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Verlaine d’ardoise et de pluie

Publié le 25 avril 2021 par Adtraviata
Verlaine d'ardoise et de pluie par Goffette

Quatrième de couverture :

Parce que, tout de même, un homme, c’est bien autre chose que le petit tas de secrets qu’on a cent fois dit.
Bien autre chose, en deçà et au-delà de l’histoire qui le concerne, comme un pays sans frontière, et l’horizon ne tient la longe qu’aux yeux. C’est un pays rêvé quand on ne rêvait pas encore, et c’est le rêve d’un pays qui vous mène quand tout dort, quand on est soi-même endormi. Au réveil, ça vous colle à la peau. Ça vous remplit et ça vous vide tour à tour. La plénitude et le manque, systole, diastole, flux, reflux, qui font aller l’homme comme la mer, d’un bord à l’autre de lui-même. Parce qu’un poète, c’est toujours un pays qui marche, dressé comme une forêt, et traînant dans sa langue une terre d’exil, un paradis d’échos.

Comme j’ai publié chaque dimanche d’avril un livre en rapport avec la poésie, je continue avec cette biographie originale de Verlaine par le poète et romancier belge Guy Goffette.

Ce n’est pas un livre récent mais il n’est absolument pas périmé : dans cette biographie pas classique du tout, un poète évoque un poète, un Ardennais présente Verlaine sous l’angle de la route (pas rectiligne du tout) et sous son rapport à l’Ardenne, à laquelle il est revenu le plus possible pendant une bonne partie de sa vie pour retrouver un peu de calme, de droiture dans sa vie.

Les chapitres sont très courts, ils sont écrits comme un poème en prose pour raconter la naissance de Verlaine après trois fausses couches, l’enfance gâtée, la révolte contre le père (pas aussi forte que celle de Rimbaud), l’alcoolisme ravageur, le mariage rêvé et complètement raté avec Mathilde, l’attrait pour les garçons, la folle équipée avec Rimbaud, la prison, la fin de vie misérable. Mais Guy Goffette nous attache à cet homme, à ce poète et compose lui aussi quelques poèmes pour accompagner le parcours verlainien. Un petit livre qui « explique » tout par l’enfance ardennaise de l’auteur des Fêtes galantes.

« Quoi qu’il fasse, Verlaine a l’Ardenne infuse. Elle coule dans ses veines comme du petit-lait, pas blanchâtre, pas bleu de Marie, comme voulait sa mère, mais verte et sombre comme le schiste sous la pluie.

À cause d’elle, il préférera toujours le Nord au Sud et ses errances ne le porteront pas au-delà de la Loire. (…)

L’Ardenne, c’est encore et toujours là que, fuyant le bagne parisien, il viendra se refaire une santé, se consoler d’un chagrin, reprendre goût à l’amour et à l’amitié.

L’Ardenne infuse, c’est du bon sens paysan à revendre, et de la verdeur verte; c’est le front rembruni du taiseux, l’ œil du maquignon, la sourde violence du taureau. Et aussi la placide indifférence de la vache, l’ondulation des coteaux sous le vent, la longue laisse des plateaux que module la pluie, le balancement des sapins noirs et l’interminable ennui de la plaine.

Et c’est de là, bien sûr, des mouvements contrastés et vagues à la fois de cette terre qui l’habite comme l’exil, de cette rencontre en lui du féminin et du viril, de la fragilité et de la brute, du schiste et de la pluie, que Verlaine tirera la native et sensuelle musicalité de son vers, sans égale dans la poésie française. (…)

O verre verdoyant  des étangs

où, calme, les loups gris s’en allaient

boire la nuit, et leurs grands yeux blancs

signaient l’ombre comme en un ballet.

Verlaine, et qu’importe le décor,

c’est toujours l’enfant frêle et rêveur

qui ne peut faire barre de son corps

à ce qui monte en lui, et qui pleure.

C’est le vent du nord qui le déchire

ou le schiste ouvert comme un canif,

ou c’est la plainte encore, le délire

du grand cerf blessé, qui met à vif

son âme gamine et qui s’ignore

comme tous ceux qu’un pays traverse

et qui ont beau marcher, leur effort

reste vain, et la nature verse

en eux le sang vert d’un lent poison,

plus lourd que toute mémoire et puis

plus long à mourir que la chanson

nue des blés sous les doigts de la pluie.

O fée verte d’ici, que n’es-tu

la belle qui ramène, naïve,

l’alme douceur à ce vieux têtu,

couché sur la table, qui dérive ? » (pp. 75-78)

Guy GOFFETTE, Verlaine d’ardoise et de pluie, Folio, 2009 (Gallimard, 1996)

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