écart qui existe entre durer et tenir. » Le grand-père tente de durer, l’enfant de tenir.
En attendant, ce qu’il fait tout au long du livre, il observe ce corps de grand-père, ce visage de grand-père, la curiosité des enfants pour les mourants est sans fin : « est ce que quelque chose encore se tient replié/dans la pièce ? Deux peurs/s’observent sans se voir. »
Colère, rancune, non-dits mais aussi rare tendresse et quotidienneté des gestes, « quelque chose brille sur le peu de mur ».
C’est un recueil à la fois fragile et fort, quelque chose insiste dans ce regard d’enfant, il n’est pas que témoin, il engrange les choses petites comme s’il savait qu’elles pourraient un jour lui « servir ». Qu’est-ce d’autre, parfois, l’écriture, que de se tenir à ce qui s’enfuit ? Il en reste une indéniable difficulté à vivre, quelque chose de funambule et tout autant un pas ancré dans la mémoire, sans faiblesse. L’enfant grandi relit les poèmes de son grand-père, c’est aussi ce qui les lie en silence, « nous sommes la même silhouette qui passe. »
Légère brume qui les recouvre, passants incertains se tenant la main, « le temps passe un peu plus vite que nos vies ».
Olivier Vossot a trouvé comment remonter le temps, son livre est silencieux comme le silence d’une pièce où quelqu’un joue en silence, rêve ou regarde par la fenêtre. Pourtant après l’avoir lu, il reste en nous comme l’indéniable chant de l’enfance.
Isabelle Baladine Howald

Olivier Vossot, L’Écart qui existe, Les Carnets du dessert de lune, 84p, 14€
Extraits :
Je ne sais plus
depuis ta mort
le nombre d’années,
quel terme a resserré leurs fascines d’un coup sec
autour de rien
/
On repense aux paysages traversés.
Tout s’arrête là. Silhouettes, brume veinée de blanc.
Se souvient-on de soi ?
Plus près sur des branches
une mousse dure presque noire.
/
Perce un bruit de métal,
des volets qu’on tire.
Vent faible, ciel blanc démantelé.
J’aperçois la cour par les fentes,
le sapin encore haut contre le mur friable,
la pénombre, l’herbe rase.
Quelque chose encore
s’éloigne de ce qu’on sait.
Les nuée s’éventent lentement, les branches lisses.
/
L’herbe coupée, l’air du soir.
Où étions-nous quand tout a commencé ?
L’odeur sillonne le temps,
fraîcheur mêlée de feuilles, de moisissure.
/
Les images s’enterrent l’une l’autre,
les mots disparaissent comme des bruits.
Est-ce que quelque chose se tient encore replié
dans la pièce ? Deux peurs
s’observent sans se voir.
/
Le temps comme une peau.
quelques reflets sur le meuble.
Je n’ai pas osé te regarder,
recomposer la mémoire.
En moi le noyau pleure patiemment.
/
Le vent glisse,
nous n’étions plus
qu’un trait sur le soir.
Tout tremblait
au creux de sa main, aucun soir,
n’a laissé le temps.
Nous sommes
la même silhouette qui passe.


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