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(Note de lecture), F.J. Ossang, Fin d'empire, par Mathieu Jung

Par Florence Trocmé


pour Stéphane T.

F.J. Ossang  Fin d’empire
« Pour survivre, écrit Ossang, il faut que l’on s’évade dans un imaginaire qui n’a plus cours. » Constat insupportable. L’escapisme n’étant que marche à la mort. Pour survivre, il faut approfondir les ombres. Témoin, le cinéma de F.J. Ossang justement, véritable cinéma d’ombre et de survie, qui n’est pas une commode réorganisation du pessimisme (une de plus), mais action réelle sur l’imaginaire, travail argentique sur les ombres. Bien sûr que cet imaginaire continue d’agir, sans avoir cours vraiment. N’ayant pas renoncé d’exister, il peine à la communion. Pour qui au juste, ces ombres ? Pour qui cette survie ? Question d’autant plus embarrassante que l’image de F.J. Ossang est éminemment vitaliste.
Difficile de détacher Fin d’empire (Le Corridor Bleu, 2021) du reste de l’œuvre polymorphe de F.J. Ossang, de sa musique, de son cinéma surtout. Sans doute est-il vain de vouloir définir qui, de l’œuf cinéma ou de la poule poème, précède l’autre. C’est à envisager ensemble. Dharma Guns fait-il écho à Fin d’empire ? Ou bien ce livre est-il une sorte de peau morte tombée du cinéma ? Pelure, peau, pellicule ― ce sont les mêmes mots. La même matière retravaillée, dialectisée, mastiquée dans la machine punk onirique. Matière-rêve ou substance-mort indifféremment.
L’Empire, nous explique Philippe K. Dick, n’a jamais pris fin. Or, selon F.J. Ossang dans Fin d’Empire « l’humanité commencera en brisant les seuils ». Allons-y, tâchons de suivre un peu les brisements d’Ossang, en écoutant cette sténographie mentale.
À présent je vis dans un grand siècle de lumière aux colonnes
éruptives de pierres neutres. C’est un poème de toutes sortes de mots
en application, presque sans phrase.

FJ Ossang
L’image poétique chez Ossang ne se livre pas telle quelle. Je ne suis pas sûr qu’elle soit en mesure de subsister seule, sans cette autre image primordiale que constitue pour Ossang l’image cinématographique. De même, le cinéma d’Ossang se nourrit de poésie. Ce sont deux horizons entre lesquels Ossang fait se déployer sa vision avec l’ahurissante constance d’un somnambule qui aurait l’étoile au front.
C’est aussi, et surtout, une poésie qui avance en s’effondrant. « La phrase qui précède est idiote, elle aussi. » Empire en pire. Et combien. « Histoire d’un empire qui se délite sans plaisir, craque, cède par lambeaux. » Le délitement, dont il était déjà question dans Dharma Guns. Ce vent qui « tourne plus vite qu’un tigre », lui aussi présent dans le film de 2010.
On a pu voir en Ossang un cinéaste « à la lettre ». Il arrive, à l’inverse, que le poème fasse ouvertement signe au film. Ainsi est-il question de la ville de Marseille, où finit 9 Doigts (2017). De Rimbaud à Conrad, en passant par Artaud, c’est aussi bien pour ramener le film dans le champ de l’écriture, de la poésie.
Enfin Marseille — l’histoire du film 9 DOIGTS s’arrête
Dans la ville où Arthur Rimbaud est mort –
Et plus tard Antonin Artaud naquit –
Songer aux dates : Rimbaud meurt en 1891,
Artaud naît en 1896.
Marseille aussi, où Joseph Conrad apprit son métier
de Capitaine.

Je dirais de la poésie d’Ossang qu’elle est demande d’image. Avec Fin d’Empire, il nous est offert une réflexion sur la poésie. Mais c’est indissociablement de poésie et de cinéma dont il est question. Ossang, à la fin de Fin d’Empire rêve à un film, un film de fin de vie, justement, adapté de son « Île de la terreur » (dernière section du recueil Fin d’empire). À la fin, le cinéma. À mieux dire : le tissu conjonctif cinéma-poésie.
Mathieu Jung
F.J. Ossang, Fin d’empire, Le Corridor bleu, 2021, 112 p., 13€


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