En 1953, un jeune scientifique du nom de Andrei Sakharov travaillait sur un projet secret dans un centre de recherche du Kazakhstan. Son lieu de travail se trouvait tout près d'un site de travaux forcés, un des nombreux lieux, tout aussi secrets, sous la tutelle du goulag.
Tous les matins, Sakharov pouvait voir une même lignée de prisonniers de camps de concentration, sales, marchant dans la poussière, gardés par des chiens et des brutes armées. Quand en mars, la rumeur de la mort de Staline s'est confirmée vraie, Sakharov n'a pas fait le lien entre les prisonniers et le dictateur maintenant mort. L'Union Soviétique contrôlant l'entièreté de l'information, alors, ne laissait pas croire à un dictateur. Il allait même écrire à sa femme qu'il était sous l'influence de la mort d'un homme formidable, maintenant décédé. Et qu'il ne faisait que penser à son humanité. C'était bien naïf.
Mais avec le temps, tout comme son homologue J.Robert Oppenheimer, inconsolable de voir son nom associé à jamais à l'horreur, Sakharov n'arrivait pas à bien vivre mentalement d'avoir été source de telle monstruosité. Il s'est rebellé contre tout type d'armement nucléaire, puis contre le régime totalitaire soviétique. En 1968, il se trouvait même au coeur de regroupements de dissidents, comme force morale prête à risquer à peu près tout afin de confronter les dictatures.
Sakharov, né il y a plus de 100 ans, est aussi responsable de la dissolution de l'ancienne Union Soviétique, devenue Post-Soviétie, que Mikhail Gorbachev. Et la pression qu'exerçait Sakharov sur Gorbachev était immense. Elle avait le même poids que celle de Martin Luther King sur Lyndon B.Johnson. En 1989, Gorbachev permettait un niveau de débat public sur de multiples enjeux, ce qui n'avait jamais été permis en sol Russe. Sakharov a pris le podium pour dire courageusement au micro qu'il fallait faire mourir, une fois pour toute, le parti communiste et son monopole gouvernemental. Gorbachev, fouetté pas sa conscience, le laissait parler, mais hésitait aussi beaucoup à ne pas lui couper le micro. Sa vie pouvait en dépendre. En décembre 1989, avant que l'Union Soviétique ne se scinde et que le communisme s'efface peu à peu dans le bloc de l'Est, Sakharov décédait d'arythmie cardiaque à l'âge de 68 ans.
Gorbachev serait à ses funérailles et quand un journaliste lui rappellera que quand Sakharov a gagné son prix Nobel de la science, en 1975, il n'avait pas eu le droit de quitter le pays pour aller chercher son prix, Gorbachev dira "Il est clair maintenant qu'il méritait d'y aller".
Maintenant...il a fallu sa mort pour convaincre de son bien.
Dans les mois qui ont suivi, l'Union Soviétique est devenue la Post-Soviétie, les gouvernements sont devenus de plus en plus autoritaires, mais jamais on a désavoué le prestige morale de ce dissident soviétique. Jusqu'à tout récemment où un centre dévoué aux droits humains, nommé en son nom, s'est fait refusé le droit de faire une exhibition de photos en son honneur, "parce que le contenu n'était pas autorisable".
La gestion de Vladimir Putin du gouvernement n'est pas complètement différente de ce qui se faisait dans les années 70 sous Brejnev. Il s'assure que l'opposition soit sans dents et complètement inexistante. Les tentatives de meurtres répétées contre les trop populaires (Navalny, dans une prison pour rien en ce moment), les empoisonnements répétés contre les journalistes, les disparitions soudaines de gens qui trahissent ou qui ne sont que soupçonnés de trahir, les mensonges construits de toute pièces, c'est la ragoût d'antan.
La semaine dernière quand Joe Biden l'a rencontré à Genève, Putin a rappelé à quel point il n'était en rien comme Gorbachev. Ce dernier se penchait sur des problèmes de conscience, flirtait avec la démocratie, avait de la graine de sainteté dans l'âme. L'amoralité de Putin ne fait aucun doute. Lorsque questionné sur l'emprisonnement et la torture de Navalny, Putin glisse vite dans les comparaisons avec les enragés qui ont envahi le Capitol aux États-Unis, en janvier dernier. En privé comme en public, il peut facilement faire passer les affronts de son envahissement de la Crimée , ou encore les accusations d'influence déraisonnable dans le résultat des élections qui ont mis Trump au pouvoir, et faire tremper tout ça dans le racisme Étatsunien ou les tueries de masse Étatsuniennes pour faire contrepoids. Il a même réussi à condamner les brutalités de Guatanamo. Lui qui assassine ceux et celles qui ne sont pas assez béni-oui-oui. Plus habile que Trump, mais tout aussi honteux.
Biden a fait de son mieux pour disposer sur la table les droits humains, qui seront toujours aux coeurs de valeurs d'Amérique du Nord et d'ailleurs. Même si les États-Unis ne sont pas des saints pour autant, ça faisait du bien de voir un tigre sourire de toutes ses dents au lieu de l'ancien chat orange, qui ronronnait tout près du pou, sans trouver sa litière, y a pas si longtemps.
Il y a deux ans, Putin disait que la démocratie avait fait son temps. D'un point de vue républicain, il a peut-être raison. Ceux-ci appuient les mesures limitant le droit de vote, appuient lourdement les théorise du complot, se débarrassent vite des dissidents, nient les dangers climatiques et refusent qu'il y ait enquête contre l'ancien président.
En 1968, Sakharov disait que la liberté de pensée était la seule garantie contre l'infection populaire de masse, qui, entre les mains de traitres hypocrites et démagogues, ne peut que mener à de sanguinaires dictatures.
Il n'en tient qu'aux Russes eux-mêmes de faire le choix de leur destin. C'est beaucoup plus facile de le pianoter sur un clavier que de le faire pour vrai.
Mais le seul moyen que les États-Unis peuvent prendre pour avoir une influence sur leur futur est de montrer l'exemple.
Et selon moi, ça commence par une gestion des armes. De toutes sortes. Un vrai héros n'est armé que de son courage.
Tout aussi facile à écrire que compliqué à faire sur terre d'Amérique.