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En Angleterre : Ornières de fer et chaudières errantes .(Chateaubriand)

Par Jmlire

En Angleterre : Ornières de fer et chaudières errantes .(Chateaubriand)

Il me semble que j'achève une course en Angleterre comme celle que je fis autrefois sur les débris d'Athènes, de Jérusalem, de Memphis et de Carthage. En appelant devant moi les siècles d'Albion, en passant de renommée en renommée, en les voyant s'abîmer tour à tour, j'éprouve une espèce de douloureux vertige. Que sont devenus ces jours éclatants et tumultueux où vécurent Shakespeare et Milton, Henri VIII et Elisabeth, Cromwell et Guillaume, Pitt et Burke ? Tout cela est fini ; supériorités et médiocrités, haines et amours, félicités et misères, oppresseurs et opprimés, bourreaux et victimes, rois et peuples, tout dort dans le même silence et la même poussière. Quel néant sommes−nous donc, s'il en est ainsi de la partie la plus vivante de l'espèce humaine, du génie qui reste comme une ombre des vieux temps dans les générations présentes, mais qui ne vit plus par lui−même, et qui ignore s'il a jamais été ! Combien de fois l'Angleterre, dans l'espace de quelques cents ans, a-t-elle été détruite ! A travers combien de révolutions n'a-t-elle point passé pour arriver au bord d'une révolution plus grande, plus profonde et qui enveloppera la postérité ! J'ai vu ces fameux parlements britanniques dans toute leur puissance : que deviendront-ils ? J'ai vu l'Angleterre dans ses anciennes mœurs et dans son ancienne prospérité : partout la petite église solitaire avec sa tour, le cimetière de campagne de Gray, partout des chemins étroits et sablés, des vallons remplis de vaches, des bruyères marbrées de moutons, des parcs, des châteaux, des villes : peu de grands bois, peu d'oiseaux, le vent de la mer...Telle qu'elle était, cette Angleterre, entourée de ses navires, couverte de ses troupeaux et professant le culte de ses grands hommes, était charmante et redoutable. Aujourd'hui ses vallées sont obscurcies par les fumées des forges et des usines, ses chemins changés en ornières de fer ; et sur ces chemins, au lieu de Milton et de Shakespeare, se meuvent des chaudières errantes...

Chateaubriand, extrait de "Mémoires d'outre-tombe" Livre 27, chapitre 11, 1822. du même auteur, dans Le Lecturamak :

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