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À propos d’Achille Mbembe. Le devenir-nègre du monde

Par Gangoueus @lareus

 Il est temps de mettre la colonisation au musée 

À propos d’Achille Mbembe. Le devenir-nègre du monde 

Un article d'Abdoulaye Imorou

 Là où l’arc-en-ciel de ma parole est chargé d’unir demain à l’espoir 

 Aimé Césaire, « À l’Afrique » 

    

À propos d’Achille Mbembe. Le devenir-nègre du monde

    Achille Mbembe. Le devenir-nègre du monde est un ouvrage collectif coordonné par Aymar Nyenyezi Bisoka et Matthieu de Nanteuil et publié aux Presses universitaires de Louvain en 2020. C’est un bel objet. On apprécie le caractère à la fois sobre et dynamique de la couverture, avec un portrait d’Achille Mbembe dessiné par Marie-Hélène Grégoire. La composition est également bien pensée. Le livre compte seulement 8 articles. Il a ainsi cette qualité qui consiste à rester concis tout en étant dense. Ces articles sont bien entourés. En annexe, on trouve un « Discours en l’honneur d’Achille Mbembe » de An Ansoms et un mot d’Emmanuel Debruyne en introduction à l’interprétation par Jérôme Kircher du Monde d’hier, Souvenirs d’un Européen de Stephan Zweig. En amont, l’introduction de Aymar Nyenyezi Bisoka et Matthieu de Nanteuil est précédée par un poème d’Aimé Césaire qui sert d’exergue. Cette exergue ainsi que la présentation du Monde d’hier mettent, efficacement, en relief le travail d’Achille Mbembe et contribuent à l’unité de l’ouvrage collectif. Un bel objet donc. Mais on ne pouvait en attendre moins d’un livre tiré d’une rencontre organisée en 2017 à l’occasion de l’attribution du doctorat honoris causa à Achille Mbembe par l’Université catholique de Louvain. 

 À propos de l’introduction 

    L’introduction de Aymar Nyenyezi Bisoka et de Matthieu de Nanteuil est efficace. Elle se veut une synthèse du parcours intellectuel d’Achille Mbembe. Ce parcours compte, au moins, trois moments qui correspondent à des réflexions sur trois périodes historiques à savoir la colonisation, les indépendances et le temps présent. Aymar Nyenyezi Bisoka et Matthieu de Nanteuil montrent qu’Achille Mbembe s’est d’abord focalisé sur l’analyse des résistances à la politique coloniale. Il a ensuite théorisé le politique dans ce qu’il appelle la postcolonie, c’est-à-dire l’Afrique des indépendances. Il s’attache aujourd’hui à penser le monde globalisé à partir de ce continent. Les auteurs notent que, selon Mbembe, le passage d’une période historique à l’autre, s’est toujours fait sans solution de continuité. Ses travaux concluent que la postcolonie et le monde globalisé actuel ne font que reproduire les pratiques coloniales. 

    Nyenyezi Bisoka et de Nanteuil montrent que, pour Mbembe, plusieurs indices trahissent cette persistance du colonial. Il y a, par exemple, la propension à ériger des frontières. En effet, si la colonisation a une marque de fabrique, celle-ci se situe dans la manière dont elle se plaisait à fixer des frontières. La pratique, loin de disparaitre après les indépendances, a seulement pris de nouvelles formes : « frontières raciales durant l’esclavage et la colonisation, frontières “corporéisées” durant l’apartheid ou la ségrégation, frontières politico-juridiques en ce qui concerne les migrants aujourd’hui » (Nyenyezi Bisoka & de Nanteuil, 2020b, p. 12). Un autre trait distinctif du colonial se trouve dans le recours au simulacre dans l’exercice du politique. Mbembe affirme qu’en postcolonie aussi le pouvoir et les gouvernés se contentent pareillement de simuler, de prétendre faire politique (Nyenyezi Bisoka & de Nanteuil, 2020b, p. 13). Enfin, la colonisation a été un système inégalitaire organisé autour de l’exclusion d’une partie de l’humanité, la partie nègre. Là encore, aucun changement à cela près qu’aujourd’hui il ne s’agit plus d’asservir une race mais de racialiser l’asservissement. Ainsi, si la colonie excluait les nègres, le monde globalisé assimile les exclus aux nègres. « Dès lors, être nègre devient une question de condition et non plus de race. C’est ce que Mbembe appelle “le devenir nègre du monde”. » (Nyenyezi Bisoka & de Nanteuil, 2020b, p. 15). 

