Magazine Culture

(Anthologie permanente) Laurent Grisel, Climats, épopée

Par Florence Trocmé

(Anthologie permanente) Laurent Grisel, Climats, épopéePublie.net réédite le livre de Laurent Grisel, Climats, épopée.
sous le soleil sous la chaleur
la glace horizontale brille, eau
qui prend les moindres pentes, ridules, rigoles
ruisselis, glisselis de l'eau
affluant, se joignant en ruisseaux, bédières
grossissantes
qu'on entend de loin
méandres, cours ramifiés, convergents
formant lac
coulant dans une fente
une crevasse
entre deux contrées de glace écartées
tombant
dans un moulin, gouffre au bord de lumière bleue,
puis sombre
pluie aiguë et mate
déferlement rauque, bruits d'orgue, tous tuyaux à la fois
et sous 2000, 4000 mètres de glace dense
chant souterrain, chant plein
lacs sous-glaciaires
certains isolés du ciel depuis 35 millions d'années
connectés entre eux
l'eau s'écoulant de lac en lac
lubrifiant l'interface roche-glacier
accélérant l'inflexion de l'immense masse blanche
accélération faite courant, exclamation
des lacs sous-glaciaires
par tunnels creusés par l'eau
en quelques heures se vident
à l'air libre
eau affluant de partout, de tous moulins et tunnels
lubrifiant, entrainant les glaciers
accélérant
leur allée
vers l'océan
(p. 25)
|||
l'enfer de la fin du Permien, il fallut 10 000 ans
pour qu'il s'installe
il fallut environ 80 000 ans
pour que la vie revienne
ainsi Gaia
libère le CO, quand on va au froid
sinon, le capte quand on va au chaud
contre-cascade d'événements
fluctuations entre les deux limites vitales de chaud et
de froid
cette fluctuation s'appelle " sinon Mars la glaciale,
sinon Vénus la brûlante "
nous faisons plus vite, dans notre hâte -
nous pourrions, si nous continuons
dans cette sombre et féroce et professionnelle
allégresse de destruction
mettre non pas 10 000 mais 100 ans
pour faire le même saut de concentration de carbone
et autres gaz à effet de serre dans l'atmosphère
heureusement, il y eut
les dizaines de milliers
les millions d'années
mais aujourd'hui ?
dans notre hâte ?
une hâte géologique, quelques millimètres de
poussières -
dans notre hâte générale, appliquée à tout
tout sans exception ?
un brusque changement d'échelle de temps
ce qui a été créé par millions d'années
le dissiper en un instant
c'est ce que fait le voleur qui arrache votre sac
l'assassin qui arrache votre vie -
un brusque changement d 'échelle de temps
notre vie pesante et légère, libre et non-libre
nos possessions d'années accumulées
d'un coup, envolées, zzzou !
c'est cela l'inconnu, le saut dans l'inconnu,
l'aveuglement, l'insensibilité
au bruissement des arbres, à la mutité des grenouilles
aux vents cosmiques
à la fermeture des mines
au passé : jamais aucun être humain, depuis que
le genre Homo existe, 2, 3 millions d'années ?,
n'a respiré, dans son air quotidien, dans son
souffle de chaque moment
autant de gaz carbonique
et on va, et on va
(p. 53-54)
Laurent Grisel, Climats, épopée, Publie.net, 2021, 102 p., 12€
Le livre paraîtra le 12 mai
Sur le site de l'éditeur :
" Tous les enjeux de l'épopée comme "matière première des peuples" sont présents dans les luttes actuelles, à l'aube des bouleversements climatiques. Le langage, la poésie ont certainement un rôle à y jouer. Tout comme la musique, mise à l'honneur dans cette deuxième édition de Climats que prolonge une lecture de l'auteur accompagnée par Fred Wall°ich et Philippe Saliceti : de quoi faire revenir le poème aux accords qui l'ont porté ces dernières années dans un nombre important de rencontres et de performances, rendant hommage à la part collective des échanges.
Car dans Climats, les forces à l'œuvre sont plurielles : les lois de la physique et la chimie des atmosphères sont les magies de notre temps ; les scientifiques nos sages ; les victimes de Katrina le chœur des sacrifiés d'hier ; les peuples en résistance contre les puissants les héros anonymes nous montrant la voie, pendant que les planètes voisines, aux noms de dieux romains oubliés, nous offrent un aperçu de notre avenir si nous ne faisons rien pour remédier au pire. Mais d'autres horizons s'offrent à nous. Qui sait ? L'utopie même est permise. Bien sûr que c'est possible, nous rappelle l'épopée. L'air est la lumière. Et le monde est sensible. "

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Florence Trocmé 18683 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines