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(Note de lecture), Roger Gilbert-Lecomte, Arthur Rimbaud, par Mathieu Jung

Par Florence Trocmé

Roger Gilbert-Lecomte : Rimbaud le casse-dogme


Roger Gilbert Lecompte  Arthur Rimbaud
Une petite bibliothèque rimbaldienne, petite mais solide, est en train de se constituer aux éditions Lurlure qui avaient déjà fait paraître en 2019 les Vers nouveaux de Rimbaud dans une édition d’Ivar Ch’Vavar, ouvrage qui circulait jusqu’alors de manière un peu officieuse parmi les camarades. Lurlure a également fait paraître les non moins indispensables écrits de Jean-Michel Cornu de Lenclos consacrés à Rimbaud l’Africain (L’Abyssinienne de Rimbaud, 2019).
« J’aurai de l’or… » Décidément, cette prophétie de Rimbaud dans Une Saison en enfer s’est réalisée tout dernièrement. Avec le Dictionnaire à lui consacré, 888 pages parues aux Classiques Garnier, sous couverture jaune éclatante, et voici un nouvel Arthur Rimbaud, plus court mais non moins puissamment d’or.
Lurlure vient de faire remonter à la surface deux textes de Roger Gilbert-Lecomte qui touchent à Rimbaud. Avec une introduction, bien moins connue, de Bernard Noël : « La mort, le mot et le mort-mot », parue pour la première fois en 1971. Ce nouvel Arthur Rimbaud vaut autant pour sa qualité de document historique que pour son intrinsèque et salutaire véhémence. Je ne m’intéresserai ici qu’à un seul des textes de Gilbert-Lecomte.
On peut donc redécouvrir « Après Rimbaud la mort des arts », le beau texte de Rober Gilbert-Lecomte, initialement paru en 1929 dans le numéro 2 de la revue Le Grand Jeu. Cet article trouvait sa place dans un dossier que Le Grand Jeu consacrait à Rimbaud, avec des inédits de Rimbaud en prime. L’article de Gilbert-Lecomte suivait un article consacré à la lettre dite du Voyant par Roger Vailland, lui-même suivi d’ un article de Roland de Renéville intitulé « Arthur Rimbaud ou Guerre à l’Homme ! ».
 
Le Grand Jeu est assez méconnu. Ce mouvement jouit d’une sorte d’occultation naturelle, dont ses connaisseurs ne vont pas se plaindre. Son chef de file cependant, René Daumal, bénéficie de rééditions assez fréquentes. Ainsi, l’incroyable Mont Analogue, que les éditions Allia ont eu la bonne idée de faire reparaître en janvier 2020. Mais si l’on demande à un lecteur même averti de nommer ne serait-ce qu’un ou deux autres membres de ce groupuscule dissident du surréalisme, c’est une autre histoire. En attendant que l’on comble cette méconnaissance en écrivant une histoire du Grand Jeu (un volume de 700 pages) et qu’un éditeur sérieux la publie ― on a le droit de rêver — l’édition fac-similaire des quatre numéros de la revue Le Grand Jeu (trois numéros et les épreuves du quatrième, qui n’a jamais paru) se trouve encore, telle que soigneusement rééditée par Jean-Michel Place en 1977. Et pas à un tarif trop exorbitant, bien que le prix de cette belle chose un peu rare soit sans doute appelé à flamber.
« Nous n’éprouvons pas le besoin cher aux critiques de réduire à des proportions humaines, c’est-à-dire naines, un être dont la grandeur est par elle-même trop effrayante. » C’est sous cet égide que sont placées les trois études consacrées à Rimbaud dans le numéro 2 du Grand Jeu. Les membres du Grand Jeu s’emparent de Rimbaud, font de lui un apôtre de ce qu’ils nomment « métaphysique expérimentale ». Très bien. Mais le texte de Gilbert-Lecomte se charge surtout de revitaliser les puissances d’arrachement propres à Rimbaud. « Ainsi, dans mon programme ou casse-dogme, le prétexte-Rimbaud à tout remettre en question surgit magnifiquement à propos de ce qui fait la valeur de son œuvre. » Cela devrait épargner à Rimbaud toute forme de falsification, institutionnelle ou critique. Toute forme de panthéonisation ou de liquéfaction morose. Et, partant, toute forme de positive attitude, selon ce solécisme béat mâtiné de Zazen au rabais qui tend aujourd’hui à faire loi. « Comme si un absolu, unique en soi, pouvait se présenter à l’individu reclus dans l’apparence de son moi sous une autre forme que Non, Non et Non. » Cet incessant travail du négatif au service d’un impeccable casse-dogme n’est pas la seule manière de comprendre Rimbaud, mais de proposer, mieux qu’une compréhension, une radicale étreinte. Celle de la « réalité rugueuse » chère au damné de la Saison, pour mieux donner sens au poème.
Ce que fustige notamment Gilbert-Lecomte, nous sommes en 1929, c’est l’Art pour l’Art. Idée qui a sans doute fait long feu, mais on pourrait aisément, de nos jours, trouver des équivalents au moins aussi vains à cette « hygiénique distraction pour oublier la réalité trop dure à étreindre ». L’essai de Gilbert-Lecomte se veut aussi une exhortation à la mémoire : « Ce n’était pas l’oubli quelconque d’une idée banale. C’est l’amnésie-signal d’alarme, l’amnésie des paramnésies. L’amnésie dont la peur me fait écrire. L’amnésie des révélations qui sont des gifles pour les hommes et qui seront bientôt des coups de couteau dans le dos. » Car l’autre nom du dogme est sans doute cette « paramnésie-caravane de sanglots ».
Mathieu Jung

Roger Gilbert-Lecomte, Arthur Rimbaud, introduction de Bernard Noël, Lurlure, 2021, 56 p., 9€.
Sur le site de l‘éditeur. On peut y feuilleter un extrait.


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