    L’introduction de Nyenyezi Bisoka et de Nanteuil est donc efficace en cela qu’elle permet aux néophytes de se faire une idée assez juste de la pensée de Mbembe et aux spécialistes de réviser ses concepts clés. 

     À propos des 6 premiers articles 

    Les 8 articles qui suivent cette introduction ne sont pas organisés en différentes parties ou sections. Cependant, on peut distinguer deux veines. 

    La première veine est constituée des 6 premières contributions : les auteurs parlent surtout des usages qu’ils ont des travaux d’Achille Mbembe dans leurs propres recherches. Cette approche est particulièrement intéressante dans la mesure où elle est l’occasion de préciser certains concepts et positions du professeur de Witwatersrand. On notera, cependant, que les références renvoient, pour la plupart, à Critique de la raison nègre (Mbembe, 2013). Cela s’explique par le fait que, comme l’indique le sous-titre du volume collectif, les discussions tournent autour de la thèse du devenir-nègre du monde, thèse défendue dans Critique de la raison nègre

    On regrette néanmoins que ces articles visent davantage l’hommage et ne critiquent pas vraiment le travail de Mbembe. Bien entendu, il pouvait difficilement en être autrement dans la mesure où les communications dont les articles sont issus ont été données dans le contexte particulier de l’attribution du titre de Docteur honoris causa à Achille Mbembe. Mais cela donne lieu, parfois, à des attitudes problématiques. J’en retiendrai ici trois. Elles sont liées à l’activation du principe du privilège épistémique, à la woobification des Africains et à l’interprétation apophénique de certains phénomènes. Le titre de l’article de Pierre-Joseph Laurent (2020), « Un Occidental peut-il encore parler de l’Afrique après Achille Mbembe ? » est, pour le moins, maladroit. En effet, il convoque, même si c’est involontairement, l’épineuse question du privilège épistémique (Fricker, 1999). En introduisant l’opposition Occidental / Africain, il laisse entendre que la connaissance du continent ne serait pas seulement scientifiquement située. Elle le serait aussi identitairement, pour ne pas dire racialement. Or, vue sous cet angle, si la question se pose de savoir si Pierre-Joseph Laurent peut parler après Achille Mbembe, ce ne serait pas seulement parce que ce dernier aurait atteint un niveau académique inégalé, mais parce qu’il produirait des savoirs supérieurs du seul fait de sa qualité d’Africain, des savoirs que seul un Africain peut donc produire. Achille Mbembe bénéficierait ainsi, sur le plan du discours sur l’Afrique, d’un privilège, d’une sorte de pouvoir de préscience. Certes, c’est un super pouvoir des plus séduisants. Mais comme tout super pouvoir, il a un coût et celui-ci est plutôt élevé. Outre les problèmes éthiques et la question de l’essentialisation du travail académique que pareille conception pose, cela signifierait aussi que Achille Mbembe n’aurait aucun mérite : il doit sa carrière non à un travail acharné mais à un hasard de naissance, une contingence. Surtout, si on pousse la logique jusqu’au bout, cela reviendrait aussi à dire qu’avant ou après Pierre-Joseph Laurent, Achille Mbembe ne peut pas parler de l’Europe. Or, c’est exactement ce que la colonisation disait. Elle partait du principe que les colonisés n’étaient pas en mesure d’appréhender l’Occident. C’est l’une des raisons pour laquelle les programmes scolaires des métropoles et des colonies étaient radicalement différents (Mouralis, 1984, p. 56). L’activation du principe du privilège épistémique qui se voulait la célébration d’un éminent auteur anti-colonial nous ramène donc à une position coloniale. La woobification des Africains ne fait pas autre chose. 

