Magazine Culture

(Note de lecture), Goethe à Strasbourg, par Isabelle Baladine Howald

Par Florence Trocmé


La  Petite rose de Goethe

Goethe à Strasbourg  l'éveil d'un génie
Goethe arrive en avril 1770 à Strasbourg pour y terminer ses études de droit. Il s’inscrit à l’Université le 18 avril et loge à l’hôtel bien nommé de l’Esprit, aujourd’hui disparu, quai St Thomas. Il veut parfaire sa connaissance du français, la langue culturelle par essence à cette époque. Plus tard il va louer une petite chambre au 36 rue du Vieux Marché aux Poissons, la maison est bien reconnaissable, rouge, et un portrait orne toujours la façade. S’est-il baladé rue du Poumon (je ne sais qui est l’inventeur génial de ce nom de rue !), place du Corbeau ? Certainement ! Il allait déjeuner rue de l’Ail, et il a passionnément aimé la cathédrale, la gravissant dès son arrivée, n’ayant peur de rien, grimpant à toute allure les escaliers et leurs ajours dentelés :  « A peine étais-je arrivé à Strasbourg que je courus voir son magnifique clocher. Je me hâtai de monter sur sa plate-forme d’où, par un beau soleil, je contemplais à mon aise cette superbe contrée que je devais longtemps habiter, cette grande et belle ville. »
Mais ce qui nous intéresse ici, c’est moins ce que Goethe a apporté à Strasbourg, que nous connaissons puisqu’il y a, outre sa maison, la rue Goethe et sa statue place de l’Université, que ce que Strasbourg et l’Alsace ont apporté au tout jeune homme. D’abord, à l’automne, il tombe amoureux de la jeune fille du Pasteur de Sessenheim, Frédérique Brion (elle était si jolie… et Goethe tombait si facilement amoureux… avant qu’il ne se dise qu’il avait un avenir intellectuel plus sûr en Allemagne !). Elle ne se mariera jamais. Il reste de Goethe à Sessenheim son chêne, sa promenade et son musée toujours amoureusement dirigé, comme il reste dans mon jardin, se mêlant peu à peu à la terre, un morceau du tilleul sous lequel il aimait à s’asseoir dans la cour de l’ancien Diaconat de Strasbourg, offert il y a longtemps.
A Strasbourg il a également rencontré Herder, le très fameux spécialiste des langues, qui lui fait également découvrir tout l’intérêt de la culture populaire, et en Alsace, il y a de quoi faire...  C’est ici qu’il a compris qu’il était un poète allemand, comme souvent l’on découvre qui l’on est loin de chez soi… Et qu’il laissa de côté ses petits poèmes sentimentaux pour les grands poèmes et les grands romans, et le long récit tardif où Strasbourg est évoquée, Dichtung und Warhheit, Poésie et vérité.
Strasbourg était alors un intense vivier de la culture européenne, le creuset de l’important mouvement littéraire Sturm und Drang (éminemment romantique).
Les échanges, les soirées à refaire le monde, les partages philosophiques ont fait évoluer ce futur grand esprit, déjà féru de culture française. Toutefois l’Alsace étant entre deux pays et entre deux langues, ce passage d’un an lui a particulièrement permis de relier ses propres expériences de cultures et de langues, d’approfondir ses connaissances scientifiques déjà conséquentes, d’aimer les paysages (il a beaucoup visité l’Alsace du Nord) et d’être touché par la statuaire médiévale de la cathédrale, lui alors épris de gothique. En 1770 Goethe pensait encore un peu que l’Alsace était allemande, il n’était pas trop dépaysé ! Il se sentit bien en accord avec les particularités de la région mais peu à l’aise avec ce que cela lui faisait également entrevoir d’un séjour à Paris qu’il ne souhaita finalement pas. Mais il se révèle surtout en écrivain, changeant de style et prenant son envergure.
Une exposition devait se tenir à partir du 20 novembre jusqu’au 22 février à la Galerie Heitz et au Palais des Rohan à Strasbourg, sous la direction des deux commissaires, Aude Therstappen pour les manuscrits à la BNU et Florian Siffer pour le Cabinet des Estampes. En effet cette exposition devait fêter le 250ème anniversaire de l’arrivée de Goethe à Strasbourg et proposer 120 œuvres de différentes collections, allant d’exemplaires très rares d’autographes, à des lettres originales, dessins d’époque, bien sûr manuscrits, objets etc, un fonds riche issu de nombreux prêts. Comme on le sait, rien n’a pu avoir lieu, l’exposition est toutefois visible virtuellement sur le site de la BNU.
Mais un superbe catalogue vient de paraître, qui reprend toute cette exposition, riche de très nombreuses illustrations et de textes approfondis de Roland Recht, Raymond Heitz, Aude Therstappen et Florian Siffler, Christophe Didier, Viktoria von der Brüggen, Mathieu Schneider, Alexandre Kostka et Bernadette Schnitzler, spécialistes et historiens. L’iconographie est de toute beauté, le catalogue est une vraie réussite dans son agencement, ses thèmes, on n’y aborde pas seulement Goethe mais toute son époque, les cercles de lectures et de musique (merveilleux Lieder…), et l’Histoire si importante de cette culture allemande, on prend connaissance de tout le fond goethéen de la Bibliothèque Nationale Universitaire dans lequel se plonger.
Pour ceux qui vivent en Alsace, ne résistez pas à une promenade à Sessenheim où le futur auteur de Werther s’éprit d’un amour sincère pour une jeune alsacienne en costume à laquelle il dédia de nombreux très beaux poèmes : 

« Röslein, Röslein, Röselein Roth,
Röslein auf der Heiden »
« Petite rose, petite rose, petite rose rouge,
Petite rose de la lande ».

Bien d’autres amours après et son grand œuvre réalisé plus tard, l’immense Goethe n’aura toutefois jamais oublié ni la cathédrale, ni son premier amour de jeunesse.
Je me promène le long des rues vers sa maison, on est 250 ans plus tard, et tout est vivant.
Isabelle Baladine Howald
Catalogue Goethe, Musées de la Ville de Strasbourg, 2021, 25€, 205 p.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Florence Trocmé 18683 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines