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(Note de lecture), Louise Glück, L'iris sauvage, par Camille Loivier

Par Florence Trocmé



Louise Glück  L’iris sauvage Louise Glück, poétesse américaine, était quasiment inconnue jusqu’à sa nomination au prix Nobel, comme les plantes auxquelles ce recueil est consacré. On ne les connaissait pas et soudain elles apparaissent dans la lumière de leur future mais proche extinction. Ce sont bien les plantes, fleurs, graminées, herbacées, qui nous regardent depuis les poèmes, nous définissent en tant qu’humains, êtres qui paraissent bien moins vivants qu’elles, à force de vouloir se désincarner, de purs esprits comme on pourrait nous appeler. Ce recueil pose donc sur ce nous un regard critique. L’humain est tombé de son piédestal et se retrouve dans le box des accusés :
« Mais tu sais ça,
Toi et les autres qui pensez
Vivre pour la vérité, et par conséquent, aimez
Tout ce qui est froid »
(Lamium, p. 33)
Pourtant ce lamium qui s’exprime, se considère lui-même comme un « cœur froid ». S’agit-il ici de faire parler les plantes, de toujours imaginer une fleur qui parle comme un être humain, n’est-ce pas plutôt rester prisonnier du dualisme que de penser ainsi ? Nous sommes en zone d’indiscernabilité, d’hybridation, mi-fleur, mi-humain, le langage et la langue (l’un et l’autre se dit ou se disent) n’est plus suffisant pour partager. Il semble qu’en ces lignes, existe une tentative de vouloir comprendre mutuelle, en tous les cas des rapprochements de part et d’autre, même si la question reste posée, de l’esprit, de l’âme, et que l’on frise une spiritualité qui se perd dans l’éther, cependant que l’on retombe aussitôt sur ses pieds.
le grand avantage
est de ne pas avoir
d’esprit. Des sentiments ?
(…) Oh, mes frères et sœurs,
avez-vous un jour été comme moi, il y a longtemps
avant que vous ne soyez humains ? Vous êtes-
vous permis
de vous ouvrir une fois seulement, vous qui ne
vous ouvrirez jamais plus ? Car en vérité,
je parle là
de la même façon que vous. C’est parce que
je suis détruit que
je parle.
(Le coquelicot rouge, p. 81)
Dans ce livre, s’il y a bien opposition entre le monde végétal et le monde animal (humain, donc) la ligne de démarcation flotte, s’effiloche, finit par se briser. Le conflit tourne à l’avantage des plantes. Les marguerites nous regardent avec une ironie sans concession (au point que l’on se moque avec elle oubliant que c’est de soi).
Vas-y : dis ce que tu penses. Le jardin
n’est pas le monde réel. Les machines
sont le monde réel. Dis honnêtement ce que n’importe quel
   idiot
pourrait lire sur ton visage : nous éviter
résister à la nostalgie
a du sens.
(…)
C’est très émouvant,
tout de même, te voir t’approcher
prudemment de la bordure de la prairie au petit matin,
lorsque personne ne peut
te voir. Plus tu restes au bord,
plus tu sembles angoissé.
(Marguerites, p. 101)
La marguerite va au fond des pensées, elle voit le ridicule de l’humain, autant dire de l’homme. Car au fond, ici, il ne s’agit pas de poésie bucolique, pastorale, botanique, les narrations spéculatives que tricotent les écoféministes américaines ne sont pas loin, même si on ne veut pas voir qu’il existe bien d’autres manières de penser, rêver, mettre en poème la relation triste, ambigüe, émouvante des relations avec ce que l’on appellera pour Louise Glück, le biotope, afin de dissocier la poésie de la nature.
Large, simple, claire, en rebonds et en glissades, effronteries, surprises (comme elle les aime) la poésie de Louise Glück, en anglais comme en français, dans la juste traduction de Marie Olivier, et dans la page mettant en regard les deux versants, souligne l’intelligence des plantes, leur acuité, leur liberté, tout en livrant un rapport réconcilié au monde. Tendresse, humour, mais aussi profondeur, celle-ci, dans son investigation, n’intervient que de biais, elle est glissante, furtive, elle attend que le lecteur fasse la moitié du chemin, comme dans toute sagesse orientale.
(…) –j’ai honte
à l’idée d’avoir pensé que tu étais
loin de nous, que tu nous considérais
comme une expérience : c’est
une chose cruelle et triste que d’être
l’animal superflu
une chose terrible.
(…)  
Pour toujours et pour moi,
le plus grand des plaisirs est la surprise.
(Matines, p. 85)
Son second livre traduit en français Nuit de foi et de vertu, nous donnera un autre regard tout aussi généreux et libre sur sa poésie.
Camille Loivier,  
Louise Glück, l’Iris sauvage, Gallimard, 2021, 160p., 17€


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