    Dans le jargon de la pop culture, le woobie désigne « any type of characters who make you feel extremely sorry for them. Basically, the first thing you think to say when you see the woobie is: “Aw, poor baby!” » (The Woobie, n.d.). Lorsque les 6 premières contributions parlent des Africains ou d’autres groupes dominés comme les Indiens des Andes péruviennes (Piccoli, 2020) on a du mal à ne pas s’écrier « Merde ! Les pauvres !!! ». C’est par exemple le cas lorsque Emmanuelle Piccoli (2020, p. 95) dénonce comment les programmes sociaux invitent les Indiens à délaisser les coutumes au profit de l’école et de la ville ; lorsque Jérémie Piolat (2020, p. 70) regrette que les enseignantes d’une association d’alphabétisation bruxelloise ne fassent aucun effort pour se rapprocher des migrantes qu’elles forment ; lorsque Ghaliya N. Djelloul (2020, p. 77) se reproche de menacer l’équilibre de son village algérien en y retournant après des années passées en Belgique. 

    Le fait est que ces auteurs entretiennent, à propos de ces groupes, la même révérence excessive dont Pierre-Joseph Laurent fait montre à l’égard d’Achille Mbembe. Cela se traduit par une tendance à l’Occident-bashing d’un côté et à la woobification des dominés de l’autre. L’intention est noble : il s’agit de dénoncer les injustices du monde. Mais le procédé est problématique à plusieurs niveaux. D’abord, comme la pop culture le note bien, la woobification va de pair avec une sorte de paternalisme doublée d’une propension à éprouver de la satisfaction personnelle à plaindre l’autre. Poussée dans ses extrêmes, la woobification peut donner lieu à des sentiments malsains : « You'd want to sympathize with, sometimes to the point of wanting them broken to like them more » (Jerkass Woobie, n.d.). Ensuite, la woobification réduit les dominés au rôle d’objets qui se contentent de subir et les prive de toute agentivité. Enfin, en accusant systématiquement l’Occident et en plaignant invariablement l’Afrique et autres territoires dominés, on disqualifie le principe de la réciprocité. Or, c’est peut-être ce refus de la réciprocité, ce sentiment selon lequel ce qui peut être dit et fait des uns ne peut pas l’être des autres qui, plus que le fait d’ériger des frontières, est caractéristique de la colonisation. Il suffit, pour s’en convaincre, de penser à la manière dont fonctionnent les politiques de ségrégation. Ici, on peut se demander pourquoi ces Indiens devraient être cantonnés à la « tradition » tandis que l’école et la ville devraient être vécus comme des réalités exclusivement occidentales ? De même, pourquoi semble-t-il aller de soi qu’il appartient aux enseignantes de se transformer au contact des migrantes alors que, parallèlement, on évite de questionner les modes de vie de ces dernières ? Dans le même ordre d’idées, pourquoi faudrait-il faire attention à ne pas bousculer les habitudes du village algérien, alors que les villageois n’ont, eux, aucun scrupule à critiquer celles de leur diaspora ? Les sociétés ne grandissent-elles pas d’être bousculées ? En outre, pourquoi Ghaliya N. Djelloul se formalise-t-elle autant à propos de phénomènes somme toute banals ? 

