j’ai perdu la couleur dans ce qui ne cesse pas
ce chien dressé pour mordre
les talons du temps sans le blesser
j’ai perdu l’humanité
j’ai même parié sur la musique sans cartes
j’ai avalé sans les mâcher des flèches perdues
une rose noire est née et je l’ai laissée
mourir comme les autres
petites créatures de ce qui ne cesse pas
louves en captivité
moi-même je me suis perdue dans la déraison
ce piano mal accordé m’étourdissait
à la racine de la névralgie
cette décharge répétée qui pleure nuit et jour
comme un enfant du monde
que personne n’écoute
*
la música sin cartas
perdí el color en lo incesante
ese perro entrenado para morder
los talones del tiempo sin lastimarlo
perdí la humanidad
me jugué hasta la música sin cartas
tragué sin masticar flechas perdidas
nació una rosa negra y la dejé
morir como a las otras
pequeñas criaturas de lo incesante
lobas en cautiverio
yo misma me perdí en la sinrazón
me aturdía ese piano desafinado
en la raíz de la neuralgia
esa descarga repetida
que llora día y noche
como un hijo del mundo
que nadie atiende
***
Laura Yasán (née à Buenos Aires, Argentine, en 1960) – Pequeñas criaturas de lo incesante (Zona borde, 2015) – Anthologie de poésie argentine contemporaine (Triptyque, 2017) – Traduit de l’espagnol par Flavia Garcia.