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La collection Poésie/Gallimard publie son cinq cent cinquante neuvième volume. Il est dédié à Erri De Luca. Le livre reprend les poèmes d'Aller simple naguère parus dans la collection Du monde entier, auxquels est adjoint L'hôte impénitent dans son intégralité et quelques poèmes inédits choisis par l'écrivain pour cette édition. Traduction de Danièle Valin.
Extrait de " Aller simple "
Ils se contentent même de rien
ils dorment dans les tempêtes le pouce à la bouche pour dîner.
Ils brillent de sueur plus acharnés que nous,
ce sont des buissons d'épines, la mon ne s'approche pas.
Au plus profond du sommeil qui les terrasse dans nos bras
cogne à grand bruit leur cœur d'antilope en fuite.
Puis ils rouvrent les yeux désaltérés, repus,
repartent explorer dans l'enclos les passages pour sortir.
Ils se glissent entre les pieds des gardiens,
se mêlent à la boue de la cour.
Ils reviennent avec un cadeau pour leurs mères
avec le trésor d'un bonbon.
Ce sont eux qui nous défendent,
c'est le fruit qui protège l'arbre.
(p.60)
Anche il niente si fanno bastare
dormono nelle tempeste con il pollice in bocca come cens,
Scintillano di sudore più accaniti di noi,
sono cespugli di spine, la morte non si accosta.
Nel sonno potente che ce li atterra in braccio
il loro cuore strepita in petto a un'antilope in fuga.
Poi riaprono gli occhi abbeverati, sazi,
ripartono a frugare nel recinto i varchi per uscire.
S'infilano tra i piedi dei guardiani,
si mischiano col fango del cortile.
Tornano con un dono per le madri
con il tesoro di una caramella.
Sono loro a difendere noi,
è il frutto a proteggere l'albero.
Extrait de " Quartier des pas reclus "
TZIGANES UN ÉTÉ
Des baraquements du camp des Tziganes nous voyions les Juifs
colonnes en marche devenir colonnes verticales
de fumée droite vers le ciel, elles étaient légères
elles allaient gonfler les yeux et le nez
de leur Dieu qui regardait.
Nous ne fûmes pas légers.
La cendre des corps des Tziganes
n'arrivait pas à se dresser dans le ciel de haute Silésie.
En plein été nous devînmes de la brume coralline.
La musique jouée et tant chantée nous retenait en bas
autour des feux des campements,
haie d'accordéons et de danses,
la musique inventée tous les soirs du monde
ne nous laissait pas partir.
Nous qui jouions sans partition, nous fûmes enfermés
derrière les lignes de la portée en fil barbelé.
Nous Tziganes d'Europe, de cendre lourde
sans destination d'outre vie
par aucun Dieu appelés à témoigner
étrangers par instinct au sacrifice
nous brûlâmes sans l'odeur de la sainteté
sans résidus organiques d'une pitié suivante,
nous brûlâmes tout entiers, guitares aux cordes de boyau.
(p. 83)
ZINGARI, UN'ESTATE
Dalle baracche del Zigeuner Camp vedevamo gli ebrei
colonne incamminate diventare colonne verticali
di fumo dritto al cielo, erano lievi
andavano a gonfiare gli occhi e il naso
del loro Dio affacciato.
Noi non fummo leggeri.
La cenere dei corpi degli zingari
non riusciva ad alzarsi al cielo di Alta Slesia.
In piena estate diventammo nebbia corallina.
Ci tratteneva in basso la musica suonata e stracantata
intorno ai fuochi degli accampamenti,
siepe di fisarmoniche e di danze,
la musica inventata ogni sera del mondo
non ci lasciava andare.
Noi che suonarnmo senza uno spartito, fummo chiusi
dietro le righe a pentagramma del filo spinato.
Noi zingari di Europa, di cenere pesante
senza destinazione di oltre vita
da nessun Dio chiamati a sua testimonianza
estranei per istinto al sacrificio
bruciammo senza l'odore della santità
senza residui organici di una pietà seguente,
bruciammo tutti interi, chitarre con le corde di budello.
Extrait de " Personnes "
PIERO DELLA FRANCESCA
Piero della Francesca mourut l'année hendécasyllabe du débarquement
mille quatre cent quatre-vingt-douze
de Colomb à l'occident, un orient raté.
Isabelle envoyait au diable les Juifs d'Espagne.
Piero mourut à l'abri des dernières nouvelles.
Il avait peint sur enduit frais les croix et l'insomnie chrétienne
de posséder la ville des sangs et des messies
Jérusalem.
Que pouvait lui importer la découverte d'une Amérique indienne ?
Il laissa sur une douce épaule d'Arezzo,
dans l'air circulaire d'une église,
son voyage en orient, qui est origine, source.
(p. 271)
PIERO DELLA FRANCESCA
Piero della Francesca morì nell'anno endecasillabo di sbarco
millequattrocentonovantadue
di Colombo a occidente, un oriente fallito.
Isabella spediva alla malora gli ebrei della Spagna.
Piero morì al riparo delle ultime notizie.
Aveva dipinto su intonaco fresco le croci e l'insonnia cristiana
di possedere la città dei sangui e dei messia
Gerusalemme.
Che poteva importargli la scoperta di unAmerica india?
Lascià su una morbida scapola di Arezzo,
nell'aria circolare di una chiesa,
il suo viaggio in oriente, che è origine, sorgente.
Erri de Luca, Aller simple suivi de L'hôte impénitent, traduit de l'italien par Danièle Vakin, édition bilingue, Poésie/Gallimard, n° 559, 320 p., 9,50€.
Sur le site de l'éditeur :
" Si Aller simple évoque d'abord l'épopée tragique des migrants qui tentent de rejoindre le sol italien et le destin des désespérés qui affrontent la violence de la mer et de l'indifférence, on y lira bien plus qu'un plaidoyer militant. La poésie de De Luca, portée par son humanisme engagé, proche dans sa sobriété et sa ferme clarté de celle de Primo Levi par exemple, trouve aussi son propos, comme son œuvre en prose, dans l'évocation de la guerre, de l'amour, de la liberté perdue, de la terre d'Italie et n'exclut pas l'expression heureuse de l'existence dans sa sensualité. "