    Un Dijonnais qui retournerait en Bourgogne après quelques années passées à Paris ou à Londres expérimenterait des phénomènes similaires. Il en est de même d’un Péhuncois de retour au village après un long séjour à Cotonou ou à Accra. Dijon et Péhunco les regarderont de travers, se moqueront un peu, les accuseront de vouloir leur en imposer, de jouer aux gens de la ville. Eux-mêmes verront en les Péhuncois et les Dijonnais des péquenots qui sont passés à côté de l’invention de la roue, de l’eau chaude et des droits humains. Les uns et les autres composeront cependant avec les difficultés de ce qu’il conviendrait d’appeler l’énigme du retour (Laferrière, 2009) puis passeront à autre chose. Mais, il semble que tout se complique lorsqu’il s’agit de quitter l’Europe pour retourner en Afrique bref, lorsque le rapport colonial entre en jeu. Des romans comme L’aventure ambiguë (Kane, 1961) ou encore L’impasse (Biyaoula, 1996) en attestent assez. Là où avec le Dijonnais et le Péhuncois l’énigme du retour se résout avec quelques moqueries et peut-être un peu de mépris de part et d’autre, on se rappelle que dans L’aventure ambiguë cela s’est terminé par un meurtre fondamentaliste et dans L’impasse par une crise d’identité. La situation n’est pas aussi dramatique dans l’article de Ghaliya N. Djelloul même si on n’est pas loin, là aussi, de la crise identitaire. L’enfant prodigue décide que tout est de sa faute et qu’il lui faut changer et s’adapter aux normes villageoises. En effet, s’il a oublié ces normes c’est parce que son « double européen » est sous l’emprise du « fantôme colonial » (Djelloul, 2020, p. 78) qui le pousse à des attitudes eurocentrées. 

    On le voit, il ne peut plus être question de considérer que les villageois aussi peuvent se remettre en cause dans la mesure où tout changement qui aurait une origine coloniale est d’emblée à prohiber. Mais, le problème avec cette manière de voir les choses est qu’elle repose sur des raisonnements qui méritent d’être questionnés. D’abord, rien ne prouve que ce fantôme colonial est bien réel et dispose des pouvoirs qui lui sont prêtés : après tout le Dijonnais et le Péhuncois changent aussi et il est clair que dans leur cas aucun fantôme colonial n’intervient. En outre, le changement n’est-il pas simplement dans l’ordre des choses ? À cet égard, il convient de rappeler au fou que lorsqu’il tue Samba Diallo au nom de l’islam dans L’aventure ambiguë, il oublie que les Diallobé n’ont pas toujours été musulmans. Ils le sont devenus après avoir rencontré des Arabes qui ont, c’est peu de le dire, bousculé leurs habitudes. En définitive donc, le problème avec le village algérien est peut-être moins lié à un regard eurocentré qu’à une interprétation apophénique de l’énigme du retour, une interprétation qui voit le fantôme colonial là où il n’est peut-être pas. 

À propos des deux derniers articles 

    C’est justement à propos de la manière dont ce fantôme informe les travaux d’Achille Mbembe que s’interrogent les deux derniers articles du volume collectif. Dans « Écrire la violence. Quelques réflexions autour d’Achille Mbembe », Matthieu de Nanteuil (2020, p. 119) rappelle que les travaux de Mbembe reposent sur la thèse de la persistance du colonial et l’idée selon laquelle l’esclavage et la colonisation constituent la scène originaire de la part nocturne de la civilisation moderne issue des Lumières. Cependant, c’est pour se demander si cette scène joue vraiment le rôle fondateur que lui prête Achille Mbembe. En effet, explique Matthieu de Nanteuil, les prétendants à ce rôle ne manquent pas. Il y a la shoah, il y a les guerres de religion, nationalistes et mondiales, il y a les violences de classe et de genre… (de Nanteuil, 2020, p. 122). Il ne s’agit pas, ici, pour Matthieu de Nanteuil, d’ouvrir le dossier de la concurrence des victimes mais de rappeler que l’histoire de la modernité est à la plus fois plus complexe et plus banale et ne saurait être expliquée par la scène esclavagiste et coloniale seule : 

Et si, dès l’origine, la modernité était faite de violences multiples, sans rapport nécessaire les unes avec les autres ? Et si la face nocturne de la modernité était labile, fluide ? Et si la civilisation issue des Lumières était essentiellement contingente, traversée de bassesses ordinaires et changeantes, comme toute civilisation humaine, ni plus ni moins ? (de Nanteuil, 2020, p. 122) 

    Matthieu de Nanteuil conclut, entre autres, qu’en donnant une place aussi centrale à cette scène, Achille Mbembe prend le risque de rester enfermé dans une vision assez classique et binaire du monde et de manquer d’en relever toute la complexité. 

