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Conférence avec Scholastique MUKASONGA

Par Lecturissime

Hier avait lieu une conférence avec Scholastique Mukasonga au centre des arts d'Enghien les Bains, avec la médiathèque George Sand d'Enghien

Envahie par l'émotion, l'auteure a répondu aux questions avec le souffle court, comme si les mots ne pouvaient pas aller jusqu'au bout du souffle, comme si la suffocation créée par ce génocide l'empêchait de s'exprimer. L'écrit a sans doute permis de dire ce que la parole n'autorisait pas...

Conférence avec Scholastique MUKASONGA


Scholastique Mukasonga est née en 1956 au sud-ouest du Rwanda, dans la province de Gikongoro. En 1960, sa famille est déportée, avec d'autres Tutsi. Elle réussit à survivre en dépit des persécutions et des massacres à répétition. En 1973, elle part en exil au Burundi. Elle achève ses études d'assistante sociale et travaille pour l'UNICEF.

Animé par Pierre Edouard Peillon

Pouvez-vous nous présenter Notre Dame du Nil et Kibogo est monté au ciel ?

J'ai écrit mon premier roman Notre Dame du Nil parce que j'avais une histoire à raconter, plus douloureuse que ce que ce que j'ai vécu. Cette histoire est inspirée de de ma propre expérience, j'ai créé ces personnages pour me décharger de cette histoire.

Kibogo se passe dans les années 40 que je n'ai pas connues. Je suis partie en quête du passé, j'ai consulté pour ce faire le livre du père Pagès et celui du père Delmas. J'ai alors découvert l'histoire de Kibogo déjà racontée par ma mère dans mon enfance. Il s'est sacrifié pour sauver son peuple de la sécheresse. Au Rwanda, à cette époque, colonisation et évangélisation avaient partie liée. En 1931, la destitution du roi Musinga qui refusait le baptême entraîna la conversion massive de la population. Souvent, ces baptêmes à la chaîne, pour beaucoup opportunistes, aboutirent à un syncrétisme qui constituait une forme de résistance. Le roman s'attache à montrer de façon satirique cette jonction difficile entre la culture ancestrale et l'évangélisation imposée.

Pourquoi ce passage de l'autobiographie à la fiction avec Notre Dame du Nil ?

Au départ je ne voulais écrire qu'un livre Inyenzi ou les Cafards,

Il s'agissait d'un devoir de mémoire, j'avais été choisie pour être la mémoire. Le drame du génocide est que l'on a des morts sans corps et sans sépulture. Inyenzi était un tombeau de papier, un lieu où je mettrai les miens. Je ne pensais pas écrire autre chose, j'écrivais juste pour sauver la mémoire, j'étais survivante, c'était comme un devoir.

J'ai souhaité publier à nouveau pour recruter d'autres gardiens de la mémoire. Vous, les lecteurs. L'écriture et les rencontres avec les lecteurs m'ont soulagée, il n'existe pas d'autre thérapie possible.

Après La femme aux pieds nus, hommage à ma mère, j'ai repris des forces, je revivais, parce que c'était un récit tendre, que j'ai écrit avec plaisir. Après je ne pouvais pas ne pas écrire.

Dans Inyenzi il y avait des passages que je n'avais pas pu écrire, dans Iguifou mon recueil de nouvelles, la première nouvelle est autobiographique, je ne pouvais pas parler de cette petite dans Inyenzi, j'en ai parlé dans la nouvelle.

Je voulais ensuite écrire un roman qui ne serait pas moi.

Pourquoi ce choix du pensionnat dans Notre Dame du Nil ?

Ce pensionnat est comme un microcosme de tout le Rwanda, de tout ce qui va l'embraser. J'ai pris ce lycée pour montrer la préparation du génocide, ce huis clos montre que ce n'étaient pas des massacres mais un génocide, pas de la folie, mais un crime préparé.

Au Rwanda, chaque nom a une signification. Le prénom n'a pas de sens, il est choisi pas le prêtre, mais le nom est donné par le père. Il y a un message dans le nom.

Maman a déjà eu une fille. Or les filles sont souhaitables au Rwanda pour l'ainée et la cadette : l'ainée parce qu'elle va seconder la mère, la cadette comme bâton de vieillesse. Alors Mukasonga veut dire "encore une fille", c'est un reproche à ma mère. Mais j'ai transformé mon nom avec tout ce que j'ai fait, cela signifie maintenant culminant, "muka" c'est "la femme de" et "songa" c'est "le point culminant la haute colline", je ne suis plus la fille de trop mais celle qui a accompli sa mission.

Est-ce que vous vous imposez l'humour dans vos livres ?

L'humour fait partie de la tradition rwandaise, c'est l'élégance rwandaise. Les choses graves passent plus facilement surtout avec une histoire aussi lourde. Le lecteur saisit mieux le message.

De plus quand j'ai voulu publier, j'ai dû retravailler mes manuscrits, or quand on écrit sur le génocide on se doit de préserver les lecteurs pour qu'ils ne souffrent pas, C'est pour ça que dans chacun de mes livres il y a des plages de répit, de plaisir, par exemple j'inclus des recettes de cuisine.

Voyez-vous une embellie dans les relations franco rwandaises ?

Pendant longtemps il n'y a pas eu d'ambassadeur français au Rwanda, or il vient d'être nommé, c'est plutôt bon signe.

De plus le déplacement de notre président Emmanuel Macron le 27 mai 2021 était attendu depuis 27 ans. Sarkozy est venu en 2010, il a parlé d'"aveuglement", un mot peu clair pour nous. Mais cette fois-ci Macron a initié une commission pour chercher la vérité de ce qui s'est passé au Rwanda durant la présence de la France au Rwanda. Lors de son discours, il a dit "je viens reconnaitre les responsabilités accablantes et lourdes de la France pendant le génocide des tutsis au Rwanda". Il a dit utiliser le mot "nuit", il a dit "Seuls ceux qui ont traversé la nuit peuvent nous faire le don du pardon". Il a dit "Ibuka" (souviens toi) puis il a dit "Diibuka" (je me souviens), ça veut dire qu'il était là avec nous, c'est un bon début.

Maintenant nous attendons les actes, nous avons besoin de la communauté internationale. Il a inauguré le nouveau centre culturel francophone pour les trois pays des grands lacs, je suis française et rwandaise, je voudrais que ces eux pays se donnent la main.

Les rwandais attendent que la justice puisse se suivre aussi.

Que pense la jeunesse de ces rapports franco-rwandais ?

La jeunesse veut que la justice fasse le travail contre les génocidaires. Sans rancœur. Si la France avait réagi en 1994 il n'y aurait pas eu de génocide, des massacres sans doute mais pas de génocide. Nous ne sommes pas rancuniers, les jeunes veulent que la vérité soit dite et que les actes soient posés.


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