Témoignage sensible
Ce qu'il y a de si intéressant et captivant chez Grégoire Eloy, c'est qu'il est avant tout un photographe documentaire, mais que voulant se déprendre de l'extériorité du témoignage photographique documentariste, le photographe français a évolué vers une démarche plus intimiste, un engagement personnel, émotionnel. Pour autant il n'adopte pas la posture de l'artiste enveloppant le réel de sa subjectivité, de son idiosyncrasie. L'implication affective, perceptuelle, mais également, en un certain sens, "politique" de Grégoire Eloy demeure néanmoins celle du témoignage quoiqu'à fleur de perception, sans infliger ou affliger celui qui regarde, c'est à dire l'autre témoin, d'un pathos ou d'une démarche conceptuelle colorant l'épiphanie visuelle qui, alors, se vide de son ingénuité.
Il y a donc chez ce photographe un engagement puissant mais dans le même temps humble, tentant de donner à voir quelque chose de plus global de ce qui se produit entre lui, le lieu, le temps, l'espace, les éléments et son intelligence sensible de ce qui l'enveloppe, le traverse physiquement, affectivement.
La part politique de son travail, réside dans le souci qu'à Grégoire Eloy du milieu où nous habitons, que des siècles de modernité ont rejeté du côté des objets, du décor, d'une Nature extérieure à l'humanité triomphale. L'intelligence sensitive de Grégoire Eloy correspond, par certains aspects, à ce que le philosophe Baptiste Morizot pointe comme issue possible à ce qu'il appelle la " Crise de La Sensibilité ". C'est à dire une césure entre l'homme et cet autre que serait la Nature - le monde des bêtes et des paysages domestiqués ou sauvages - ayant engendré une forme de cécité, de surdité s'étant développée envers le Vivant. Un espace intellectuel et perceptif qu'il faudrait donc repenser comme un seul et unique milieu où chacun peut bricoler une manière de diplomatie de la sensibilité accrue, amplifiée.
Le témoignage vécu de l'intérieur est lui une tentative de reprendre contact, de porter cette expérience au regard.
Dans cette démarche intimiste, Grégoire Eloy se rapproche de photographes tels Emmet Gowin, Sally Mann ou Nan Goldin et se différencie très nettement de photographes comme Diane Arbus, et une bonne part de la Street Photography.
De l'instant décisif à la trace
Les images de Grégoire Eloy procurent des effets de la sensibilité à l'environnement, sans aucune recherche de l'instant décisif. Alors que les photographes tels Vivian Maier, Henry Wessel, parmi tant d'autres, sont à l'affut, Grégoire Eloy lâche prise en quelque sorte, il n'attend pas, il se fond dans une approche où la perception diffuse prend le pas sur le regard incisif, certes intuitif, mais nourri de la culture de l'image, de son histoire. Il ne cherche pas à extirper le moment graphique, curieux ou pittoresque. Il ne découpe pas le flux des événements, il tente de s'y fondre. L'auteur de "La Horde Du Contrevent", Alain Damasio, pourrait être cité, notamment dans ses descriptions de la Horde qui trace et se mêle au sein des éléments, faisant alors un groupe compact de muscles, de volonté, d'audace, pourtant dilué avec l'environnement plus ou moins accueillant ou radicalement hostile...
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