    Aymar Nyenyezi Bisoka et Thierry Amougou démontrent quant à eux dans « Achille Mbembe : entre le sujet de la circulation et la biopolitique du capital » que le modèle de Mbembe n’est pas toujours en phase avec les réalités actuelles. Pour ce faire, ils partent d’un fait réel, le meurtre, en décembre 2014, de Sarah. Celle-ci possédait des terres qu’elle exploitait entre le Rwanda, le Burundi et la RDC. Elle a été assassinée pour avoir refusé de les vendre à « de puissants entrepreneurs » (Nyenyezi Bisoka & Amougou, 2020, p. 101). Nyenyezi Bisoka et Amougou s’appuient sur l’histoire de Sarah pour pointer les limites du principe de la circulation tel que défini par Mbembe. Ce dernier voit dans la circulation un remède aux politiques des frontières et aux abus de l’économie capitaliste qu’elles autorisent. Il explique qu’en Afrique précoloniale les frontières n’existaient pas et que l’économie ne pouvait fonctionner sur le modèle capitaliste pour la simple raison qu’il n’était pas possible de fixer les gens sur un territoire donné et de les forcer à produire. Ceux qu’on cherchait à contraindre avaient toujours la possibilité de partir ailleurs, de circuler. Nyenyezi Bisoka et Amougou expliquent que c’est la raison pour laquelle Mbembe appelle à une ouverture des frontières africaines de manière à retrouver cette dynamique précoloniale. 

    Ils trouvent cependant que pour être séduisante, cette solution n’est pas forcément efficace. Rien ne garantit, en tout cas, qu’elle soit en mesure d’assurer la sécurité des Sarah. En effet, affirment-ils, en période précoloniale, l’absence de frontière ne protégeait pas toujours « des ordalies mortifères, des guerres tribales ou de la justice expéditive de certains anciens rois africains » (Nyenyezi Bisoka & Amougou, 2020, p. 106). De plus, si certains pouvaient effectivement circuler, c’est seulement parce qu’il existait encore des espaces vides vers lesquels fuir. Or, de tels espaces, il n’y en a plus. Pire, une dissolution des frontières risque surtout de profiter au capitalisme. Pour ces raisons, Nyenyezi Bisoka et Amougou concluent que la politique de la circulation promue par Mbembe ne résiste guère au principe de réalité. 

Ma conclusion 

    D’une manière générale, les deux derniers articles posent la question de savoir s’il est pertinent de s’appuyer sur l’expérience coloniale pour forger des paradigmes destinés à penser les indépendances et le monde globalisé d’aujourd’hui, autrement dit, si le modèle mbembien est efficace. Il l’est sans doute en termes de stratégie de communication. Comme Aymar Nyenyezi Bisoka et Matthieu de Nanteuil l’ont montré dans l’introduction, ce modèle est la preuve que les travaux de Mbembe suivent une trajectoire logique et visent à penser successivement et en même temps les temps des colonies, des indépendances et des globalisations. En outre, en faisant des politiques coloniales un fil directeur, Mbembe parvient à mobiliser, sur le long terme, des ressorts émotionnels et intellectuels qui rendent son modèle cohérent. Last but not least, il libère le nègre du stigmate de la race pour en faire une condition partagée par une large partie du monde. Il parvient à faire ce que John Lennon et Yoko Ono n’avaient pas réussi avec « Woman is the Nigger of the World » (1972). Mais si la référence constante à la colonisation fait l’unité et le succès de la pensée de Mbembe, elle a aussi ses revers. Elle conduit à voir la marque de la colonisation partout et permet à son fantôme de phagocyter notre présent. La conséquence est que nous risquons de rester aveugles à ce que notre temps produit d’inédit, en dehors de toute intervention réelle ou fantasmée de logiques coloniales. Nous risquons de laisser des phénomènes comme l’énigme du retour se charger de poids qui ne sont pas les leurs. En définitive, en laissant la colonisation autant déterminer notre présent, nous enlevons à ce dernier toute possibilité de devenir son propre centre. Il devient donc urgent de reléguer la colonisation au musée. 

