Quatrième de couverture :
Le désespoir est un péché. Elle avait honte de laver les latrines, de jeter les poubelles. Elle avait honte de manger et de boire. Elle avait honte de sa bosse, de ses vêtements, de son matelas, de sa mère, du père qu’elle n’avait pas. Elle avait honte de son corps. Elle se mit à maigrir et ses pantalons, deux vieux pantalons qui avaient appartenu à Nour, la fille aînée de la maison, étaient maintenant trop larges. Elle devait les faire tenir avec un cordon qu’elle serrait fort. La maison Nassour était comme frappée du silence de sa honte. Son nom n’y retentissait plus comme avant : Nada ! Nada ! Mais que restait-il dans cette demeure, à part Ichhane qui, lui-même, ne l’appelait plus ?
Destin d’un cœur simple confronté à un lourd secret de famille, l’histoire de Nada s’écrit sur le fil invisible et mouvant qui sépare l’ombre de la lumière dans le patio.
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Nada a été vendue par sa mère à la famille de Nasri Nassour, un veuf qui règne avec calme sur sa famille. La maison est ordonnée autour d’un patio au milieu duquel coule une fontaine, centre de la maisonnée. « L’eau, me disait mon maître Nasri, l’eau, c’est la vie même. » Nada grandit vaille que vaille dans cette maison tout en accomplissant les tâches d’une domestique ordinaire. Personne ne lui explique les mystères du corps, elle ne reçoit aucune éducation, ou plutôt son éducation se fait par les sensations, les émotions brutes ou délicates, suivant les jours : le bruit du vent, le sang qui coule pour la première fois, le fumet d’un plat, le miaulement d’un chat dans la cour. Le soir, Nada déplie un matelas dans u coi du patio et se replie sur elle-même. En grandissant, Nada devient bossue et est en butte aux moqueries des gamins du quartier. La servante observe les gens de la maison, les filles du maître qui partent l’une après l’autre pour se marier. Dans cette initiation brute à la vie, il y a les hommes : le maitre, toujours paisible et rassurant, auquel la lie un attachement sans paroles, le cousin Teymour, musicien sensible et timide et Ichhane, le fils au regard noir qui terrorise Nada et disparaît un jour sans explication.
Ainsi se déroule la vie de Nada (dont le nom signifie « rien » en espagnol), une existence marquée de silence forcé, de monotonie, une vie qui parait si pauvre, si dépouillée, si instinctive aussi. Une vie à comprendre pourquoi « Le désespoir est un péché ». Le récit de Yasmine Khlat (née en Egypte dans une famille libanaise) est à la fois sec et brûlant, très sensoriel et économe de paroles. C’est un court roman hypnotique dont j’ai un peu de mal à parler mais que je suis contente d’avoir découvert.
« Lorsque, à l’âge de sept ans, elle entra pour la première fois, d’un pas hésitant et craintif, dans la demeure où elle devait passer le restant de ses jours, son regard miel, étonné par le sort, était d’une telle grâce qu’il saisit Nasri Nassour au cœur.
Elle grandit là, entre la cuisine, la cour intérieure où elle ramassait les feuilles du marronnier, l’étroit escalier de pierre qui naissait sous l’arbre et menait aux chambres du haut et dont l’aspérité lui brûlait les genoux. Cet escalier, elle le redescendait parfois à vive allure, courant vers les toilettes sur lesquelles elle refermait la lourde porte en bois, la bloquant à l’aide du verrou rouillé qu’elle ne pouvait atteindre qu’en se hissant sur la pointe des pieds. Dans la pénombre, elle baissait sa culotte parfois déjà un peu mouillée, s’accroupissait, le regard vers le jet d’urine qui éclaboussait le marbre et dont les gouttes rejaillissaient sur le haut de ses cuisses, sur ses mollets. Elle restait parfois plus longtemps, attendant que la traverse et tombe lourdement sur le marbre, glissant vers le néant boueux, ce qui oppressait son bassin. Des chambres, on l’appelait. Elle ne répondait pas, tapie dans l’ odeur chaude qui lui rappelait celle des champs où elle était née, de ce temps sans père dont les bribes, peu à peu, sombraient, crépitantes, dans l’unique survivance des feux. » (p. 13-14)
« Il y avait bien entendu son maître, Nasri Nassour, auquel elle aurait pu se confier. Mais il était son fils aîné, l’espoir de sa vieillesse, son héritier, comment lui révéler le malheur de ce fils dont il s’enorgueillissait ? Comment pouvait-elle à lui, qu’on appelait Abou Ichhane, c’est-à-dire le père d’Ichhane, infliger pareille déception ? Elle n’avait qu’un désir, l’épargner, le protéger. Chacun de ses gestes était empreint d’ une pesanteur qui l’intriguait. Elle cherchait la réponse dans ses yeux. Ils lui disaient : Oh ma servante, si tu savais combien de deuils, combien de deuils. » (p.21)
« On ne sait jamais ce que la mer mais dit. ce qu’elle s’apprête à donner ou à reprendre. » (p. 25)
Yasmine KHLAT, Le désespoir est un péché, Seuil, 2001
Ce roman a obtenu le Prix des Cinq Continents de la Francophonie en 2001.
Voilà qui démarre notre Semaine Francophonie avec Marilyne qui vous présente aujourd’hui un roman de l’ile Maurice, Whitman de Barlen Pyamootoo.