Un article d'Abdoulaye Imorou 

Les références 

Biyaoula, D. (1996). L’impasse. Présence Africaine. 

de Nanteuil, M. (2020). Écrire la violence. Quelques réflexions autour d’Achille Mbembe. In A. Nyenyezi Bisoka & M. de Nanteuil (dir.), Achille Mbembe. Le devenir-nègre du monde (pp. 113–127). Presses universitaires de Louvain. 

Djelloul, G. N. (2020). De la recherche du temps perdu à la co-inclusion de l’Autre en Soi : Éloge de l’identité passante. In A. Nyenyezi Bisoka & M. de Nanteuil (dir.), Achille Mbembe. Le devenir-nègre du monde (pp. 73–79). Presses universitaires de Louvain. 

Fricker, M. (1999). Epistemic oppression and epistemic privilege. Canadian Journal of Philosophy Supplementary Volume, 25, 191–210. 

Jerkass Woobie. (n.d.). TV Tropes. Récupéré le 10 juillet 2021 de https://tvtropes.org/pmwiki/pmwiki.php/Main/JerkassWo

Kane, C. H. (1961). L'aventure ambiguë. Julliard. 

Laferrière, D. (2009). L’énigme du retour. Grasset. 

Laurent, P.-J. (2020). Un Occidental peut-il encore parler de l’Afrique après Achille Mbembe ? In A. Nyenyezi Bisoka & M. de Nanteuil (dir.), Achille Mbembe. Le devenir-nègre du monde (pp. 23–37). Presses universitaires de Louvain. 

Lennon, J., & Ono, Y. (1972). Woman is the Nigger of the World [Chanson]. Apple. 

Mbembe, A. (2013). Critique de la raison nègre. La Découverte. 

Mouralis, B. (1984). Littérature et développement. Essai sur le statut, la fonction et la représentation de la littérature négro-africaine d’expression française. Silex. 

Nyenyezi Bisoka, A., & Amougou, T. (2020). Achille Mbembe : entre le sujet de la circulation et la biopolitique du capital. In A. Nyenyezi Bisoka & M. de Nanteuil (dir.), Achille Mbembe. Le devenir-nègre du monde (pp. 101–112). Presses universitaires de Louvain. 

Nyenyezi Bisoka, A., & de Nanteuil, M. (2020a). Achille Mbembe. Le devenir nègre du monde

Nyenyezi Bisoka, A., & de Nanteuil, M. (2020b). Lire Mbembe aujourd’hui. De la post-colonie au devenir nègre du monde. In A. Nyenyezi Bisoka & M. Nanteuil (dir.), Achille Mbembe. Le devenir-nègre du monde (pp. 7–22). Presses universitaires de Louvain. 

Piccoli, E. (2020). Critique de la raison nègre au prisme des Andes péruviennes. In A. Nyenyezi Bisoka & M. de Nanteuil (dir.), Achille Mbembe. Le devenir-nègre du monde (pp. 91–99). Presses universitaires de Louvain. 

Piolat, J. (2020). Alphabétiser en postcolonie. Fragments de la postcolonie multisituée. In A. Nyenyezi Bisoka & M. de Nanteuil (dir.), Achille Mbembe. Le devenir-nègre du monde (pp. 57–72). Presses universitaires de Louvain. 

The Woobie. (n.d.). TV Tropes. Récupéré le 10 juillet 2021 de https://tvtropes.org/pmwiki/pmwiki.php/Main/TheWoobie.


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